Un été d’enfer. Un titre qui peut évoquer un tas d’idée, pouvant aller des notions métaphysiques de péché et de chute originelle jusqu’à une acception des plus banales revêtant la forme d’une sorte de bête superlatif – un été tout bêtement super donc. On se doute bien que nous sommes loin, dans un texte porno, de l’univers d’un Bernanos où l’omniprésence du péché est une donnée incontournable contre laquelle se brisent les personnages. Mais il serait faux aussi de le réduire au seul fun des estivants venus faire la fête sur les plages et dans les criques de la côte sauvage de la Bretagne, même si tout cela n’est pas absent du texte de Roseline Parny. Avant toutefois d’aborder de telles considérations et de suivre de près les personnages et surtout la protagoniste – Anne, trente ans, éditrice de son état[1]Encore cette obsession, de la part d’un écrivain, de puiser ses personnages dans le milieu de l’édition… J’avoue que cela me tape légèrement saur les nerfs. Surtout parce que, moi aussi, j’ai … Continue reading – je tiens à partager avec vous, chers lecteurs, quelques détails à propos de l’histoire du texte en question, des détails qui pourraient peut-être fournir des pistes quant au sens qu’il faut donner au titre.
Comme si souvent quand il s’agit de textes édités par Média 1000, celui-ci est une réédition. Dans le cas d’Un été d’enfer il s’agit d’un roman initialement paru en 2004 sous le titre Chaleurs lubriques. Ensuite, le texte a été réédité une première fois en juillet 2015, doté d’une couverture radicalement différente mais ayant gardé le titre, avant de voir les Chaleurs lubriques se muer en Été d’enfer à l’occasion de la dernière réédition en date quatre ans plus tard. Et comme si ce n’était pas encore assez compliqué, la couverture de cette dernière mouture est celle de l’édition originale de 2004. Vous conviendrez de ce que cela peut porter à confusion quand un lecteur potentiel voit s’afficher, sur 7switch par exemple, un seul et même texte avec des titres et des couvertures que rien ne réunit sauf le nom de l’autrice. Je ne suis pas au courant des raisons ayant poussé les responsables de la collection à présenter leur texte sous des dehors aussi radicalement différents (une question de droit d’image ? le goût du public qui aurait évolué ?), toujours est-il que ces visuels évoquent des ambiances diamétralement opposées. Si tout est évidemment centré sur des personnages à poil – le nombre de filles ne change pas tandis qu’il n’y a qu’un seul mec dans les éditions de 2004 et de 2019 respectivement – celle de 2015 (celle du milieu dans l’illustration ci-après) est tout empreinte de joie estivale – deux filles en costume d’Ève dans une piscine, un mec de très bonne humeur dans le transat, la scène plongée dans une lumière bleutée aux reflets solaires – celle des deux autres éditions dégage quelque chose de plutôt sinistre – un seul homme en train de ruminer on ne sait trop quelles idées noires tandis que deux filles se tiennent serrées l’une contre l’autre comme pour se protéger d’un malheur qu’on devine près de frapper à travers les couleurs d’un ciel drôlement illuminé qui menace d’engloutir des chairs qui n’ont plus rien d’épanoui.

Vous voilà avertis, chères lectrices et chers lecteurs de la Bauge littéraire, qui ne risquez plus de dépenser vos sous pour une seule et même histoire. Mais il faut sans doute arrêter de vous embêter avec tous ces préliminaires et finalement aborder le texte et son intrigue. Après tout, à quoi bon se vautrer dans la fange du péché ou sous les rayons d’un soleil estival si on vous empêche d’y assister ne fût-ce que par verbe interposé ?
