En-tête de la Bauge littéraire

Tha­lia Devreaux, Les coquines en vacances 2

J’ai décou­vert Tha­lia Devreaux il y a presque exac­te­ment un an, grâce à son recueil Les coquines en vacances, recueil que j’ai aus­si­tôt fait entrer dans l’é­di­tion 2020 des Lec­tures esti­vales du San­glier. À l’é­poque, j’ai dû for­mu­ler quelques réserves à pro­pos du motif esti­val que j’ai trou­vé un peu trop faible dans cer­tains des récits réunis, même si la force de l’un d’eux, Crème solaire, n’a pas man­qué de me récon­ci­lier avec une autrice qui d’ailleurs a don­né de nom­breuses preuves de sa maî­trise du genre éro­tique. Suite à la publi­ca­tion de mon article, il y a eu quelques échanges entre nous sur Twit­ter, et Tha­lia m’a­vait lais­sé com­prendre que le pro­chain recueil esti­val méri­te­rait plei­ne­ment sa dési­gna­tion. Ce recueil, je l’ai atten­du avec toute l’im­pa­tience de l’en­fant à la veille de Noël, et je ne vous dis pas la joie que j’ai res­sen­tie quand j’ai enfin pu lire l’an­nonce de sa publication :

C’é­tait le 29 juin et j’ai aus­si­tôt fon­cé vers la bou­tique Kobo afin de me mettre sous la dent les nou­velles aven­tures de ces coquines qui méritent si ample­ment leur sobri­quet. Et je n’ai pas été déçu ! Rien qu’à regar­der l’an­nonce, j’ai aus­si­tôt com­pris que Tha­lia avait tenu parole et que, cette fois-ci, l’é­té et ses plai­sirs se trou­ve­raient réel­le­ment au centre du recueil si mer­veilleu­se­ment illus­tré par une cou­ver­ture qui aus­si­tôt trans­porte l’es­ti­vant en germe sur les plages du lit­to­ral, sous un soleil tor­ride, au bord d’une mer scin­tillante au charme de laquelle il est impos­sible de se soustraire.

Celles et ceux qui ont sui­vi mes articles consa­crés à Tha­lia et à son uni­vers de coquines savent que ce qua­li­fi­ca­tif n’est pas un bête vocable pour dési­gner une femme qui adore céder à l’ap­pel de sa sen­sua­li­té afin de pro­fi­ter de son corps et – de pré­fé­rence – de celui des autres. L’au­trice est allée bien plus loin en se consti­tuant toute une ména­ge­rie de per­son­nages qui s’en­ri­chit à chaque fois qu’elle prend sa plume, soit en fai­sant aug­men­ter leur nombre – le nou­veau recueil esti­val voit se glis­ser une petite nou­velle dans le sérail, une dénom­mée Estelle1 – soit en appro­fon­dis­sant les per­son­nages en pré­sen­tant une nou­velle facette de leurs per­son­na­li­tés, en rajou­tant un détail à leur pas­sé ou tout sim­ple­ment en leur fai­sant faire de nou­velles expé­riences. D’un côté, il y a donc un vivier consti­tué à tra­vers des années de réflexion et d’é­cri­ture, et de l’autre une sai­son qui invite à libé­rer les chairs, à les expo­ser au soleil et aux regards, une sai­son qui fait bouillon­ner les sèves et les dési­rs et qui fait tom­ber les bar­rières – celles des vête­ments et en même temps celles des conve­nances. Pour­quoi attendre une meilleure occa­sion pour pui­ser à pleines mains dans un réser­voir aus­si riche et de rendre hon­neur à une sai­son appe­lée à com­bler tous les désirs ?

Le recueil com­prend quatre récits qui peuvent se consom­mer en vitesse, mais qui – je tiens à le dire avant de me mettre en route – font vibrer une corde bien au-delà du temps de lec­ture. Parce que, comme Tha­lia l’a déjà mon­tré par le pas­sé, l’au­trice excelle à titiller tous les sens afin de dou­ce­ment faire mon­ter la sauce quitte à pré­ci­pi­ter ses héroïnes – et le lec­teur avec elles – dans des abîmes sen­suels dont on ne remonte plus que pour deman­der de repar­tir en voyage.

Tout com­mence en dou­ceur, et c’est à la petite Marion, sans doute la ben­ja­mine du sérail, d’ou­vrir le bal en nous emme­nant sur les côtes de la Bre­tagne, auprès de ses grand-parents. Vous avoue­rez que, d’emblée, ce n’est pas un scé­na­rio des plus pro­met­teurs quand il s’a­git de vous embar­quer dans une aven­ture éro­tique. Mais il suf­fit de pla­cer dans de telles cir­cons­tances une coquine de la trempe d’une Marion afin de voir les occa­sions éclore au milieu des pay­sages même les plus déso­lés2. Marion, on se le rappelle,

agit sou­vent sans réflé­chir, selon ses envies et ça la met par­fois dans des situa­tions inattendues.

