Rebecca, la créatrice des Degenerate Housewives [1]Pour rappel : Le titre original de cette série est Housewives at Play, et je ne comprends toujours pas comment on a pu opter pour un titre différent – en anglais, ce qui plus est…, est de retour avec la deuxième livraison de ses Hot Moms, presque exactement un an après la parution du premier tome et six ans après que Dynamite a révélé au public francophone l’existence de sa bande de ménagères dégénérées, des femmes aussi déchaînées que décomplexées qui se sont donné rendez-vous à Hillvale, petite ville aussi exemplaire que modeste de l’Amérique profonde, pour en faire un repaire de lesbiennes à la sexualité farouche, déchaînée et sans limites.
Contrairement aux Ménagères, série entièrement consacrée aux amours saphiques, l’univers des Hot Moms est moins exclusivement féminin, et l’autrice permet à ses protagonistes de goûter aux bites juteuses dressées en leur honneur, fait auquel Rebecca revient dans l’interview accordée aux éditions Dynamite en mai 2015 :
Hot Mom’s (« Mamans chaudasses ») est une série un peu moins focalisée sur le lesbianisme, et qui puise davantage ses récits dans le réservoir classique des comportements déviants (gang bangs et diverses autres pratiques communes).[2]Rebecca, créatrice des Degenerate Housewives, interview accordée à Dynamite en mai 2015

Malgré cette présence bien visible des mâles, le lecteur comprend très vite que les acrobaties de ceux-ci ne servent qu’à fournir un prétexte supplémentaire à la mise en scène des corps de femme dans les poses les plus indécentes, les cuisses écartées au maximum, les fesses dressées, et les orifices béants et bien lubrifiés investis par des langues, des bites, des godes, des poings et par toutes sortes d’engins capables de bien remplir et de défoncer les orifices en question. Un spectacle à la hauteur des orgies romaines imaginées et exécutées de façon aussi brutalement sensuelles qu’elles ont fini par entrer dans l’imaginaire collectif des millénaires et dans la culture populaire du XXe siècle.
Le dessin de Rebecca, rapide, parfois presque sommaire mais toujours exécuté avec une énergie qui fait vibrer les planches, traduit la vitesse et la violence de la séduction telle qu’elle se pratique entre les femmes qui peuplent l’univers des Hot Moms, descendantes lointaines des bacchantes antiques ivres de volupté et incapables de résister au désir incandescent qui leur met le feu au cul et aux entrailles, faisant naître une voracité que seule la chair humaine saurait apaiser – demandez un peu son avis au célèbre poète thrace qui finit sa carrière déchiqueté et dévoré par ces Folles de Dionysos – encore que sa tête, jetée dans les flots, termina sa croisière infernale sur les rivages de l’île de – Lesbos.
Quant à ses personnages, ceux-ci restent souvent plutôt des modèles que des individus, les figures à peine ébauchées, un rouge brillant autour d’un espace blanc pour les bouches, les yeux très souvent invisibles derrière les paupières baissées, la peau et les cheveux à peine plus que des espaces uniformes de couleur avec parfois juste quelques ombres par souci de variation. Même les sexes des femmes ne jouissent pas d’une grande richesse de détails, mais il suffit de feuilleter quelques pages, de lire quelques dialogues et d’ouvrir grands les yeux sur le ballet endiablé des chattes dégoulinantes et des tétons dressés avec l’insolence des femmes en rut pour être emporté par le maelstrom d’une imagination lancée à pleine allure et pour comprendre qu’une autrice et scénariste de la taille d’une Rebecca n’a pas besoin de l’hyper-réalisme des clips porno tel qu’on les visionne sur internet pour atteindre son but : faire sombrer le lecteur dans un désir aussi irrésistible que celui qui dévore les personnages et leurs tristes quotidiens. C’est le désir qui met en branle la ronde infernale, celui-là même que fait naître la vision des fantasmes près de se réaliser, et le rythme de la danse augmente en même temps que l’intensité du désir qui anime les têtes et les corps lancés pour célébrer un sabbat qui n’a absolument rien à envier à celui de la nuit des sorcières. Et c’est ainsi que les ménagères frustrées, conduites par des tentatrices tout droit sorties des imaginations qu’on avait cru sage d’enfermer dans les Enfers de la Bibliothèque nationale, se retrouvent dans des scénarios dont l’inspiration pornographique conduit tout droit dans un univers où la jouissance est la fin qui justifie tous les moyens, quitte à prostituer sa propre sœur ou à violer la mère de ses camarades de classe.
