Les trémolos de l’amour, deuxième roman de Mokhtar Chaoui publié en version numérique aux Éditions Numériklivres, c’est tout d’abord l’histoire d’Amine et d’Ilham, un couple qui n’a rien de vraiment extraordinaire, uni dans une constellation des plus communes : d’un côté, l’homme qui jouit d’une situation sociale acquise et qui a l’habitude de voir venir vers lui les gamines attirées par le prestige de l’homme mûr et bien établi ; de l’autre, une jeune femme parée de rien que de sa beauté, la fraîcheur de sa chair et ses ambitions. Cela pourrait être très simple, sauf que, sous la plume de Mokhtar Chaoui, cela se complique très rapidement.
Avec Amine, professeur d’université, et Ilham, ancienne étudiante de celui-ci, Chaoui revient, une fois de plus, dans un de ses milieux favoris, celui de l’université marocaine, un espace, selon lui, « riche en situations » comme il l’a précisé dans une interview avec le quotidien Aujourd’hui Le Maroc, où il affirme que
« les facultés sont de véritables pépinières de l’amour et de la haine, de l’amitié et de la jalousie, des réussites et des échecs… » [1]Najat Faïssal, Entretien avec Mokhtar Chaoui, écrivain, paru dans Aujourd’hui le Maroc, l’édition du 2 juillet 2014
C’est bien de cela qu’il est question, dans le roman qui nous occupe, d’amour et de haine, même si l’univers universitaire est relégué dans les marges du récit, fournissant à peine quelques épisodes, comme celui où Amine rencontre les copines d’Ilham dans un café, ou quelques personnages peuplant l’arrière-plan comme les collègues d’Amine que celui-ci fréquente encore de temps en temps. Incidemment, on y retrouve un autre des sujets chers à Chaoui, à savoir le manque de responsabilité de ceux qui, ayant le devoir d’éduquer la jeunesse, de leur fournir des exemples, se contentent trop souvent d’abuser de leur position pour en tirer des bénéfices – sujet sur lequel il s’est prononcé avec verve dans l’interview déjà citée [2]Pour ne citer qu’un passage : « si on lit bien mes livres, on verra que je ne critique pas les profs, mais l’absence du sens de responsabilité chez certains… ». Dans le roman en question, on peut penser, dans ce contexte, au voyage en train de nuit des deux protagonistes – qu’on hésite à qualifier d”« amants » – voyage qui faillit se terminer en catastrophe suite à une escapade lubrique, ce qui permet ensuite de mettre en lumière les prétentions morales d’Amine qui manque cruellement à son devoir d’instructeur.
Tout cela n’est pourtant qu’accessoire à l’intrigue qui se tisse entre Amine et Ilham, intrigue qui débute comme si de rien n’était, de façon tout à fait discrète, simple variante de l’éternel boy meets girl. Mais la pression monte vite dans les espaces clos, et l’histoire d’Amine et d’Ilham, condamnés par les usages du Maroc et le refus d’Amine d’officialiser leur union, à vivre leur affaire dans l’intimité néfaste d’un éternel tête à tête, n’échappe pas à cette règle. Le cadre initialement choisi par Chaoui, sans doute pour rester fidèle aux habitudes de son univers romanesque, éclate en morceaux sous la pression des ressorts trop puissants qui font avancer les protagonistes, l’ambition et une obscure volonté de domination. Ce qui avait commencé en petit théâtre envahit l’espace humain tout entier, et les protagonistes, roués de coups administrés par eux-mêmes, s’effondrent, leurs visages devenus des masques au rictus figé où se déchiffre l’impossibilité de l’innocence et de l’amour.
Chaoui n’en reste pourtant pas là et introduit d’autres éléments dans son texte, des éléments autrement plus chargés de signification qu’un banal – et en fin de compte superflu – milieu universitaire, des éléments qui le fascinent et / ou l’obsèdent, comme l’impuissance qui, pour Amine, se présente sous un aspect double : celui de l’impuissance sexuelle – passagère – dont il se voit affligé pendant les premières semaines de sa relation avec Ilham, et celui de l’impuissance artistique qui efficacement détruit les ambitions littéraires de celui qui, obsédé par une certaine conception du vieux cauchemar légué par l’âge romantique, aimerait, en accédant au rang d’auteur de génie, se voir soustrait aux préoccupations du commun des mortels. Il suffit pourtant de lire les extraits des poèmes que Chaoui a la méchanceté de faire défiler sous les yeux du lecteur pour discerner, derrière la figure prestigieuse du professeur, le pauvre connard qui voudrait se donner une importance que ni son caractère ni ses actions ne justifient.
Tout ceci n’est pas bien lumineux, mais le pire attend encore d’être dit. Parce que, à regarder de bien près la figure boursouflée d’importance auto-infligée d’Amine, on se rend compte que celle-ci sert de miroir et renvoie au dernier des lecteurs sa propre bêtise, sa propre déchéance. Et puis, on se rend compte, soudain, que c’est donc à cela que peut encore servir la littérature – celle au moins qui mérite encore son nom : cracher à la figure de lecteurs trop lâches et trop aveugles pour voir leur gueule rongée par la bêtise et l’ennui.
Les trémolos de l’amour, c’est un texte qui se dévore, malgré – ou à cause ? – du dégoût qu’il inspire, et on en sort avec un besoin très fort de se laver les mains – et d’éviter les miroirs.
Mokhtar Chaoui
Les trémolos de l’amour
Numérilivres
ISBN : 978−2−89717−771−3
Références
↑1 | Najat Faïssal, Entretien avec Mokhtar Chaoui, écrivain, paru dans Aujourd’hui le Maroc, l’édition du 2 juillet 2014 |
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↑2 | Pour ne citer qu’un passage : « si on lit bien mes livres, on verra que je ne critique pas les profs, mais l’absence du sens de responsabilité chez certains… » |
Une réponse à “Mokhtar Chaoui, Les trémolos de l’amour”
Mokhtar Chaoui, quoique maîtrisant la langue de … Etienne de la Boétie, ne va pas jusqu’à se torturer et provoquer de profondes rides de son front à la recherche de ce qui ferait plaisir au lecteur… à ce qui se vendrait mieux et plus. Mokhtar se penche sur le clavier et laisse couler son « encre »… ou son « Smak » (encre à base de carbone, recette maison). Ses personnages ne passent pas devant une maquilleuse et n’apprennent pas par cœur leurs rôles, ni ne répètent. Ce sont Eux et ELLES et rien qu’EUX et ELLES, authentiques.
D’où le grand plaisir de lire ses romans, ce grand écrivain, parmi d’autres de son « espèce », qui ne cherche pas le « bon point », mais écrit dans le but de partager avec le lecteur le senti et le pensé de ses instants de transe.