Et voi­ci réunis tous les élé­ments pour faire bous­cu­ler un scé­na­rio qui semble inven­té pour rendre impos­sible la moindre sur­prise dans un récit ter­ri­ble­ment éro­tique. Il suf­fit d’un seul ingré­dient aux pro­prié­tés incal­cu­lables, et voi­ci qu’on se retrouve au milieu d’une esca­pade qui allie exhi­bi­tion, voyeu­risme et gali­pettes en fai­sant un petit cou­cou, du fin fond du Golfe du Mor­bi­han, aux dark-rooms des don­jons et clubs pari­siens avec leurs fameux glo­ry-holes. Un rap­pro­che­ment qu’on n’a – très sérieu­se­ment – pas vu venir.

À lire :
Emmanuelle Hourmat, Noyade sensuelle

Après l’ex­cur­sion bre­tonne, cap sur une région plus en phase avec l’i­dée que la plu­part d’entre nous – et votre ser­vi­teur tout d’a­bord – se font des mythiques Grandes Vacances sous le soleil : la Côte d’A­zur. On s’embarque cette fois-ci en com­pa­gnie de Mar­jo­rie et de son petit copain Jéré­my, invi­tés tous les deux dans la vil­la d’un couple d’a­mis près de Nice. On ima­gine le décor : pis­cine, ter­rasse, bar­be­cue le soir, copieu­se­ment arro­sé par un Rosé de Pro­vence dont la légè­re­té se confère aux esprits qui se prennent à son­der les pos­si­bi­li­tés et à fan­tas­mer. Et quand on connaît les anté­cé­dents de Mar­jo­rie, on a une petite idée à pro­pos des suites que l’au­trice compte don­ner à de tels débuts :

Elle [i.e. Mar­jo­rie] est en couple avec Jéré­my mais peu à peu ils découvrent les délices d’a­voir une vie sexuelle avec d’autres personnes.

On aura été aver­ti, et il faut avouer que l’au­trice ne cache pas ses inten­tions, et ce dès le titre du récit : Vacances entre amis. Le moyen d’être plus clair encore ? S’il n’y a donc pas de sur­prise quant à la conclu­sion, on peut tou­jours se deman­der com­ment celle-ci va être atteinte, un peu à la façon de ceux qui se sou­cient si peu du but pour­vu que la route soit belle. Dans le cas de Mar­jo­rie et de ses com­pa­gnons de jeu, Tha­lia les engage dans un bal­let sous le soleil esti­val où on les voit tour­ner les uns autour des autres, pro­fi­tant des mou­ve­ments autour des obs­tacles pour dou­ce­ment se rap­pro­cher avant de tom­ber entre les bras accueillants des uns et de plon­ger entre les cuisses grandes ouvertes des autres où le plai­sir fait bouillon­ner les jus dans les pro­fon­deurs de la chair.

Pour le récit sui­vant, pas moyen de tri­cher en consul­tant la page où Tha­lia a réuni les pro­files de ses pro­ta­go­nistes vu que c’est avec Ini­tia­tion au plai­sir qu’Es­telle rejoint le rang des Coquines. Estelle est une « femme mure« 3 sans que l’on en sache plus que ça. Son âge n’est jamais révé­lé, mais on l’i­ma­gine quelque part autour de la fin de la qua­ran­taine / du début de la cin­quan­taine. Peu importe, son phy­sique la fait tou­jours remar­quer, même par des petits jeunes quand ceux-ci s’é­garent près de la crique où elle se pré­lasse au soleil. Estelle mène la vie d’une ermite, à l’a­bri des hommes sans pour autant les évi­ter. C’est juste qu’elle ne cherche pas acti­ve­ment à les croi­ser. Mais quand ceux-ci ont le bon­heur de la croi­ser, de bonnes choses peuvent arri­ver. Comme dans le cas de Mathieu, petit jeune d’à peine dix-huit ans, en vacances chez ses grand-parents4. Et voi­ci que tout est dit. Un jeune puceau, une belle femme qui aime le sexe, un texte qui porte son dénoue­ment dans le titre. On devine la suite. Mais Tha­lia nous a déjà fait savoir que ses textes ne visaient pas la sur­prise ou la « chute », mais qu’il s’a­git plu­tôt, pour elle, de mettre à nu les réseaux de la séduc­tion et de la mon­tée du désir. Et comme elle y excelle, le lec­teur prend un malin plai­sir à voir le jeune homme avan­cer et ensuite recu­ler avant de se lais­ser prendre au piège et de suc­com­ber aux charmes de la magi­cienne bienveillante.

