Quand on pense à l’été et aux vacances, nombreux sont ceux qui s’imaginent sur une plage déserte avec comme seule compagne la Grande Bleue, dans une solitude à peine brisée par l’une ou l’autre bestiole attirée par l’espoir d’un en-cas chipé des mains d’un estivant trop peu soucieux de ce qui se passe autour de lui. Of course, quand l’estivant en question est, comme votre serviteur, obsédé par les charmes du sexe féminin, l’évidence même dicte la présence à ses côtés d’une (au moins) compagne portée sur les galipettes et autres plaisirs tout aussi jouissifs. Quoi qu’il en soit des penchants plus ou moins avouables de la personne en question, l’image d’une petite crique déserte avec une belle étendue de sable fin, de l’eau claire pour s’y rafraîchir et un horizon lointain pour seule limite des contemplations, cela constitue la toile parfaite pour tous les fantasmes capables d’épicer un séjour sous le soleil. Et c’est exactement sur une telle image que s’ouvre le texte dont je compte vous entretenir aujourd’hui, chères lectrices, chers lecteurs, au seuil des Lectures estivales du Sanglier à peine entamées il y a quelques jours avec un texte sorti de la plume perverse d’Agathe Legrand. Mais voyez par vous-même :

C’est parfait, non ? Et on adore imaginer les rencontres charmantes et les scènes torrides appelées à se dérouler dans un tel cadre. C’est sans doute ce que s’est dit Igor & Boccère, un artiste[1]Il s’agit effectivement d’un seul artiste ayant scindé sa personnalité entre d’un côté la partie scénariste – Igor – et de l’autre la partie dessinateur – Boccère. Cf. la biographie sur sa page … Continue reading qu’on ne présente plus vu la panoplie fièrement arborée par les Éditions Dynamite sur les murs de leur demeure virtuelle. Et cette fois-ci le compère a poussé le vice jusqu’à nous projeter un film nourri par ses fantasmes inépuisables et une imagination dont les limites restent toujours à déterminer.
Comme je partage sans doute les penchants d’une très grande partie de mes lecteurs, à savoir la passion pour la chair nue et accueillante des femmes, j’imagine que, comme moi, vous seriez tenté de sauter les premières pages pour aller à l’essentiel. Mais je vous dis : « Halte ! » Prenez le temps de déguster chaque planche avec tous ses détails, vous serez largement récompensé de vos efforts (qui ne sont après tout qu’un petit délai qui en plus fera de la sorte que la découverte de la chair de Clémentine et de toutes les autres n’en sera que plus voluptueuse …) par la découverte d’un humour qui sournoisement se glissera sous vos yeux d’obsédés et qui finira par vous mener par le nez, une fois que vous vous serez pris dans les filets d’un imaginaire débordant soumis au service du rire. Et vous finirez sans doute par vous dire, avec la belle Clémentine, que …


