C’est ce matin que j’ai appris, à travers le Facebook d’une amie, que Jean-François Gayrard vient de décéder. Comme le silence s’est fait plutôt épais autour de lui depuis un certain temps déjà, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que c’est Jean-François qui a fondé les Éditions Numériklivres et que c’est à travers cette maison qu’il est devenu un des incontournables du premier essor des textes numériques du début des années 2010.

J’ai croisé Jean-François en 2012, et notre première rencontre a pris presque aussitôt des allures de pugilat à écrans interposés, suite à la question s’il fallait offrir ou non des SP aux blogueurs littéraires – SP que j’ai eu le culot de lui demander suite à une expédition prolongée dans le catalogue de cet éditeur où j’ai dégoté un texte à la description alléchante : La Pile du Pont, petit roman signé Audrey Betsch, une parfaite inconnue dans le domaine littéraire – un des premiers parus dans la collection e‑lire, celle de littérature générale appelée à recueillir par la suite quelques-uns des textes les plus mémorables de cet éditeur qui a fait une entrée en scène fulgurante en mai 2010. Quant au texte en question, j’ai finalement consenti, après maints coups de gueule de part et d’autre, inexorablement poussé par les chants de sirène des dieux de la « quatre de couv », à délier les cordons de ma bourse virtuelle. Grand bien m’en a pris, parce que c’est ainsi que j’ai pu découvrir un texte bouleversant qui m’a inspiré un article que je considère aujourd’hui encore, six ans plus tard, comme un de mes plus passionnés et de mes plus engagés.
Jean-François n’a jamais été un caractère facile, et la violence de notre première rencontre était loin d’être exceptionnelle. Comme j’ai pu en témoigner grâce aux échanges de mails entre lui et Anne Bert, écrivaine érotique déjà confirmée et future directrice de la collection L’Intime de Numériklivres, qui l’a précédé de presque un an sur la route des champs élyséens. C’est grâce à mes interventions que ces deux personnages d’exception se sont rencontrés, dans les couloirs du Salon du Livre de Paris, en mars 2014, rencontre houleuse qui s’est soldée par une collaboration fertile entre deux têtes fortes, toutes les deux passionnées de littérature et de sincérité, semblables à des tourbillons dont le passage, s’il laisse parfois des blessures, ne s’oublie jamais.
Connaissant de première main la sincérité de Jean-François, c’est à lui que j’ai confié mes deux textes, une décision jamais regrettée depuis, et je lui suis reconnaissant de m’avoir ouvert la porte de sa collection prestigieuse de littérature érotique dont le répertoire se lit comme un must-have de l’érotisme littéraire : Anne Bert, Barbara Katts, Clarissa Rivière, Christy Saubesty, Aline Tosca. Une liste qui, avec Anne Bert aux commandes de la collection L’Intime depuis juin 2015, était appelée à s’élargir bien davantage encore, mais le sort en a décidé autrement, Anne ayant eu bien trop peu de temps pour se consacrer pleinement à cette nouvelle tâche avant que la maladie avec sa paralysie progressive ne l’en empêche.

Une pause créative assez étendue a empêché le renouveau d’une collaboration littéraire avec Numériklivres, ce qui ne m’a pas empêché de rencontrer Jean-François en 2016, à l’occasion d’un périple dans les provinces australes du Royaume de France, à Avignon où, à deux pas du Palais des Papes, on a longuement discuté, en compagnie d’une autre autrice de la maison, Aurélie Gaillot, de projets littéraires, du rôle du numérique et de toutes ces aventures futures qui nous donneraient l’occasion de nous revoir pour saluer nos succès respectifs. Si j’avais su que cela allait être la dernière fois, jamais je ne l’aurais laissé partir. Et dire qu’on avait prévu de se revoir en 2018, à Lyon ou quelque part en Provence, rendez-vous qu’il avait dû remettre à plus tard pour des raisons personnelles.
Jean-François, tu me manques. Tu as rejoint les contrées obscures du souvenir où tu côtoies désormais cette autre amie partie beaucoup, beaucoup trop tôt elle aussi, Anne, dont le manque continue à faire mal, comme si quelque chose me rongeait les entrailles. Je vous salue, mes amis, et je lève des verres à n’en pas finir à votre mémoire. Voici les notes et les paroles qui ont accompagné la rédaction de cette note d’adieu, témoignage d’amour et de respect. Je pense que Jean-François ne les aurait pas réfutées : « Charge it again, boys, charge it again / As long as thou hast any ink in thy pen. »

We Be Soldiers Three
Pardonnez-moy, je vous en prie
Lately come out of the Low Country
Without any penny of money
Here, good fellow, I drink to thee
Pardonnez-moy, je vous en prie
To all good fellows, wherever they be
With never a penny of money
And he that will not pledge me this
Pardonnez-moy, je vous en prie
Pays for the shot whatever it is
With never a penny of money
Charge it again, boys, charge it again
Pardonnez-moy, je vous en prie
As long as thou hast any ink in thy pen
With never a penny of money