Elle est de retour. Mémé Cornemuse, la vieille qui, après Les vacances d’un serial killer et La petite Fêlée aux allumettes, s’embarque dans une troisième aventure dont le titre donne la mesure de son ambition démesurée et futile à la fois : La vieille qui voulait tuer le bon dieu.
Tout se passe, comme toujours, à Pandore, ville de nulle part aux drôles de relents d’une Belgique populaire et surréaliste où, cette fois-ci, vient crécher, dans un couvent, une criminelle au nom rendu bizarrement familier par les faits divers très récents du Plat Pays. Et où les crimes, à l’image de la peinture d’un Magritte ou d’un Delvaux, peuvent atteindre à des dimensions surnaturelles, comme les assassinats de La petite Fêlée qui sont de véritables re-enactments des contes de fées d’antan. N’y manquent pas non plus les ingrédients locaux, comme les boulettes à la sauce lapin (plat liégeois sacrément bon), ou le parler bruxellois qui parfois nécessite une note de bas de page pour être compris par nos ami(e)s outre-Quiévrain.
Cette fois-ci, nous retrouvons la Cornemuse, virée manu militari de son boulot chez les flics, en pleine exercice du métier de concierge, dans un immeuble où la vie a déposé, au fil des années, sa lie de tarés. Un genre dont les spécimens ne manquent pas, à Pandore, et dont la découverte, au fur et à mesure des enquêtes de Ginette, veuve de fraîche date, et des rencontres de Cornemuse, révèle une société dont la folie est à la mesure des ambitions criminelles de la protagoniste – mesquines et démesurées à la fois. C’est donc en compagnie de ces deux mégères que le lecteur découvrira la faune terrée dans les sept étages de l’immeuble en question, sans bien sûr oublier les niches écologiques que constituent la cour et la cave et dont les occupants méritent tout l’intérêt d’un lecteur bizarrement reconverti en entomologiste.
Il va de soi que le boulot qui fait vraiment chauffer les méninges de la Cornemuse, ce n’est pas le coup occasionnel de serpillière (ou plutôt de torchon, pour mettre à l’honneur le parler du terroir) pour nettoyer les paliers, mais la préparation du casse qui pourrait enfin la sortir de la misère et lui permettre de couler ses jours sous un ciel bien plus clément qu’à Pandore. Pas de bol, le hasard (à moins que ce soit la Providence) n’est pas son ami. Elle se retrouve, grâce aux agissements des locataires, avec sur le bras des cadavres et une voisine criminelle installée dans le couvent d’en-face qui suscite l’intérêt bien trop vif, au goût de la Cornemuse, des médias. On comprend que celle-ci n’a pas intérêt à se mettre sur le dos des gens en train de fourrer leurs pifs là où il ne faut pas, que ce soit ses anciens collègues de la volaille ou encore des journalistes fouineurs.
Si ce premier projet échoue, malgré toute l’énergie déployée par la grand-mère et son acolyte, suite au déménagement de leur voisin le joaillier, tout n’est pas perdu, parce qu’il lui tombe du ciel un fils devenu, par le plus improbable des hasards, banquier. Qui dit banquier sent le fric, et voici la Cornemuse embarquée dans un deuxième projet avec toutefois toujours la même ambition : avoir de pognon plein les mains pour déserter les parages pas si doux que ça de Pandore. Je vous laisse deviner l’issue de cette entreprise peu louable et les conséquences qui en résultent. Petit indice : le titre du livre donne une indication.
La lecture d’un livre signé Nadine Monfils, avec ses personnages qu’on ne risque pas de croiser ailleurs que dans les coulisses de Pandore, animés – et illuminés – par le feu sacré d’une imagination particulièrement débridée, c’est toujours un plaisir. Plaisir certes assez particulier, mais plaisir quand même. Mais, et je dois l’avouer presque malgré moi, le plaisir n’est pas à la hauteur de celui qu’on est en droit d’attendre après le chef d’œuvre que fut La petite Fêlée. Il y a comme un manque d’unité, de conséquence, comme si quelque esprit malin lui avait coupé sous le nez le fil d’Ariane qui aurait pu la guider à travers ce labyrinthe où les rencontres gratuites et les culs de sac sont peut-être un peu trop nombreux. L’absence des habitués du commico local, y est-elle pour quelque chose ? Les godasses jaunes, le fils Cornemuse, la criminelle au couvent, les voisins déjantés dont certains ne dépassent pas la qualité de figurants dans une intrigue qui ne les concerne pas plus que ça, le coup de tonnerre (ou plutôt de fusil) de la fin que rien ne prépare vraiment – il y a bien trop de fils dans cette broderie qui ne sont reliés à rien d’autre pour qu’on puisse pleinement profiter de la profondeur qui conviendrait à une ville comme Pandore, où le promeneur est toujours près de frôler une faille dans le tissu du quotidien et où les hommes au chapeau boule attendent qu’on leur glisse dans la poche les billets où s’inscrivent les vœux les plus chers des habitants. Et pourtant, malgré ces quelques faiblesses, quel plaisir que de patauger dans une réalité aussi juteuse, quelle joie que de se laisser emporter par une imagination telle que celle de Nadine Monfils.
Nadine Monfils
La vieille qui voulait tuer le bon dieu
Belfond
ISBN : 978–2714454515