L’été infernal imaginé par Roseline Parny commence comme un conte de fée pour amateurs de porno, avec deux femmes à poil qui se croisent dans l’unique salle de bain d’une villa à Quiberon en se faisant des réflexions à propos de leurs poitrines respectives :
— Ben dis donc ! T’as des nichons superbes…[2]Roseline Parny, Chapitre premier
Pas de doute possible, on est en plein terrain porno tel que Media 1000 le cultive avec le succès que l’on connaît depuis les années 90, et la suite promet d’être chaude. Et comment en serait-il autrement avec une bande d’hommes et de femmes plus ou moins jeunes aux mœurs plus ou moins libérées réunie le temps de quelques semaines de vacances dans un environnement tout aussi propice à la réclusion à deux qu’à la promiscuité la plus débridée ? Et comme dans tout récit estival qui se respecte, le tout commence – après maint tripotage de poitrine et de cul et même une belle partie de jambes en l’air impliquant la protagoniste et son cher et tendre – par une excursion à la plage. Et c’est à cette même plage que la protagoniste, belle jeune femme aux « seins [qui] se tenaient aussi bien que ceux d’une gamine qui venait de réussir son bac ».[3]Roseline Parny, Un été d’enfer, Chapitre premier reçoit un coup de fil qui fait démarrer l’intrigue pour de bon. Foin des détails, mais voici que la belle Anne, quelque peu coincée malgré des débuts qui laisseraient comprendre le contraire, débarque à Paris pour accueillir Sergo, un écrivain tchétchène qu’elle imagine en gros barbu et qu’elle découvre – à sa plus grande surprise et à son plus grand plaisir, même si cela, elle ne le sait pas encore – un jeune étalon des plus séduisants. Elle ne tardera pas à découvrir les atouts de taille dont l’écrivain en question est doté et qu’il entend mettre à la disposition de la belle venue le chercher à l’aéroport.
Je l’ai dit et je le répète : loin de moi l’idée de dévoiler de quelconques détails à mes lecteurs ! Après tout, c’est là que réside le charme principal d’une lecture porno, dans les détails, dans la façon de l’auteur de les présenter, d’amener et de mettre en scène les rencontres. Qu’il suffise donc de vous dire que notre Anne aura vite – très vite ! – fait de succomber aux charmes de l’éphèbe ramassé à Roissy qui ne se gêne pas quand il s’agit de profiter de l’hospitalité de son éditrice. Qu’il n’hésite d’ailleurs pas à poursuivre jusque dans son refuge estival quand celle-ci, effrayée par le côté « bête de sexe » réveillé et révélé par les incessants efforts de son invité, prend la fuite vers des contrées bretonnes plus familières pour se rassurer à propos de sa personnalité en rejoignant son mari d’abord sous la douche et ensuite dans le lit réservé aux ébats légitimes.
Mais si dame Roseline concède à sa protagoniste le plaisir de s’endormir aux côtés de son mari qui vient de remplir consciencieusement auprès d’elle les fonctions de son état, rassurée à propos de son caractère de femme fidèle et exemplaire, c’est uniquement pour mieux la jeter dans le désarroi quand celle-ci est réveillée, en pleine nuit, par le boucan d’un Sergo désespéré et saoul parti de Paris pour reconquérir son amoureuse qui a vainement imaginé qu’il suffisait de quelques centaines de kilomètres pour faire cesser l’appel de la chatte – de SA chatte, pour être précis. Tout ça se poursuit dans un charivari pas possible où les chairs joyeusement se mêlent et où les liquides coulent à flot avant d’être absorbés par des bouches et autres orifices avides et toujours prompts à se présenter.
Jusqu’ici, rien de bien étonnant pour un roman porno. Mais voici que la protagoniste, confrontée par son mari à son réveil sexuel et aux conséquences qu’il faudra en tirer, se retrouve toute seule dans la villa, face à la lettre qui la congédie et l’invite à aller chercher de l’aide auprès d’un psy. Voici que tout s’assombrit et que la lueur estivale, pour quelques instants, disparaît devant la vision terne d’une réalité dont la protagoniste ne voudrait plus. Encore faut il savoir le réaliser, et on se demande si Anne y serait parvenue sans l’aide de la queue monstrueuse de son amant de passage qui a su si bien la limer qu’elle a fini par la pousser de l’autre côté de la clôture dans une sorte de transgression aux origines très physiques.