Vous pouvez maintenant – et à juste titre – vous demander ce qui peut bien s’y passer pour qu’une si belle plage mérite d’être affublée d’un titre aussi douteux. Soyez pourtant rassurés, ce n’est pas moi qui vous dévoilera le détail des rencontres insolites desquelles notre jolie protagoniste deviendra, tout le long de son séjour, le témoin et où elle essayera de prendre un pied qu’elle n’arrive pourtant jamais à fermement planter dans le sable trop glissant des terres lubriques où elle s’est aventurée. Je vous laisse l’entier plaisir d’une découverte qui sera, je vous le promets, délicieuse et qui aura le mérite – rarement atteint par les ouvrages érotiques – de vous faire éclater de rire.
Quant à notre délicieuse héroïne, qui ne tardera pas à dévoiler à nous autres spectateurs l’entièreté de ses considérables charmes, comment peut-elle deviner que sa journée à la plage ne sera qu’une suite de rencontres les unes plus embarrassantes que les autres ? À moins évidemment que la première – un ivrogne qui, la bite à l’air, cuve son alcool après une soirée sans doute mémorable – aurait pu être un avertissement ? Quoi qu’il en soit, la belle Catherine si peu farouche ne se laisse pas intimider et continue à mettre son projet en œuvre. Dont le premier pas consiste à se dévoiler en moins de temps qu’il n’en faut pour vous décrire son passage à l’acte. Un régal pour les yeux, vous en conviendrez en laissant se promener vos regards le long des lignes sveltes de sa silhouette, un avis sans doute largement partagé par le voyeur qui ne tardera pas à se présenter devant la belle. Qui, elle, n’a pourtant que le très sage dessein de se plonger dans le bouquin qu’elle a apporté à la plage afin d’en apprendre plus à propos de L’Insoutenable légèreté de l’être telle que le bon vieux Milan Kundera l’a imaginée au début des années 80. Pas de chance pour elle – ni pour l’auteur – une fois arrivée à l’issue de sa première aventure, elle est tellement obsédée par l’envie de sexe qu’un vocabulaire très peu équivoque vient remplacer sur les pages les paroles du romancier tchèque. Et les occasions de conclure ne tarderont pas à se présenter. Sauf que celles-ci ne se déroulent jamais de telle façon qu’on aimerait l’imaginer en la présence d’une personne aussi alléchante, peu avare de ses charmes et – un comble – protagoniste dans une BD érotico-pornographique éditée par une maison hautement réputée pour ses prouesses dans le domaine. Mais rassurez-vous, je vous le répète, contrairement à l’héroïne, vous en aurez pour votre argent, et je ne peux que vous inviter à délier les cordons de vos bourses afin de récompenser un éditeur qui a le courage de proposer au chaland de l’insolite !
Quant au côté « artisanal », la facture, si vous voulez, un premier détail suffisamment rare pour le souligner ici, c’est que les planches, contrairement à la plupart de ce qu’on a pris l’habitude de voir dans le genre érotique, sont toutes en couleur. Ce qui, pour une intrigue censée se dérouler sous le soleil d’une journée d’été, ne peut qu’être un atout pratiquement indispensable. Les couleurs ne sont pourtant jamais éclatantes, ce qui a pour effet d’imaginer la crique où ont lieu toutes ces rencontres plutôt sous un ciel clément tel que celui de la Normandie ou de la Bretagne et assurément moins brutalement ensoleillé que celui du Midi. Les personnages, eux, si ce ne sont pas carrément des portraits et que parfois les visages se vident de tout détail, présentent quand même une belle individualité telle qu’on aimerait imaginer pouvoir les reconnaître dans la rue. Certains, pourtant, présentent des traits plutôt caricaturaux comme les trois « suceuses au selfie » – c’est ainsi qu’elles sont indiquées dans le générique de fin – preuve supplémentaire que le souci du dessinateur n’est nullement naturaliste.
Pour revenir à l’intrigue et à son côté humoristique, le caractère le plus singulier et le plus désopilant en est sans doute cette évidence des gestes les plus intimes et les plus insolites. Rien que les dialogues où le sexe est abordé comme un détail qui ne peut manquer de faire surface dans n’importe quelle conversation entre gens honnêtes. Une grande partie du comique découle effectivement de l’opposition entre les situations les plus cocasses et une attitude inébranlable des personnages, comme s’ils ne faisaient jamais rien d’autre que de discuter les avantages de l’enculade par rapport à la pénétration vaginale, avec à la main un verre de mousseux ou quelques canapés.

À quelques semaines des vacances – où on retrouvera, espérons-le !, un peu de légèreté – cette BD aussi légère que drôle – en plus d’être légèrement déjantée – est une superbe mise en bouche qui a le mérite de concilier le sexe et l’humour, deux domaines trop souvent abordés séparément, encore que le franc rire devrait trouver sa place bien plus souvent dans les rencontres charnelles, trop souvent le domaine des seuls cris et soupirs. Mais comme le rire est le propre de l’homme, n’est-ce pas là une belle façon de concevoir la sexualité humaine dans ce qu’elle a de plus unique, de plus caractéristique ? Quoi qu’il en soit, le décor invite au dépaysement, les rencontres cocasses à l’hilarité et le charme des femmes au réveil des sens paralysés par les mois passés dans un bras de fer avec la stupidité, la peur et les velléités totalitaires des gouvernants. Foncez donc, chères lectrices, chers lecteurs, et profitez de cette quarantaine (!) de pages concoctées par un dessinateur doublé d’un scénariste aussi confirmé qu’Igor & Boccère qui y donne le meilleur de son art. L’été n’a qu’à commencer !
Igor et Boccère
Clémentine à la plage
Dynamite
ISBN : 9782382090794
Références
↑1 | Il s’agit effectivement d’un seul artiste ayant scindé sa personnalité entre d’un côté la partie scénariste – Igor – et de l’autre la partie dessinateur – Boccère. Cf. la biographie sur sa page Babelio. |
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