En-tête de la Bauge littéraire

Isa­belle Mutin, DeSi­rium Tremens

Voi­ci une décou­verte que j’ai faite, il y a quelques mois déjà, sur Face­book, réseau pour­tant lar­ge­ment sub­mer­gé par la caco­pho­nie d’un bavar­dage aux dimen­sions pla­né­taires. Mais, et le petit livre d’I­sa­belle Mutin (DeSi­rium Tre­mens, paru aux édi­tions Mutine) en est l’illus­tra­tion par­faite, on peut tou­jours y faire de très belles découvertes.

L’au­teur a réuni, sur une cen­taine de pages, des poèmes et des textes en prose où elle décline le désir aux accents du déses­poir. Un désir angois­sé né de la chair délais­sée et d’un manque de ten­dresse qui réclame d’être com­blé par l’im­pos­sible pré­sence humaine.

La meilleure illus­tra­tion en est four­nie par le texte le plus long du recueil, Dément ciel, où la cha­leur humaine se trouve confi­née aux chambres et aux éphé­mères îlots de lumière pro­vi­soi­re­ment arra­chés aux ténèbres de la souf­france par la frêle lueur trem­blo­tante des bou­gies. Une jeune femme y arpente les rues d’une ville sous la pluie, en com­pa­gnie de sa mère démente, pour rendre visite à son père enfer­mé dans le ser­vice de psy­chia­trie après une ten­ta­tive de sui­cide. L’é­té, sous la pluie inces­sante, s’y change en automne, et la clar­té étouffe sous les nuages d’où l’obs­cu­ri­té des­cend dans les rues et dans les cœurs pour pré­ci­pi­ter les per­son­nages dans une nuit sans fin.

Seule échap­pa­toire, le dia­logue avec un incon­nu dont les mots crus font flam­ber le désir de la femme dont le ventre se crispe sous ses assauts ver­baux. Et pour­tant, il fau­dra sor­tir pour retrou­ver la pluie éternelle :

« Com­ment puis-je brû­ler avec toute cette eau qui tombe encore du ciel ? Chaque jour, la pluie s’a­bat sur nous. Nous dégou­li­nons de fatigue mais nous mar­chons tou­jours. » [1]Isa­belle Mutin, DeSi­rium Tre­mens, p. 37

On n’é­chappe pas à la nuit, on a tout juste l’es­poir de lui mar­chan­der quelques ins­tants d’une lumière pré­caire, d’une chair mouillée et d’une soli­tude moins res­sen­tie. Quitte à en payer le prix. Et la jeune femme le paie, cou­chée sous le velux que battent les tam­bours de la pluie, allon­gée sur son lit, seule, la proie de ses propres caresses, fes­tin offert aux dieux sans visage, obs­curs et sombres, le bas­sin hou­leux sous un tan­ga déchiré.

À lire :
Christine Dupond-d'Angeac, Les ravages du Baba au rhum (sans rhum)

Des textes qui ne laissent pas indif­fé­rent, une langue où, à tra­vers la clar­té des construc­tions, percent les démons de l’obs­cu­ri­té, et des mots qui osent l’im­pu­dence dans une ten­ta­tive de for­cer l’a­mour. Les quelques mots d’I­sa­belle suf­fisent pour enta­mer les cloi­sons de notre indi­vi­dua­li­té assié­gée. On aime­rait péné­trer plus avant dans son uni­vers, avec des textes qui pous­se­raient plus loin dans les rues de sa ville noc­turne, à la ren­contre de celles qui guettent le lec­teur dans la chambre obs­cure, les yeux et les cuisses grands ouverts.

Isa­belle Mutin
DeSi­rium Tre­mens
Édi­tions Mutine
ISBN : 978–2911573606

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Isa­belle Mutin, DeSi­rium Tre­mens, p. 37