Emma­nuelle Cart-Tan­neur, Et dans ses veines cou­lait la sève

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Emma­nuelle Cart-Tan­neur n’est pas une incon­nue des ama­teurs de nou­velles. Après un recueil numé­rique, publié sous le titre Ain­si va la vie par Numé­rik­livres, voi­ci un volume papier paru chez Terre d’Au­teurs qui réunit dix-sept textes écrits entre 2008 et 2012, et dont la plu­part a déjà été pré­sen­tés à des concours de nouvelles.

Cer­tains de ces textes appar­tiennent au domaine fan­tas­tique si cher aux nou­vel­listes depuis au moins le XIXe siècle, et on y croise, dans une salle d’at­tente pas comme les autres, des auteurs morts depuis long­temps (L’i­vresse des auteurs), un homme capable de faire sor­tir de leur cadre des élé­ments d’une pein­ture, que ce soit des objets inani­més, des ani­maux, voire des êtres humains (Le voleur), ou encore une tem­pête incar­née (Du vent dans les toiles). D’autres sont car­ré­ment réa­listes et décrivent des situa­tions qui, pour inso­lites qu’elles soient, peuvent arri­ver à tout un cha­cun, même si la plu­part d’entre nous pré­fé­re­rait de ne pas s’y retrou­ver. Que ce soit le sol­dat iso­lé entre la vie et la mort qui doit choi­sir quelle vie sacri­fier, la funam­bule toute seule dans la nuit, le fils cou­pable et reje­té qui revient dans la mai­son pater­nelle, déser­tée depuis long­temps, ou encore le brillant met­teur en scène qui, jour après jour, au milieu de la foule des adu­la­teurs, doit vivre avec le sou­ve­nir de l’oc­cu­pa­tion et de son crime, et expier la faute com­mise dans sa prime jeunesse.

Ce sont fina­le­ment ces der­niers, les textes donc à voca­tion réa­liste, qui l’emportent haut la main, et par­mi eux, ce sont les plus noirs qui collent. Ceux qui parlent d’une faute dont la mesure dépasse une vie humaine, ou celui encore qui illustre le peu de valeur que peut avoir, pour cer­tains, une vie humaine. Encore heu­reux qu’on tombe aus­si sur d’autres où la mort revêt un cos­tume aux cou­leurs moins sombres, et dans les­quels l’hu­ma­ni­té se défend bec et ongle contre le néant et les atro­ci­tés morales, et peu importe que ce soit un com­bat en silence, un geste que d’autres ne sau­ront peut-être pas appré­cier à sa juste valeur (La mer à voir, Les petites roues).

À lire :
Louis-Stéphane Ulysse, La solitude de l'ours polaire

Parce que, là encore, c’est un trait domi­nant des textes d’Em­ma­nuelle Cart-Tan­neur : tout s’y passe dans une ambiance feu­trée qui ne laisse aucune place aux mots gran­di­lo­quents, aux paroles en l’air, aux valeurs dont la pompe qui les entoure fait oublier la déshu­ma­ni­sa­tion qu’elles infligent aux membres de l’es­pèce. Mais atten­tion, cela n’empêche pas les actes d’a­voir une por­tée qui tra­verse les décen­nies, ou une cruau­té qui ferait dres­ser les poils à celui qui en serait le témoin.

On ne peut que recom­man­der la lec­ture d’un recueil, où même les textes les moins forts ont encore le mérite d’être bien écrits. Si je pou­vais me per­mettre de don­ner un conseil à l’au­teur, ce serait celui d’a­ban­don­ner le fan­tas­tique au pro­fit des récits réa­listes. Sa plume semble faite pour ces der­niers, pour des situa­tions où elle déniche l’hu­ma­ni­té des petits gestes. À lire une telle auteure, on ne peut que se féli­ci­ter du renou­veau d’in­té­rêt pour un genre long­temps hon­ni par les édi­teurs fran­çais, et dont la renais­sance coïn­cide avec la per­cée du numé­rique. Un phé­no­mène qui, appa­rem­ment, a des réper­cus­sions jusque dans l’é­di­tion clas­sique.

Emma­nuelle Cart-Tan­neur
Et dans ses veines cou­lait la sève
Terre d’au­teurs
ISBN : 978–2919407026

La Sirène de Montpeller

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