Gilles Milo-Vacé­ri, Lisbeth-la-Rouge

Je n’ai jamais eu la pré­ten­tion – ni le temps – de dres­ser un por­trait com­plet du pay­sage contem­po­rain de l’é­ro­tisme lit­té­raire fran­co­phone, il y a donc des auteurs qu’on cherche en vain dans la Bauge lit­té­raire. Mais, il faut le consta­ter, on tombe par­fois sur des absences qui étonnent. Comme celle de Gilles Milo-Vacé­ri, un habi­tué des Édi­tions Domi­nique Leroy avec à son actif cinq titres chez ce seul édi­teur, et qui a, pen­dant un bon moment, four­ni à lui seul une bonne par­tie du cata­logue éro­tique des Édi­tions HQN, suc­cur­sale numé­rique des Édi­tions Harlequin.

On ne s’é­ton­ne­ra donc pas de voir enfin entrer cet auteur aus­si pro­li­fique qu’in­con­tour­nable dans la Bauge, grâce à l’é­di­tion 2014 des Lec­tures esti­vales du San­glier, avec un très beau roman qui conjugue Éro­tisme, Exo­tisme et His­toire grâce à un sujet qui rap­pel­le­ra aux uns les exploits, sur le grand écran, d’un Erol Flynn et aux autres ceux du téné­breux Jack Spar­row incar­né par John­ny Depp, à savoir le monde des Cor­saires, Bou­ca­niers, Fli­bus­tiers et autres Frères (et Sœurs) de la Côte.

Nous sommes en 1802, et la paix d’A­miens vient de rendre à la France les colo­nies enle­vées par les Bri­tan­niques. Les pro­jets de réta­blis­se­ment de l’es­cla­vage dans les pos­ses­sions fran­çaises font écla­ter un peu par­tout de véri­tables guerres civiles qui se sol­de­ront par de lourdes pertes humaines, tan­dis que les auto­ri­tés bri­tan­niques ral­lument la gué­rilla éco­no­mique en dis­tri­buant aux cor­saires des lettres de marque. C’est avec de tels évé­ne­ments en toile de fond que le lec­teur fait la connais­sance de Marie-Éli­sa­beth Ples­sis de Forge, fille d’un capi­taine et arma­teur dis­pa­ru en mer. C’est de celui-ci qu’elle tient son amour de la Mer et c’est en l’ac­com­pa­gnant dans ses voyages au long cours qu’elle a appris le métier de marin. Cette jeune fille intem­pes­tive au carac­tère bien trem­pé est ame­née, par la bru­ta­li­té de son beau-père, à quit­ter le foyer, et elle s’embarque à des­ti­na­tion des Caraïbes dans la ferme réso­lu­tion d’y acqué­rir un navire, de se consti­tuer un équi­page et de se lan­cer dans le biz­ness mari­time des Cor­saires, pous­sée par la farouche volon­té de s’en prendre aux bâti­ments de la com­pa­gnie fami­liale, pas­sée aux mains d’un beau-père qu’elle déteste et qui fait fi des convic­tions huma­ni­taires de son pré­dé­ces­seur en se lan­çant dans la traite des Noirs.

À lire :
Clara Le Kennec, Job d'été - La découverte

Marie-Éli­sa­beth, mieux connue désor­mais sous son nom de guerre Lis­beth-la-Rouge, rejoint ain­si le rang des femmes pirates dont cer­taines sont deve­nues célèbres comme Char­lotte de Ber­ry, Mary Read ou Anne Bon­ny, et c’est avec un plai­sir cer­tain que le lec­teur suit ses aven­tures hautes en cou­leur qui la mêlent, de près ou de loin, aux évé­ne­ments qui ont mar­qué ce début de siècle dans le Nou­veau Monde. Et ces aven­tures, l’ha­bi­tué de la Bauge lit­té­raire l’au­ra devi­né, ne se bornent pas aux com­bats mari­times et à la chasse aux tré­sors, mais impliquent bien sou­vent un enga­ge­ment du corps entier de l’in­té­res­sée qui adore pro­fi­ter du relâ­che­ment des mœurs en haute mer et sous les Tro­piques pour se frot­ter de très près aux com­pa­gnons des deux sexes de ses péré­gri­na­tions mari­times. Les par­ties de jambes en l’air se mul­ti­plient, impli­quant aus­si bien sa ser­vante José­pha que son second Adrien, rejoints, au fur et à mesure des expé­di­tions, par Lobo­mé, un esclave noir en fuite, et Inès, jeune Espa­gnole libé­rée par Lis­beth des mains d’un capi­taine sadique.

