Val­do­rane, Mea culpa

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En tant que chro­ni­queur de textes éro­tiques, je reçois assez régu­liè­re­ment des pro­po­si­tions de lec­ture de la part des édi­teurs spé­cia­li­sés. Par­mi ceux-ci s’est très récem­ment trou­vée une mai­son qui jusque-là était res­tée pour moi une incon­nue, même si j’a­vais déjà vague­ment vu pas­ser le nom – Evi­dence Edi­tions. Le titre pro­po­sé ne me ten­tant pas spé­cia­le­ment, j’ai quand même fait un tour sur le site de l’é­di­teur afin de me faire une idée à pro­pos de ce qui s’y pas­sait en matière de lit­té­ra­ture éro­tique. Ima­gi­nez mon bon­heur quand j’ai décou­vert que la mai­son pro­po­sait une col­lec­tion digne du plus grand inté­rêt : Indé­cente, avec comme sous-caté­go­ries BDSM/SM, Éro­tique, Por­no et Hors Limites. Mal­heu­reu­se­ment, les deux der­nières caté­go­ries sont res­tées à ce jour – à l’in­verse des héroïnes qu’on a l’ha­bi­tude d’y croi­ser – vierges, mais cela ne m’a pas empê­ché de dégo­ter un titre assez pro­met­teur dans la caté­go­rie BDSM/SM : Mea culpa, roman éro­tique signé Val­do­rane, une autrice que je décou­vrais grâce à cette expé­di­tion lan­cée à l’improviste.

Disons-le tout de suite : l’a­ma­teur de bâillons, de latex, de croix Saint-André, de mar­ti­nets et d’autres ins­tru­ments d’un plai­sir plu­tôt robuste y res­te­ra sur sa faim, les épreuves de la pro­ta­go­niste, Mor­gane, rele­vant d’un domaine beau­coup moins rude, ce qui ne devrait pas empê­cher le texte de trou­ver des ama­teurs et – sans doute sur­tout – des ama­trices. Clin d’œil quand même à l’é­di­teur : Et si vous ran­giez le texte de Val­do­rane sous l’é­ti­quette beau­coup plus adap­tée Éro­tique ?

Ce qui m’a tout de suite séduit dans la des­crip­tion de ce texte, c’est le scé­na­rio de départ : un mes­sage reçu sur la mes­sa­ge­rie d’un site de lec­ture qui déclenche une conver­sa­tion vir­tuelle, conver­sa­tion qui amorce toute une suite de ren­contres les unes plus sen­suelles que les autres – et toutes vir­tuelles. Cela m’a aus­si­tôt rap­pe­lé le point de départ d’un de mes propres textes, Les Aven­tures intimes de Natha­lie, et je brû­lais de savoir com­ment l’au­trice s’y était prise pour tra­duire la pas­sion, l’es­pèce de dépen­dance et les chan­ge­ments qu’une telle rela­tion vir­tuelle pou­vait engen­drer. Et de voir si – et com­ment – celle-ci allait débor­der sur le réel avec toutes les réper­cus­sions qui s’y rattachent.

Le vir­tuel, on le sait depuis le temps, s’il peut assez vite dégé­né­rer, peut aus­si faci­li­ter les échanges avec des per­sonnes qui, sans cela, seraient res­tées dans le noir de leurs coins res­pec­tifs. C’est ce qui se pro­duit dans Mea culpa quand Adam aborde Mor­gane, tous les deux sépa­rés dans l’es­pace et can­ton­nés dans des milieux éloi­gnés. Inter­net leur sert donc d’in­ter­mé­diaire, et une véri­table rela­tion se tisse au fur et à mesure des échanges qui très vite prennent un carac­tère très char­nel – emprise mas­tur­ba­toire du vir­tuel sur le réel.

