Les habitués du Sanglier connaissent la soif terrible de cette bête des forêts teutoniques, une soif qui la pousse par delà les frontières pour y chercher de quoi apaiser le feu qui consume ses entrailles, un feu nourri par le besoin de littérature et par une bonne grosse envie de sexe qui dépasse les bornes de toute décence, une pulsion au cœur même de la transgression fantasmatique. Vous imaginez qu’une telle soif ne s’apaise pas facilement, et c’est pour cela que le Sanglier a pris l’habitude de lorgner de l’autre côté des frontières linguistiques. Après Barbara Shumway, présentée récemment avec plusieurs de ses textes, c’est le tour de Katie Ellison, autrice english croisée, comme Barbara, sur about.me, un site quelque peu égotiste de présentation de soi, sorte de carte de visite virtuelle, qui exerce une drôle de fascination sur les auteurs érotiques.
Il faut peut-être commencer par se poser la question de savoir s’il s’agit, dans le cas de Katie Ellison, précisément de littérature. Ses textes sont présentés comme des extraits de son journal intime, initialement publiés sur un blog destiné à rendre compte de sa découverte du polyamour, de ses premiers pas dans ce monde tout nouveau dont les portes restent fermées au commun des mortels, liés par les conventions d’un monde qui prône une sorte de monogamie sérielle :
« These extracts are not fiction, but real life accounts of her occasional affairs, swinging adventures and encounters over the past decade. » [1]« Ces extraits ne sont pas fictionnels, mais des comptes-rendus de ses affaires, de ses aventures échangistes et de ses rencontres dans la décennie passée. » 4ème de couverture du t. 1 des Journaux … Continue reading
N’ayant jamais croisé l’auteure sauf dans ses textes, il se peut bien sûr qu’il s’agisse d’une sorte de supercherie littéraire, procédé assez répandu depuis l’âge romantique et consistant à créer de fausses biographies dotées de toutes les apparences du réel. Quoi qu’il en soit, comme on parle exclusivement (ou presque) littérature dans la Bauge du Sanglier et que celui-ci tend volontiers sa patte à celles et à ceux qui lui proposent de voyager, on va prendre les affirmations de Katie Ellison au pied de la lettre et aborder ses textes, les Journaux de Modesty Ablaze (The Modesty Ablaze Diaries), comme s’il s’agissait des confessions véritables d’une femme épanouie par ses expériences intimement liées à sa sexualité libre et ouvertement assumée.
Comme on s’y attend en lisant un Journal, tout est écrit à la première personne. En suivant le récit, on découvre une femme que rien ne semble distinguer de la foule qui l’entoure, qui semble même incarner l’image qu’on se fait de la femme moderne : mariée, deux enfants, à l’aise au foyer et au bureau. Une femme dont les premiers pas dans la vie sentimentale ressemblent à ceux de la plupart de ses semblables. Jusqu’au jour où elle s’est lancée, presque malgré elle, dans une affaire extra-conjugale, avec toute la panoplie qui accompagne un tel fourvoiement :
Someone else found me attractive ! Wanted me ! Aroused me ! Excited me ! I just couldn’t help myself… even the complete feelings of guilt and shame in the aftermath, couldn’t stop me. I enjoyed it… and yes, I wanted it, I needed it. [2]« Quelqu’un d’autre me trouvait attractive ! Me voulait ! Me rendait chaude ! M’excitait ! Je ne pouvais tout simplement pas résister… même la panoplie entière de culpabilité et de honte … Continue reading
Une expérience qui n’a rien d’original, que beaucoup ont vécu, entre épanouissement et honte, et que beaucoup ont laissé détruire leur couple. Et voici la différence : La protagoniste de ce Journal très intime a eu la chance d’avoir un mari qui non seulement tolère les affaires de sa femme, mais qui l’encourage encore à prendre des amants, à condition de lui en parler, de tout lui raconter jusqu’aux plus petits détails. Voici donc donné le coup d’envoi d’une suite de rencontres que l’auteure a décidé de présenter ensuite sous forme de blog et dont elle a fini par tirer, au plus grand bonheur de ses lecteurs, une série de Journaux.
Ces épisodes tirés de la riche vie sexuelle non pas de Catherine M., mais de Katie (!) E. ont tous un trait en commun, au moins dans le premier volume que je viens de terminer, une certaine naïveté qui leur confère, malgré l’indécence des personnages et de certaines de leurs pratiques, une sorte d’innocence. Innocence qui rend d’autant plus crédible les affirmations de la protagoniste qui réclame, pour elle et ses textes, une position extra-littéraire, non-fictionnelle. Les choses qui se passent entre Modesty (aka Katie) et ses amants n’ont rien de très extraordinaire, et chacun dont la sexualité est un tant soit peu épanouie s’y reconnaît : les protagonistes s’y envoient en l’air à coup de suçage de bites, de grignotements de téton, de léchouilles de chattes et de coup de langues sur clitoris, le tout accompagné de baisers profonds et passionnés. C’est en vain qu’on y cherche des transgressions autre que celle qui se trouve au coeur même de l’affaire ou plutôt des affaires, le polyamour, rehaussé par une bonne grosse dose de candaulisme de la part de son mari. À part cela, les pratiques sexuelles de Modesty sont celles d’au moins 99 % de son lectorat, et personne n’y trouverait à redire.
Rien de spécial à signaler donc à ce niveau-là, si ce n’est une sincérité dans l’expression qui rend la protagoniste étrangement humaine, qui en fait réellement une semblable, une personne qu’on aimerait rencontrer, non seulement pour profiter de son ouverture d’esprit et son savoir ès galipettes, mais pour partager la chaleur toute humaine qu’elle fait irradier autour d’elle, contagieuse au point de faire de ceux qu’elle croise sur son parcours des êtres d’exception, des êtres qui investissent les têtes de celles et de ceux qui les découvrent à travers les textes de Katie Ellison. Et ceci est bien un exploit assez rare pour mériter d’être signalé, d’être présenté avec toute la force qu’il convient de mettre dans les expressions.
Si je vous signale donc les textes de Katie Ellison, c’est tout d’abord pour l’humanité profonde qui ressort de ses paroles, une humanité dont nous tous avons grand besoin dans ces temps de terreur obscurantiste, une humanité qui s’exprime précisément à travers ce que nous avons de plus humain, la tendresse et l’amour qui nous mènent dans les bras – et entre les jambes – de nos semblables. Ceci étant dit, je ne vais pas me priver de souligner à quel point les rencontres indécentes de Katie M. peuvent être bandantes. Une lecture donc qui s’épanouit entre chaleur humaine et chaleur sexuelle, phénomène suffisamment rare pour recommander à toutes et à tous cette femme d’outre-manche, femme dans toute la profondeur du terme.
Katie Ellison
The Modesty Ablaze Diaries
Part One « The Journey«
Auto-édition
ASIN : B00AXSUUZY
Références
↑1 | « Ces extraits ne sont pas fictionnels, mais des comptes-rendus de ses affaires, de ses aventures échangistes et de ses rencontres dans la décennie passée. » 4ème de couverture du t. 1 des Journaux de Modesty Ablaze |
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↑2 | « Quelqu’un d’autre me trouvait attractive ! Me voulait ! Me rendait chaude ! M’excitait ! Je ne pouvais tout simplement pas résister… même la panoplie entière de culpabilité et de honte ressentie après ne pouvait m’arrêter. Je l’aimais… et oui, je le voulais, j’en avais besoin. » The Modesty Ablaze Diaries, Part One, The Beginnings |