Il ne faut pas confondre ce roman, esca­pade esti­vale dans laquelle on s’embarque volon­tiers en com­pa­gnie de Gilles Milo-Vacé­ri – qui fait preuve ici d’un véri­table talent de conteur -, avec un trai­té socio-his­to­rique à pro­pos de la vie des cor­saires. On ne s’é­ton­ne­ra donc pas à pro­pos d’une pein­ture peu pro­bable de ce que fut l’exis­tence de ces hommes et de ces quelques femmes, acteurs his­to­riques des retom­bées éco­no­miques de l’Im­pé­ria­lisme nais­sant et de la conquête du monde par les empires euro­péens, mais on retien­dra que l’au­teur n’a pas pour autant négli­gé les recherches his­to­riques dans le but de bros­ser un por­trait cré­dible de l’é­poque (même s’il faut lui rap­pe­ler que Napo­léon s’est cou­ron­né Empe­reur le 2 décembre 1804, et qu’il n’é­tait donc que Pre­mier Consul au moment des faits rap­por­tés). Et ni la légè­re­té de ton ni l’a­bon­dance des pas­sages éro­tiques ne sau­raient faire oublier la cruau­té des temps et des gens, illus­trée par des viols mul­tiples, le lyn­chage d’un tri­cheur ordon­né par Lis­beth en per­sonne, la puni­tion infli­gée à l’es­croc ayant essayé de vendre à son équi­page de la viande ava­riée ou la noyade de cen­taines de sol­dats et de marins suite à l’ex­plo­sion de la Bien­veillante, navire de la com­pa­gnie pater­nelle pas­sé à l’en­ne­mie. L’his­toire de Lis­beth-la-Rouge est donc bien plus qu’un pré­texte pour enchaî­ner les esca­pades éro­tiques qui sentent si bon l’eau de mer et les gali­pettes aux par­fums des Îles, et on ne sau­rait que féli­ci­ter l’au­teur de s’être amé­na­gé la pers­pec­tive d’une suite des aven­tures de cette jeune et atti­rante contem­po­raine (et com­pa­triote) de Surcouf.

À lire :
Gilles Milo-Vacéri, Petits plaisirs entre femmes

Gilles Milo-Vacé­ri a su trou­ver, avec Lis­beth-la-Rouge, un sujet pro­pice aux fan­tasmes et à l’é­va­sion ce qui en fait la par­faite lec­ture esti­vale, aus­si par­faite qu’elle peut même se per­mettre, habi­le­ment ame­nées par les néces­si­tés de la cou­leur locale, des échap­pées didac­tiques qui non seule­ment enri­chi­ront le voca­bu­laire du lec­teur, mais qui four­ni­ront une excel­lente excuse à qui vou­drait s’ins­truire, dans le sillage de Marie-Éli­sa­beth Ples­sis de Forge et de ses hommes et femmes, à pro­pos de ces gens de mer dont les faits et les gestes nour­rissent une pas­sion créa­trice qui conti­nue à ali­men­ter la machine à rêves au cœur de la culture populaire.

Gilles Milo-Vacéri, Lisbeth-la-Rouge Gilles Milo-Vacé­ri
Lis­beth-la-Rouge
Édi­tions Domi­nique Leroy
ISBN : 978−2−86688−890−9

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Gilles Milo-Vacé­ri, Lisbeth-la-Rouge”