Jusqu’à plus soif, c’est le titre du premier roman de Salomé Girard, texte qui nous arrive de l’autre côté de l’Atlantique, grâce aux Éditions JCL, maison avec à son actif, depuis 1977, quelques 475 titres [1]source : la page Historique de leur site internet.
On peut dire qu’il ne se passe pas grand chose dans ce roman. Alice, la quarantaine, reçoit une invitation à la cérémonie de départ d’un de ses anciens professeurs des Beaux-Arts, invitation qui la met quelque peu mal à l’aise vu qu’elle sera confrontée à ses années estudiantines, aux rencontres qu’elle a faites et aux souvenirs recouverts d’une couche de poussière vieille de vingt ans. C’est une balade entre son présent et son passé qu’elle entame, tout doucement, avec comme interlocuteur privilégié son chat bien-nommé, Sésame. S’ensuivent des incursions de plus en plus étendues dans le terrain de la jeunesse enfouie, entrecoupées de réflexions sur sa vie actuelle, son couple, son art, sur ce qu’elle a fait de sa vie. Les souvenirs, à force d’aller à leur rencontre, se font de plus en plus précis, de plus en plus vigoureux, et c’est assez tôt que le personnage énigmatique d’Élie-Naïde sort des eaux encore troubles du passé.
On sent que ce texte est un premier roman, et il faut parfois patauger, voire se donner un peu de peine, pour traverser les premières pages, mais la récompense, c’est la découverte d’un amour tout en douceur, aux couleurs sépia, celle des yeux d’Élie-Naïde, d’une fille étrange, surgie de nulle part, clandestinement entrée dans la vie d’Alice pour en traverser une minuscule partie, et y laisser sa trace indélébile. C’est précisément la rencontre avec Élie-Naïde que craint la narratrice, la confrontation avec une partie submergée de sa vie qu’elle n’ose avouer, voire assumer, de peur de voir la vie qu’elle s’est construite bouleversée. C’est à travers l’immersion dans sa jeunesse, la relation à elle-même de ces deux ans passés à la faculté, le renouvellement en quelque sorte de ses expériences, qu’elle trouve la force et l’assurance nécessaires pour finalement avancer afin de comprendre ce qui lui est arrivé, afin de reprendre le fil d’un conte resté sans conclusion, coupé et laissé en suspens par un départ inexpliqué.
Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce récit, rien qui ne fasse vaciller les colonnes sur lesquelles repose l’univers, rien qui puisse faire dérailler une vie, rien qui ne pousse quiconque à des extrémités, et pourtant, la rencontre entre Alice et Élie-Naïde ne peut laisser indifférent. C’est comme de ressentir, un matin d’été indien, le toucher aérien d’un fil d’araignée lumineux, une sensation passagère qui pourtant fait ouvrir les yeux sur le miracle qui nous entoure, sur les feuilles resplendissantes, couvertes de rosée, les toiles argentées aux fils lourds de gouttes, de minuscules réceptacles accrochés aux branches des buissons, où les rayons de soleil captifs forment des lacs de lumière dont la surface vibre d’une énergie douce et retenue. Non, il n’y a rien d’extraordinaire dans ce récit, sauf la beauté du monde en condensé.
Il ne se passe donc effectivement pas grand chose dans ce roman. Mais les mots de Salomé Girard, puisés à même la source de la condition humaine, illuminent le parcours de celui qui consent à se laisser emporter.
Salomé Girard
Jusqu’à plus soif
Les Éditions JCL
ISBN : 978−2−89431−472−2
Références
↑1 | source : la page Historique de leur site internet |
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