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Thomas Galley, La Fiancée de la Douleur

Val­do­rane maî­trise l’art de cap­ti­ver l’in­té­rêt du lec­teur qui, confor­ta­ble­ment ins­tal­lé dans son rôle de voyeur, suit avec plai­sir les aven­tures de Mor­gane et la pas­sion ingé­nue de celle-ci quand il s’a­git d’ac­cep­ter les défis et de les tra­duire en actes. Ses sen­ti­ments, son ancrage dans le réel avec son pas­sé sen­ti­men­tal et ses ami­tiés, le chan­ge­ment engen­dré par la ren­contre d’A­dam, son cou­rage gran­dis­sant au fur et à mesure des défis et le plai­sir qu’elle tire de ses exploits, sont décrits avec finesse, et la mise en scène raf­fi­née des ren­dez-vous, le calme de la nar­ra­tion qui pro­gresse avec dou­ceur, sans jamais se lais­ser empor­ter, sont tout à fait capables de séduire le lec­teur et de le tenir en place. J’i­rais même jus­qu’à dire que cer­tains élé­ments du texte, comme la mise en place des per­son­nages et le raf­fi­ne­ment du style qui se tra­duit par la beau­té des enchaî­ne­ments et une cer­taine flui­di­té des phrases, sont si forts qu’on passe volon­tiers l’é­ponge sur d’autres qui le sont net­te­ment moins.

Le récit souffre d’une cer­taine uni­for­mi­té des scènes qui se suc­cèdent, au risque d’en­nuyer par une trop grande répé­ti­ti­vi­té. Je me suis sur­pris à pas­ser de façon bien trop som­maire sur des phrases cen­sées pour­tant tra­duire l’é­mo­tion et la magie du sexe et des échanges intimes, signe assez clair de ce que l’au­trice ne sait pas tou­jours évi­ter le risque de lais­ser échap­per les lec­teurs à son emprise. On se demande d’ailleurs si Adam connaît d’autres repar­ties que son éter­nel « Tu me rends fou », phrase qu’il sait varier à l’in­fi­ni sans que cela fasse pour autant dis­pa­raître le désar­roi des lec­teurs qui finissent par être embê­tés à sa place.

Mal­gré ces affir­ma­tions répé­tées d’A­dam, le vis-à-vis vir­tuel de Mor­gane qui ne réus­sit pas à se dépê­trer du flou où l’au­trice le laisse se mor­fondre pen­dant assez – trop ? – long­temps, les défis qu celui-ci adresse à Mor­gane ne sont fina­le­ment pas si fous que ça : deman­der à son amante de ne pas mettre de des­sous, lui faire boire un café sur le bal­con en cos­tume d’Ève, l’in­ci­ter à des séances pro­lon­gées de mas­tur­ba­tion, à se mettre des boules de Gei­sha – rien qui ne sorte du cadre de ce qui peut pas­ser pour conve­nable dans une rela­tion basée avant tout sur la sen­sua­li­té. Si ce n’est plus car­ré­ment du vanille, cela est très loin du kin­ky qu’on atten­drait de trou­ver dans une caté­go­rie qui arbore la for­mule BDSM.

Signe d’un tra­vail édi­to­rial peut-être un peu som­maire, on trouve des incon­sis­tances dans le texte, comme par exemple l’af­fir­ma­tion d’A­dam de n’être « jamais allé en Bel­gique » [1]cha­pitre 22, Le retour, tan­dis que Mor­gane a déjà fait allu­sion à un séjour anté­rieur de son amant au « plat pays » :

Je lui parle de ma Cité Ardente, […] ce qui l’intéresse beau­coup car il connaît un peu mon plat pays pour y être venu quand il était plus jeune. [2]cha­pitre 4 : L’au­dace

Ensuite, on peut être ame­né à se poser des ques­tions quant au pour­quoi du com­ment de cer­taines situa­tions par­fois trop peu cré­dibles : Après tous les dia­logues accom­pa­gnés de dévoi­le­ments pro­gres­sifs, pour­quoi encore l’hé­si­ta­tion des pro­ta­go­nistes à se mon­trer leurs visages dans leurs mises en scène méti­cu­leuses ? Est-ce l’ex­pres­sion du carac­tère mal­gré tout assez pudique de leur rela­tion ? Un arti­fice de l’autrice pour insis­ter sur l’anonymat des par­ti­ci­pants ? Quoi qu’il en soit, j’ai eu du mal à pas­ser par là.

