E.T. Raven, Ama­bi­lia – Dans la peau d’Iris

Il y a à peine quelques semaines que j’ai eu l’oc­ca­sion de par­ler, dans le cadre des Lec­tures esti­vales, de Nue sous le masque, pre­mier tome de la série Ama­bi­lia, une BD auto-édi­tée signée E.T. Raven. J’ai tout de suite été séduit par le des­sin très sobre et la clar­té des lignes, par le clair-obs­cur qui règne en maître sur l’a­ven­ture noc­turne d’I­ris et de Simon, par la briè­ve­té laco­nique de l’in­trigue et des échanges et par des per­son­nages qui savent gar­der leurs secrets, dévoi­lant tout de leurs corps, mais rien de leurs vies – une belle échap­pée dans le pays de tous les pos­sibles, rame­née à sa plus simple expression.

Si le pre­mier volume pré­sente un carac­tère fini qui aurait lar­ge­ment jus­ti­fié d’en faire un one shot, ses auteurs ont pour­tant choi­si de le conce­voir plu­tôt comme un enga­ge­ment auprès de leurs lec­teurs, enga­ge­ment d’al­ler plus loin et de dépas­ser l’ins­tan­ta­né, un moyen aus­si d’exer­cer leurs talents, de les tes­ter au long cours. Quant à moi, je n’ai su résis­ter à la pro­messe de m’embarquer avec eux pour un nou­veau voyage, en me glis­sant Dans la peau d’I­ris. Coup de chance, le deuxième volume étant déjà sor­ti début août (c’est-à-dire plu­sieurs semaines avant la publi­ca­tion de mon article consa­cré au volume pré­cé­dent), rien ne s’op­po­sait à la pour­suite immé­diate de l’a­ven­ture (comme quoi, par­fois, la fai­néan­tise paie…). Après avoir assis­té à la pre­mière ren­contre d’I­ris et de Simon, ren­contre qui n’au­ra pas appris grand-chose aux lec­teurs à pro­pos des anté­cé­dents des deux pro­ta­go­nistes, voi­ci donc venu le temps des décou­vertes, et les pro­jec­teurs se braquent sur Iris dont on va par­ta­ger, pen­dant une soixan­taine de pages, la vie quo­ti­dienne, lui tenant com­pa­gnie pour connaître les réper­cus­sions de son aven­ture avec Simon, un pro­cé­dé qui fait du per­son­nage plu­tôt flou d’un one night stand une femme tout en pro­fon­deur, avec ses sen­ti­ments, son pas­sé et ses aspi­ra­tions. Soyez donc les bien­ve­nus dans le deuxième volume de la série Ama­bi­lia, Dans la peau d’I­ris.

Tout comme dans Nue sous le masque, l’in­trigue du nou­veau volume se joue en très petit comi­té avec au centre, Iris – sa vie, son couple en train de nau­fra­ger, sa pas­sion pour Simon, coup d’un soir enfon­cé au plus pro­fond d’elle, lui lais­sant des sou­ve­nirs qui lui collent à la peau, des sou­ve­nirs créa­teurs de fan­tasmes qui empiètent sur la vie bien réglée qu’elle s’est construite avec Boris, son copain, un « type plu­tôt bien » dont elle n’a pas vrai­ment à se plaindre – bien au contraire. Confron­té à tout cela, le lec­teur a par­fois du mal à com­prendre cette pro­ta­go­niste mélan­co­lique qui pré­fère s’en­fer­mer avec ses sou­ve­nirs pour échap­per à la vie et à ses obli­ga­tions qui la guettent dehors. Mais n’est-elle pas la pre­mière à avouer son incom­pré­hen­sion face à ses sen­ti­ments ? Réflexes d’une femme obnu­bi­lée par la conscience de sa propre fra­gi­li­té, de sa cap­ti­vi­té ? Être humain lié par les codes d’une socié­té qui se fout de ce qui se joue dans les pro­fon­deurs de l’âme, tant que la sta­bi­li­té sociale reste assu­rée ? À moins que ses sen­ti­ments, et, un peu plus tard, son acte, ne soient la consé­quence de quelque bles­sure mal fer­mée ? On ne le sait, et Iris, une fois de plus, dérobe les bas-fonds de son inti­mi­té aux regards inqui­si­teurs, éta­blis­sant une belle oppo­si­tion entre les brumes qui cachent son pas­sé et son ave­nir, et les lignes très nettes et très pré­cises du des­sin qui la rend si vivante.