Le tome 2 des Hot Moms propose deux épisodes initialement parus séparément en avril et en novembre 2004 respectivement, chez l’éditeur américain Eros Comix. Le premier, Homecumming, s’inspire de cet événement on ne peut plus américain, le bal de la rentrée scolaire (le célèbre « home-coming »), pour mettre en scène des délires sexuels qui finissent par submerger les volontés jusqu’à faire oublier tout ce qui n’est pas jouissance. Le récit réunit, d’un côté, Alicia et Crystal, deux ados de dix-huit ans qui profitent de cet espace-temps mythique, invitation tendue à tous les fantasmes, pour s’initier à l’amour entre femmes et, de l’autre, la mère de l’une de celles-ci, la délicieuse Mme Kamen, une MILF chargée de faire patienter les cavaliers servants des deux dulcinées occupées à s’envoyer en l’air. On devine la façon dont elle se décharge d’une corvée bientôt transformée en orgie qui lui permet de renouer avec des besoins refoulés depuis longtemps sous les coups de boutoirs de deux vigoureux jeunes hommes.

Le deuxième épisode, Makin Bacon[3]Une expression assez bas de gamme pour désigner une relation sexuelle, l’idée de base étant qu’il s’agit de deux cochons occupés à se vautrer dans la fange en copulant. Je tiens à rappeler ici … Continue reading, pousse le vice encore plus loin et on y retrouve réunis la panoplie des sujets que Rebecca sait mettre à profit afin d’illustrer les fantasmes les plus inavouables : le chantage, l’inceste, le viol, la prostitution, aucune perversion ne manque à l’appel quand Rebecca ouvre grandes les barrières construites pour endiguer les passions qui risqueraient sans doute de dissoudre les liens sociétaux dans le bain acide du délire des sens. Voici donc Sue et Deb, deux sœurs dont l’une décide de faire de l’autre une prostituée afin de se payer une vie de luxe. Et comme, dans le monde de Rebecca, les assauts des unes finissent toujours par réveiller les désirs des autres, Deb, d’abord contrainte et mise au pas par le chantage – le grand classique des photos prises par smartphone et à deux clics du partage en ligne – , finit par embrasser sa nouvelle condition, passant même maîtresse dans l’art de mettre à profit le corps dans tous ses états, jusqu’à la grossesse qui ne l’empêche pas de continuer à proposer ses services et à financer le train de vie de sa sœur exigeante. Mais, et là aussi c’est du plus pur Rebecca, il faut attendre l’initiation lesbienne pour permettre à Deb de toucher au paroxysme et de réaliser, en embrassant son sort et en prenant son élan vers une totale liberté, que, finalement, elle n’aime que ça
À partir de ce moment, j’étais libre. Totalement. [4]Rebecca, Hot Moms #2, p. 42
L’important, pour Rebecca ainsi que pour ses lectrices / lecteurs, c’est de placer la femme au centre de tous les désirs et de tous les fantasmes, et de donner libre cours à une imagination qui ne recule devant aucun excès pourvu que celui-ci contribue à la libération du désir en conduisant à une jouissance capable, de par sa puissance, de faire changer de vie. Et voici le vrai sujet récurrent de l’autrice américaine, le fantasme qui engendre tous les autres, celui du changement de vie rendu possible par la sexualité et une acceptation sans condition des exigences du désir, par la volonté de céder à toutes les séductions dans le seul but de jouir jusqu’à en oublier, dans la tourmente et le rabaissement, les contraintes et les limites de la condition humaine.
Rebecca
Hot Moms, tome 2
Dynamite
ISBN : 9782362348112
Références
↑1 | Pour rappel : Le titre original de cette série est Housewives at Play, et je ne comprends toujours pas comment on a pu opter pour un titre différent – en anglais, ce qui plus est… |
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↑2 | Rebecca, créatrice des Degenerate Housewives, interview accordée à Dynamite en mai 2015 |
↑3 | Une expression assez bas de gamme pour désigner une relation sexuelle, l’idée de base étant qu’il s’agit de deux cochons occupés à se vautrer dans la fange en copulant. Je tiens à rappeler ici que la Bauge est bien, d’après le Petit Robert, le « gîte fangeux » du sanglier :-) |
↑4 | Rebecca, Hot Moms #2, p. 42 |