Le Sanglier, comme tout être humain digne de ce nom, a été bouleversé par les attentats du 13 novembre, par la stupidité, la haine et le fanatisme des terroristes pour qui des vies humaines ne valent plus rien. Contrairement à beaucoup d’entre vous, je n’ai pourtant pas arboré de bandeau noir ou l’effigie de la Marianne en larmes. Débordant de colère, emporté par une forte envie de revanche, j’ai plutôt décoré mon profil Facebook d’une illustration tirée de Harlem Hellfighters, BD de Max Brooks inspirée par le combat des soldats afro-américains dans la Grande Guerre, un dessin qui, par sa furie guerrière, illustre à merveille la réaction qu’il faut, à mon avis, réserver à celles et à ceux qui s’en prennent à nos valeurs fondamentales.

Le terrorisme – une menace parmi d’autres
La menace terroriste existe, mais elle est loin d’être la seule. Aujourd’hui, face à des réactions et des propositions parfois outrancières, il faut se demander si nos libertés ne sont pas en train de courir un danger encore plus grand. L’état d’urgence prolongé de trois mois, des changements constitutionnels pour faciliter la déclaration – et étendre la durée – de ce même état d’urgence, un nombre de propositions visant à se retrancher derrière les armes, et des dispositifs légaux qui commencent à dégager une forte odeur de répression… Est-ce bien dans une telle société que nous voulons vivre ? Une société tellement en proie à la peur qu’elle en oublie ses libertés ? Qu’elle en perd jusqu’à l’envie même de s’en servir ? J’ai du mal à imaginer un tel avenir pour mes enfants. Il faut bien sûr analyser la situation et trouver les failles qui ont permis aux terroristes de nous frapper, mais il faut aussi être conscient du fait que le risque n’est jamais zéro. Comment débusquer, dans une société libre, un individu déterminé à agir, un individu prêt à sacrifier sa vie pour ariver à ses fins ? La réponse est simple : cela est tout simplement impossible. Même une société policée à l’extrême n’y arriverait pas, fût-elle prête à tout sacrifier sur l’autel de la sécurité, autel servi par les caméras de surveillance, les algorithmes sécuritaires et des légions d’agents secrets. Elle arriverait par contre avec une efficacité suprême à suprimer la liberté, conquise – et préservée ! – au bout de combats centenaires. Et il semblerait que ce combat-ci ne se termine jamais. Aujourd’hui, ce ne sont plus les puissances étrangères ou les populations révoltées, et ce ne sont même pas les terroristes qui se dressent contre nous. Non, la situation est bien plus grave, parce que l’ennemi de la liberté, aujourd’hui, c’est nous, c’est notre peur.
Et l’Union dans tout ça ?
Un dernier mot avant de conclure. Vous savez sans doute que le Sanglier est un Européen convaincu. Un des moments les plus heureux fut pour moi celui de la création de l’espace Schengen et l’abolition des contrôles aux frontières intérieures. C’est le symbole même de l’unité européenne, unité qui permettra au Vieux Continent d’avoir son mot à dire dans le monde moderne, de garantir la liberté et la prospérité des 500 millions d’hommes et de femmes vivant entre l’Océan, la Vistule et la Méditerranée. Aujourd’hui, pris de panique devant la menace terroriste, panique habilement entretenue par les pourfendeurs de la liberté et les partisans d’un nationalisme suranné, beaucoup demandent l’abolition de cet espace de la liberté. Je suis convaincu que ce grand pas en arrière mènerait au morcellement de l’espace européen, au retour des nationalismes et de tous les démons dont on se croyait débarrassé depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Et le pire dans tout cela, c’est qu’un tel retranchement ne permettrait pas non plus de vivre en sécurité. Est-ce que les criminels ou les terroristes ont jamais été impressionnés par les frontières ? Quand il suffit d’un peu de détermination et de quelques pourboires savamment distribués pour que le tour soit joué ?
Les attaques terroristes ont pourtant clairement montré l’échec des services de renseigenements destinés à nous protéger. Et on peut légitimement se poser des questions à propos de l’efficacité de mesures sécuritaires comme la conservation des données de télécommunication pendant douze mois, mesure en vigueur en France et en Belgique, les deux pays actuellement dans le colimateur des terroristes islamistes. Est-ce qu’il ne faut pas plutôt envisager une meilleure coordination entre les polices, abolir, à ce niveau aussi, les frontières pour permettre aux services de communiquer et d’échanger des donées vitales ? Créer plus d’Europe, dépasser les jalousies et les particularismes pour arriver à plus d’efficacité, tel doit être le mot d’ordre du combat pour l’avenir.
Continuons à écraser l’infâme, puisque celui-ci continue à montrer sa sale gueule, mais ne détruisons pas, du même coup, l’avenir…
