Mais quel démon a donc choisi de s’installer dans la tête de Jean-François Joubert ? Le roman de cet auteur Brestois, qui embarque son lecteur sur une planète parallèle peuplée de chiens, ressemble à un délire grandeur nature où la cruauté le dispute à l’ennui quasiment génétique de la banalité du quotidien.
Dans ce texte que j’hésite de qualifier de roman, il y a des protagonistes, et il y a des scènes et des inventions inoubliables, mais il n’y a pas vraiment d’intrigue. Il y a les chiens, d’abord : Albert et sa sœur Julie, d’un côté, et Lucien, le pharmacien-maire amoureux de Julie, et sa femme maladivement jalouse, Fernande, de l’autre. Ensuite, il y a l’humain, Dudule, le grand-père du narrateur. Et puis, il y une armée de batraciens qui montent (c’est le cas de le dire, ils ont choisi la cuvette du WC pour sortir de leurs souterrains) à l’assaut de la propriété des De Bronsigny (AKA Albert et Julie) et se heurtent à la résistance d’une chienne devenue, pour l’occasion, mégère doublée de chef de cuisine. Et il y a la marée des chiots qui meurent sous une pluie de jouets grandeur nature et qui finissent écrasés sous la concrétisation de leurs envies. S’ils ne crèvent pas après avoir succombé aux attraits des fruits qui, dans ce monde-ci, sont mortels. Et dire qu’il n’en faut même pas cinq pour en arriver là…
Les chiens vivent sous une bulle, protégés d’un environnement rendu inhabitable par une guerre à laquelle le narrateur fait parfois d’assez vagues allusions. Vaguement, les représentants de la gent canine savent aussi qu’il existe, quelque part, un ailleurs, mais leur peur la plus viscérale, c’est de se trouver éjectés de leur monde familier, malgré ses dimensions dérisoires. C’est pour sauvegarder leur progéniture d’un tel destin qu’ils ont mis au point le programme de conditionnement de celle-ci, réalisé donc par les fruits empoisonnés et la pluie fatale. Dudule, lui, qui choisit de s’enfuir, trouve la sortie, et finit, sans trop savoir comment, par contempler la mer qui « [projette] son éclat jusqu’au centre de l’univers » (p. 17). Mais la bulle, elle, reste et continue à enfermer ceux et celles qui s’imaginent à l’abri tandis qu’ils s’exposent aux névroses des emprisonnés à perpétuité.
Les phrases, emportées dans un rythme de plus en plus hallucinant, se lâchent au fur et à mesure des événements, et si, pendant le premier tiers, on peut encore parler d’une syntaxe conventionnelle, on ne trouve ensuite plus guère que des phrases tronquées qui restent en suspens. Comme si le narrateur / l’auteur n’arrivait plus à assumer la folie qui fermente au cœur de sa matière grise, comme s’il ne pouvait plus répondre que par des cris suffoqués à l’absurdité du monde qu’il construit – à partir de quel enfer intérieur ?
J’ai parfois eu du mal à suivre le développement du récit, mais, quand je ferme les yeux et que je pense à l’étrange monde de Jean-François Joubert, j’entrevois des phalanges verdoyantes de grenouilles sortir des WC, cauchemar décliné à la sauce Hitchcock, et une société qui choisit d’écraser ses propres enfants plutôt que d’accepter les individus et les mondes qui mûrissent, parfois, en eux.
Allez voir pour vous-mêmes.
Parafer ordinaire
Éditions Kirographaires
ISBN : 978−2−8225−0140−8
20,45 €
Commentaires
Une réponse à “Jean-François Joubert : Parafer ordinaire – la bulle n’éclate pas”
thomas merci pour cette lecture fine et analytique, quelques moments absurde, des personnages dévoilés, moins d’ombre sur parafer, rencontre du paradis et de l’enfer ! Ordinaire, un peu provoque la rime forte quand comme toi, on l’a lu, l’absurde, et pour moi une forme d’humour et de dérision derrière la société formatée, conditionnée incapable de penser les plaies d’une histoire « masquée », je laisse comme toi les lecteur de la chronique se faire maintenant une idée, sur cet objet non indentifiée tel que la « petite sirène de Koort » policier déjanté surgissant de ma pensée difficile à saisir dans ses grande mais que je pose et défend en toute lucidité ! bref Danke ! et plaisir sourire !