Maintenant, avec tout ce que j’ai pu vous dévoiler sans vous ôter le plaisir de la découverte, si on revenait vers la question du choix de la couverture ? Et en même temps du titre ? Après lecture, il s’avère que leur choix peut effectivement donner des idées à propos d’un texte qui, au lieu de progresser vers la conclusion de façon linéaire, avance en sautillant à gauche et à droite afin d’explorer ce que peut cacher une végétation luxuriante où les secrets – de famille et autres – foisonnent à l’abri de la lumière et des yeux curieux. Face à toutes ces convolutions arabesques, il me semble qu’on peut affirmer que les lectrices et les lecteurs qui, ayant cédé à l’appel de la chair dénudée et à la promesse de quelques heures d’une lecture lubrique découverte au hasard des passages dans quelque librairie de gare, sont bons pour une surprise de taille. Et je ne parle pas ici – pas uniquement de toute façon – de la queue de Sergo…
Si la lubricité est sans aucun doute l’élément majeur du texte ayant conduit les éditeurs à choisir, pour la réédition de 2015, une couverture qui exprime tout d’abord la joie de vivre non mitigée que peuvent ressentir des personnages réunis dans le plus simple appareil autour d’une piscine illuminée par un soleil estival, c’est la disruption douloureuse à laquelle est confrontée la protagoniste qui a imposé le retour à une couverture plus sombre, plus violente aussi, à partir de l’édition de 2019. Question de détail, bien sûr, mais qui montre, à mon avis, que ce n’est pas aux marketeurs qu’on laisse, chez Media 1000, la dernière parole quand il s’agit d’un morceau de littérature – ne fût-ce qu’un simple roman porno de gare.
Avant de conclure, un dernier mot à propos de cette Anne qui apparaît si ambivalente, si difficile à saisir, tiraillée entre, d’un côté, un lâcher-prise total face aux tentations de la chair et, de l’autre, une réflexion toute-puissante qui, une fois ses appétits sexuels satisfaits, la conduit à garder ses distances – des distances qu’elle justifie par une « valeur morale » qui l’empêcherait de considérer le sexe de « neutre », « une activité physique parmi d’autres »[4]l.c. Chapitre VIII – et la saisit au point de la ficeler dans un corset d’où elle est incapable d’apprécier la sexualité à sa juste valeur, en négation par rapport à la liberté que celle-ci véhicule. C’est un réel plaisir de voir se dresser, au milieu d’un paysage trop souvent dominé par les queutards dont les membres hérissent l’horizon, une figure féminine aussi complexe que cette trentenaire qui aura appris à en finir avec les illusions, prête à se jeter dans d’autres aventures que l’autrice nous laisse à peine entrevoir, mais qui auraient largement justifié une suite. Je vous donne juste ce beau passage du texte comme indice, une réflexion de la protagoniste face à un de ces actes sexuels, toujours assez rares dans la littérature porno, d’homosexualité masculine, un acte qui réunit Sergo et le frère de la narratrice dans une scène de plaisir oral :
Il y avait de l’innocence dans ce tableau. Une sorte de pureté qui éloignait toute idée de vice et de perversion. Comme si jouir sans entraves et sans contraintes quand on est jeune et beau était admis par tout le monde.[5]Chapitre VIII
Ce n’est qu’à la conclusion du texte qu’on comprend toute la portée de ce passage. Une portée que j’invite mes lecteurs à découvrir par eux-mêmes, de préférence couchés sur une plage chauffée à blanc par le soleil du sud ou près d’une piscine avec à la main un verre de rosé de Provence.
Roseline Parny
Un été d’enfer
Média 1000
ISBN : 9782744827419
Références
↑1 | Encore cette obsession, de la part d’un écrivain, de puiser ses personnages dans le milieu de l’édition… J’avoue que cela me tape légèrement saur les nerfs. Surtout parce que, moi aussi, j’ai déjà cédé à cette manie, faisant d’une des protagonistes de mes Chattes une écrivaine. |
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↑2 | Roseline Parny, Chapitre premier |
↑3 | Roseline Parny, Un été d’enfer, Chapitre premier |
↑4 | l.c. Chapitre VIII |
↑5 | Chapitre VIII |