À lire :
Angélique Fontaine, Toute une semaine

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Pour ce qui est du des­sin, jus­te­ment, les auteurs res­tent fidèles à leur style si puis­sam­ment exploi­té dans le volume pré­cé­dent, style en grande par­tie res­pon­sable du charme qui se dégage des planches, charme drô­le­ment aus­tère dont E.T. Raven se sert avec une pré­ci­sion presque chi­rur­gi­cale pour créer un monde tout en nuances, d’une sen­sua­li­té qui s’a­vère ter­ri­ble­ment effi­cace quand il s’a­git de faire cra­quer le lec­teur devant la ravis­sante pro­ta­go­niste. À ce pro­pos, je me demande si mon appar­te­nance au sexe mas­cu­lin ne serait pas en train de me jouer un mau­vais tour. Si je trouve Iris car­ré­ment irré­sis­tible, dans son mélange savam­ment dosé d’in­gé­nui­té et d’in­dé­cence, au point de faire appa­raître le per­son­nage de Simon bien pâle en com­pa­rai­son, est-ce tout sim­ple­ment parce que je suis plus sen­sible aux atouts fémi­nins, atouts qu’I­ris (ou plu­tôt les auteurs / des­si­na­teurs) sait mettre en valeur avec une incon­tes­table maî­trise ? Ou est-ce parce que, en tant que lec­teur, j’ai déjà eu l’oc­ca­sion de me rap­pro­cher d’I­ris, de la frô­ler dans son inti­mi­té, tan­dis que Simon attend encore son tour ? Ou est-ce que je serais tout bon­ne­ment insen­sible, ce qui pour­rait bien sûr se com­prendre, aux charmes de Simon ? Des charmes qui opé­re­raient peut-être plus effi­ca­ce­ment sur un lec­to­rat fémi­nin ? Quelle qu’en soit l’ex­pli­ca­tion, je peux affir­mer que, pour ma part au moins, la ren­contre avec Iris a lais­sé des traces, et que j’at­tends avec impa­tience la suite de ses aven­tures, sur­tout après la déci­sion sans appel que la pro­ta­go­niste a prise à la fin de l’é­pi­sode en question.

E.T. Raven, Amabilia - Dans la peau d'Iris, Portrait d'Iris
Iris, trou­blant por­trait de la pro­ta­go­niste en Ophélie

Le moyen, d’ailleurs, de res­ter insen­sible aux délices du corps d’I­ris qui s’é­tale si géné­reu­se­ment sur de nom­breuses planches ? Si le pre­mier volume, entiè­re­ment consa­cré à la ren­contre d’I­ris et de Simon, illus­trait avec une pro­fu­sion jouis­sive le bal­let char­nel qui, l’es­pace d’une nuit, rap­pro­chait deux incon­nus, le deuxième, tout entier consa­cré à Iris, est axé autour d’une longue scène mas­tur­ba­toire avec laquelle la pro­ta­go­niste célèbre ses retrou­vailles ima­gi­naires avec l’a­mant d’une nuit. Je ne vous dis pas les délices de sa chair intime dévoi­lée de façon indé­cente, avec un amour du détail et une appli­ca­tion où l’on sent vibrer le pin­ceau de l’illus­tra­teur, manié de main ferme mal­gré l’ex­ci­ta­tion dont on le sent assié­gée. Cette scène vaut à elle seule le prix des deux volumes, et ce serait fran­che­ment bon mar­ché ! Mais n’al­lez pas croire qu’E.T. Raven se contente de trans­po­ser en des­sin – aus­si déli­cieux soit-il – ce fan­tasme de tout mâle qui se res­pecte ! Loin de s’y arrê­ter, il puise dans les pro­fon­deurs de l’i­ma­ge­rie occi­den­tale en fai­sant de son Iris le por­trait trou­blant d’une noyée légen­daire, Ophé­lie, l’a­mante du célèbre Prince du Danemark.

À lire :
Lectures estivales 2025 - Les titres

Avant d’ar­ri­ver à une conclu­sion pro­vi­soire, conclu­sion qui n’a rien à envier aux cliff­han­ger des feuille­tons amé­ri­cains, cette bande des­si­née donne au lec­teur l’oc­ca­sion, grâce au talent nar­ra­tif tra­duit en images de ses auteurs, de faire un bout de che­min en com­pa­gnie d’une femme qui incarne si bien le désir et la peur, des sen­ti­ments com­plé­men­taires enga­gés dans un duel per­pé­tuel qui ravage les consciences et les âmes de celles et de ceux qui n’ont pas su éva­cuer à temps le théâtre de ce com­bat épique.

E.T. Raven
Ama­bi­lia – Dans la peau d’I­ris
Dyna­mite
ISBN : 9782362346255

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “E.T. Raven, Ama­bi­lia – Dans la peau d’Iris”

  1. Mer­ci pour cette cri­tique extrê­me­ment moti­vante !! Oui, le tome 1 devait être un one shot, puis, tout comme vous, nous sommes tom­bés amou­reux d’I­ris. Nous ne pou­vions pas en res­ter là…

    1. Cette série est tout sim­ple­ment un chef d’oeuvre, et j’ai hâte d’a­voir entre les mains le t. 3. Les quelques extraits que j’ai pu voir pas­ser sur FB ont été des plus appétissants ;-)