Et dire qu’il a fallu cette dixième édition des Lectures Estivales pour enfin parler d’Erich von Götha… Mais comme son univers n’a rien de particulièrement estival, entre les tribulations d’une Janice au XVIIIe siècle où elle subit les sévices des maîtres de l’époque et l’apprentissage du sexe par la jeune Twenty dans un scénario gentiment utopiste – malheureusement très loin de se réaliser dans une époque de culs de plus en plus coincés – on comprend peut-être mieux pourquoi il a fallu attendre la parution de ce volume dans lequel les bonnes gens de chez Dynamite ont réuni les très courts épisodes initialement publiés à partir du numéro dix du magazine Torrid.
Celui-ci, paru entre 1979 et 1986, fut principalement animé par von Götha, et même s’il faut en croire l’auteur – qui avance le chiffre assez important de 15.0001 exemplaires vendus – il est devenu difficile de mettre la main sur un seul de ces exemplaires voire la totalité. On ne remerciera donc jamais assez l’équipe de Dynamite d’avoir sauvé de l’oubli cette petite merveille débordant d’indécence et de sexe décomplexé où sont réunis les neuf épisodes2 initialement publiés dans la première moitié des années 80 du siècle précédent.
Des dates approximatives

Les dates indiquées relatives à ces publications sont d’ailleurs quelque peu approximatives. La plupart des textes consacrés à von Götha se contentent d’indiquer les dates ayant marqué le début et la fin du magazine Torrid, à savoir 1979 et 1986. Quant à The Cruise, je me méfie quelque peu de l’information retenue dans la présentation qu’on trouve sur le site de BD-Adultes :
Les éditions Dynamite ont compilé et traduit cette série rarissime, parue dans le très confidentiel magazine Torrid à la fin des années 1970. […] Un chef‑d’œuvre de pornographie introuvable ailleurs !3
Le site allemand bdsm-artzone.de, site consacré aux dessins ayant comme sujet le BDSM, a le mérite d’avoir rassemblé une galerie à peu près complète des couvertures de Torrid, et il n’y a qu’à partir du tome 10 que la couverture mentionne explicitement The Cruise. Cela n’exclut pas la possibilité de ses débuts antérieurs, les couvertures des premiers numéros ayant paru sans ces coups de pubs racoleurs, mais c’est au moins un indice non négligeable.
Du topless à la partouze
Quant à l’intrigue, elle se raconte en vitesse : Un couple – Janet et Trevor – est invité par des amis – Margaret et Bill – à les rejoindre sur leur yacht afin de profiter de l’ambiance estivale de la Côte d’Azur. Le ton est donné dès leur arrivée quand Janet et son mari découvrent la règle du « topless » instaurée par le maître de bord. Il n’aura fallu que ce coup de pouce pour réveiller la sexualité de Janet qui n’en demande pas tant pour enchaîner les parties de jambes en l’air avec d’abord ses amis et ensuite les membres de l’équipage. Sans omettre de se faire sauter – en compagnie de Margaret, sa copine de débauche – par l’équipe nationale d’aviron, réunie au grand complet dans un hôtel de Saint-Tropez à l’occasion d’une compétition sportive. Que du bon donc. Et comme pratiquement tout bon auteur – ou scénariste, ou dessinateur – de porno, Von Götha, une fois lancé, lâche les brides à ses fantasmes pour projeter ses protagonistes dans des épisodes toujours plus lubriques où ceux-ci profitent de la chaleur estivale de la Côte d’Azur et de la bouillonnante proximité dans l’espace restreint de leur embarcation pour initier des séances d’exhibition et de voyeurisme qui tournent très vite aux pénétrations à plusieurs impliquant tous les membres – et orifices, bien évidemment – de l’équipage au grand complet. Et même la disparition du yacht et l’apparition d’une bande de corsaires ne servent qu’à introduire d’autres acteurs – on hésite à qualifier ceux-ci de « personnages » voire de « protagonistes » tant leur rôle est réduit à fournir de nouveaux partenaires de galipettes – qui bientôt se mêlent aux activités préférées de nos héros et héroïnes.