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Et puis, il y a le titre du texte, Mea culpa. Je n’ai rien trou­vé, au bout de ses vingt-six cha­pitres, qui puisse jus­ti­fier cet inti­tu­lé avec son cor­tège d’é­vo­ca­tions his­to­ri­co-mythiques et lit­té­raires. Je sais qu’il n’est pas tou­jours facile de pla­cer son texte sous une cer­taine enseigne qui, après tout, peut for­te­ment orien­ter la façon de l’a­bor­der avant même d’a­voir ouvert la pre­mière page, mais l’au­trice (ou la direc­trice de col­lec­tion, je n’en sais rien) a réus­si le pari d’en trou­ver un qui risque de rape­tis­ser le texte par rap­port aux attentes qui s’y rattachent.

Ce qui par contre m’a fait beau­coup sou­rire, c’est que j’ai pu décou­vrir que même dans les his­toires vir­tuelles, la syn­chro­ni­ci­té des orgasmes est appa­rem­ment pri­mor­diale pour une rela­tion réussie :

« La jouis­sance nous emporte en même temps, alors qu’il me demande de lui dire mon plai­sir.  » [3]chap. 22

J’ai fina­le­ment beau­coup appré­cié, mal­gré les quelques réserves que j’ai pu for­mu­ler, la lec­ture des aven­tures de Mor­gane, femme qui peut à tout ins­tant sur­gir de notre quo­ti­dien, et soli­de­ment enra­ci­née dans son ter­ri­toire – un ter­ri­toire qui, et voi­ci un côté bien per­son­nel, m’a mis sous son charme revêche depuis bien long­temps. J’ai décou­vert avec grand plai­sir le raf­fi­ne­ment dont l’au­trice sait user pour mettre en place ses per­son­nages et pour déve­lop­per les situa­tions dans les­quelles ceux-ci se laissent emme­ner, le tout mar­qué par la rete­nue d’un lan­gage qui ne manque pas de cha­leur quand il s’a­git de rendre les émois et les réti­cences de la pro­ta­go­niste confron­tée à la réa­li­sa­tion et à l’é­pa­nouis­se­ment de ses désirs.

Il me semble que l’au­trice, mal­gré ses qua­rante-quatre ans [4]cf. la par­tie l’Au­teur du texte où Val­do­rane affirme être « née en Bel­gique, il y a qua­rante-quatre ans »., n’en est qu’au début d’une car­rière dont on est en droit d’at­tendre de beaux mor­ceaux. On lui sou­haite d’être bien accom­pa­gnée sur cette route très prometteuse.

Val­do­rane
Mea culpa
Atra­men­ta
ISBN : 9791034801985

Valdorane, Mea culpa

Réfé­rences

Réfé­rences
1 cha­pitre 22, Le retour
2 cha­pitre 4 : L’audace
3 chap. 22
4 cf. la par­tie l’Au­teur du texte où Val­do­rane affirme être « née en Bel­gique, il y a qua­rante-quatre ans ».
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Val­do­rane, Mea culpa”

  1. Valdorane

    Je découvre par hasard, mais avec beau­coup de plai­sir, votre chronique.
    Vous m’a­vez fait pas­ser par toutes les émo­tions qu’une autrice peut res­sen­tir en décou­vrant la cri­tique d’une de ses œuvres. La joie de la décou­verte, le plai­sir rou­gis­sant devant les com­pli­ments, la honte d’a­voir lais­sé pas­ser une inco­hé­rence et des répétitions.
    Sachez que vos per­ti­nentes remarques seront prises en compte pour les autres ouvrages et j’es­père vous lire plei­ne­ment ravi la pro­chaine fois.

    1. Bon­jour ! Mer­ci d’a­voir pris le temps de lais­ser ce com­men­taire. Comme vous avez pu le remar­quer, j’ai lu votre texte avec grand plai­sir. Mer­ci donc pour ces belles heures pas­sées en com­pa­gnies de vos personnages !

      Ce qui m’é­tonne, c’est que vous soyez tom­bée par hasard sur mon article. Après tout, c’est votre édi­teur qui a mis à ma dis­po­si­tion un exem­plaire SP, et qui a été aver­ti de la mise en ligne de mon article… Je vous sou­haite un bel été et une main agile pour la pour­suite de vos aven­tures lit­té­raires ! N’hé­si­tez pas à m’en­voyer quelques lignes pour m’an­non­cer vos publi­ca­tions à venir.