À lire :
Raphaëlle Cazzo, Fin de vacances (pour Bérénice)

J’ai par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié ce petit texte, parce que Tha­lia a su confé­rer à sa pro­ta­go­niste une dimen­sion sup­plé­men­taire. Celle-ci ne se laisse pas réduire à cette troupe de « femmes mures » ou de « cou­gars » dont la cote ne cesse de mon­ter depuis des années et dont on s’a­muse à peu­pler les pages des textes éro­tiques et les rayons des vidéo­thèques vir­tuelles à la xvi­deos ou xham­ster, des femmes sans le moindre charme au delà de celui de leurs corps. Estelle, elle, s’est dotée, peut-être même à l’in­su de sa créa­trice, d’un charme aus­si mys­té­rieux qu’ir­ré­sis­tible à tra­vers la soli­tude qui a eu le temps de la façon­ner pen­dant des décen­nies et à tra­vers sa proxi­mi­té avec une nature mari­time qu’elle fré­quente au point d’être deve­nue une sorte d’ac­ces­soire de « sa » crique, l’es­prit qui la hante ou plu­tôt l’a­nime, res­pi­rant à tra­vers le bruis­se­ment des vagues et le vent qui joue avec les graines de sable et les sou­ve­nirs, un peu à la façon des esprits qui, dans l’an­cienne Grèce, ani­maient la nature en se confon­dant avec « leurs » objets. Je me demande si l’au­trice s’est elle-même ren­due compte du petit miracle qui s’est accom­pli sous ses yeux, à tra­vers sa plume ?

Avec le der­nier récit, Les vacances de Valou, on quitte la plage pour rejoindre l’héroïne épo­nyme pen­dant une semaine de vacances auver­gnates où elle laisse libre cours à ses pen­chants de sou­mis­sion. Les jeux com­mencent, rien de plus évident, pen­dant le voyage en train, et son « Maître » fera de son mieux pour four­rer la jeune femme dans des situa­tions où celle-ci peut lais­ser libre cours à la per­ver­si­té innée de celle qui s’est fait connaître, dans le monde des Coquines, à tra­vers son Jour­nal d’une chienne.

Après avoir lu et appré­cié ces quatre récits pla­cés sous le signe de l’é­té et des gali­pettes, le juge­ment est sans appel : Tha­lia a tenu parole, le recueil « consa­cré sur [sic] l’é­té de mes [i.e. l’au­trice] coquines » effec­ti­ve­ment « [répond] plus aux cri­tères de l’é­té« 5. Les « cri­tères de l’é­té » m’ont bien fait un peu sou­rire, mais les coquines que Tha­lia Devreaux a appe­lées à sa res­cousse ont su faire de moi, une fois de plus, la vic­time consen­tante qui ne demande pas mieux que de tom­ber sous le charme d’une Nymphe abri­tée dans une cabine de plage bre­tonne ou celui encore d’une Sirène soli­taire dans sa crique éloi­gnée, quitte à rejoindre la joyeuse troupe des esti­vants en cha­leur réunis autour de la pis­cine d’une vil­la sur la Côte d’Azur.

Lec­trice, lec­teur ! que vous soyez déjà par­tis en vacances ou que vous atten­diez encore votre tour, je vous invite à ache­ter ce petit texte afin de vous mettre dans l’am­biance d’un été lit­té­raire où la cha­leur de la cani­cule se réduit à celle d’une brise prin­ta­nière face à l’in­cen­die sen­suel où naît et où se consume le désir.

Tha­lia Devreaux
Les coquines en vacances 2
Auto-édi­tion
ISBN : 1230004871361

  1. À l’heure où je rédige cet article, l’au­trice n’a pas encore eu le temps de mettre à jour le réper­toire de ses coquines↩︎
  2. Loin de moi l’i­dée de trai­ter les pay­sages bre­tons de « déso­lés » ! Il suf­fit de (re)lire les Aven­tures Pari­siennes afin de s’en convaincre en assis­tant aux ébats d’I­sa­belle et de Ste­fan. ↩︎
  3. L’au­trice dans la des­crip­tion du recueil dis­po­nible sur son blog. ↩︎
  4. On aura remar­qué que l’au­trice semble avoir une pré­di­lec­tion pour ce genre de scé­na­rio : une jeune per­sonne arra­chée à son envi­ron­ne­ment fami­lier, cou­pée des dis­trac­tions habi­tuelles et ren­voyée à ses propres moyens, en réduit à com­po­ser avec les situa­tions – aus­si inso­lites soient-elles – aux­quelles elle se trouve confron­tée ↩︎
  5. Cf. le tweet de l’au­trice du 26 juillet 2020 cité dans Tha­lia Devreaux, Sou­ve­nirs d’été. ↩︎