On comprend très vite que von Götha n’a nullement l’intention d’inventer une intrigue compexe ou de s’embarrasser plus que ça de la psychologie de ses protagonistes. Tout ce qui compte, c’est la lubricité et la capacité des unes et des autres de s’épanouir dans une totale libération des sens et des corps, condition sine qua non de tout plaisir physique aussi bien que psychique. On dirait même que, à force de contempler Maggie et Janet, l’idée même de « personnages » à créer ou à développer réchigne à l’auteur. Au fait, les deux protagonistes féminines se ressemblent à s’y méprendre, la seule différence entre elles étant la couleur des cheveux que Janet a légèrement plus foncés que sa copine. On imagine donc facilement que le lecteur, occupé qu’il est à démêler les personnages dans le fouillis des corps, n’a évidemment pas la tête à mémorer un détail d’aussi peu d’importance et se trouve dans l’impossibilité de coller des noms aux corps respectifs. Je vous invite d’ailleurs à tenter l’expérience ! Je vous assure que j’ai dû plusieurs fois revenir au début pour savoir qui était qui. L’auteur est d’ailleurs très explicite là-dessus, affirmant dans une interview avec BD Adultes son indifférence à propos du type de femme :
La seule méthode pour vraiment distinguer plusieurs femmes passe par le style des cheveux. Et aussi, par la forme de leur nez.4
Mais voyez par vous-même5 :

Tant qu’on y est, on remarquera que Janet a la chatte plus fournie que sa copine, mais ce délicieux détail mis à part, les corps sont pratiquement identiques, et les identités, par conséquent, se confondent, sans doute sous les coups de butoir du plaisir.
Si on oublie un peu les aspirations de la littérature et la prétention manifeste de bien trop d’écrivaillons de vouloir expliquer le monde et ses ressorts, The Cruise est tout simplement un morceau parfait pour se laisser plonger – tout comme les corps qui plongent dans les eaux délicieuses de la Riviera française – dans une ambiance de libération sexuelle totale. Libération et épanouissement paradoxalement déclenchés par le confinement des couples dans l’espace exigu du yacht où la proximité des corps déchaîne les imaginations, appelant les protagonistes à agir. Ce dont ils ne se privent pas. Et quand, ensuite, ceux-ci retrouvent la liberté des grands espaces, le plaisir et ses multiples expressions physiques ne se laissent tout simplement plus dompter.
Pour célébrer l’été, rien de tel qu’une plongée sensuelle dans les eaux de la Méditerranée. Von Götha livre ici un morceau tout en légèreté, loin encore des plaisirs autrement plus corsés que découvriront par la suite les Janice et autres néophythes dans le monde du sado-masochisme. Mais ceci sera une autre histoire, nettement moins estivale.
Erich von Götha
The Cruise
Dynamite
ISBN : 9782382092415
- Cf. l’interview de 1996 reprise en 2015 dans le blog des Éditions Dynamite : « [Torrid] était distribué dans les circuits de presse normaux, sur le « rayon du haut », et quelqu’un de la maison d’édition m’a un jour raconté qu’il se vendait régulièrement à 15000 exemplaires. » ↩︎
- Je ne suis pas sûr d’avoir bien compté. On s’y perd un peu, l’attention étant monopolisée par toutes ces bites en train de fourrer des trous abondamment lubrifiés et tous ces seins fièrement exposés à tous les regards… pour ne rien dire des doigts toujours prêts à pincer et des lèvres promptes à sucer… ↩︎
- The Cruise, présentation sur le site de l’éditeur. ↩︎
- Erich von Götha : entretiens avec un monument de la BD érotique – Partie 2 ↩︎
- Erich von Götha, The Cruise, p. 34 ↩︎