Quand on voit s’ouvrir une BD sur une perspective aussi ravissante, quel peut bien être le moyen, je vous le demande, d’y résister ? Et surtout – pourquoi y résister au lieu de croquer à pleines dents les chairs juteuses qui s’étalent sous vos yeux avides, invitant aux pires excès qu’une imagination chauffée à blanc puisse imaginer ?
La bonne nouvelle, c’est que vous n’avez qu’à accepter l’invitation adressée par Atilio Gambedotti à qui daigne ouvrir le fichier – ou ouvrir la couverture, dans le cas d’une BD « traditionnelle » en carton / papier – afin de suivre sa petite bande de copains à travers les nuits catalanes et les aventures lubriques que ceux-ci ont bien l’intention de s’offrir à profusion. Qu’est-ce qui nous empêche donc de partir ?

Mais avant de céder à la tentation, j’aimerais vous parler d’Atilio Gambedotti, un artiste que vous risquez de croiser assez souvent si vous avez comme moi la bonne habitude de fréquenter les pages de BD-Adultes, la filière porno de la Musardine qui a eu la très bonne idée de mettre à la disposition du public aussi averti que sensuel une bonne partie de l’opus gambedottien.
Le Sieur Gambedotti est originaire de l’Argentine où il a suivi une éducation artistique avant de venir hanter le milieu de la bande dessinée européenne. La plupart des notices biographiques qui traînent un peu partout sur la toile – toutes plus ou moins copiées sur celle de chez Tabou, premier éditeur français des bandes dessinées de Gambedotti – affirment que l’auteur s’est installé à Barcelone après des études dans son Argentine natale, sans que je puisse pour autant trouver des faits qui confirmeraient ce changement de continent. De toute façon, vu la vocation internationale et polyglotte de ses activités artistiques, le domicile physique n’a, dans un cas pareil, pratiquement plus de signification. Pour vous donner une idée du bouillonnement linguistique et sans doute culturel au fond de l’œuvre de Gambedotti, parlons un peu de l’album qui aujourd’hui nous intéresse, Cercle intime. Si mes recherches sont correctes, la BD s’est vu publier en première mondiale par l’éditeur légendaire américain NBM Publishing, plus précisément dans sa collection Eurotica, consacrée à l’érotisme européen[1]Il y avait une autre collection – Amerotica – destinée à accueillir la bande dessinée américaine. Vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’une certaine confusion – ou peut-être plutôt d’une sorte de one-man-show tourné en melting-pot ? Un auteur argentin – sans doute avec des racines italiennes vu son patronyme[2]Ce qui ne saurait étonner vu le nombre de migrants issus de la péninsule italienne venus s’installer en Argentine. La Wikipédia indique, en se basant sur la Direction nationale des migrations, … Continue reading – qui a su s’imposer en Europe et a ensuite été largement publié dans d’autres pays comme l’Italie, la France ou les Pays-Bas, au point d’entrer dans une collection d’œuvres érotiques européennes publiées aux États-Unis ? C’est au point de se demander quelle a bien pu être la langue originale de ses personnages, une question qui intrigue, dans une œuvre certes tout ce qu’il y a de plus érotico-pornographique, mais où les paroles et l’ambiguïté des situations jouent un rôle au moins aussi grand que les scènes de jambes en l’air. Dans la toute première édition publiée sous le titre Getting closer, en 2010, les protagonistes conservent d’ailleurs des noms aux consonances ibériques – Adri, Pancho, Raquel et Susie – tandis que ceux-ci ont tendance à se plier aux attentes d’un lectorat francophone une fois passés au-delà des Pyrénées : Dans la première édition de chez Tabou, publiée en 2013, ils deviennent Adrien, Joshua, Rachel et Claire. Avant de retrouver leurs identités d’outre-Pyrénées dans la nouvelle traduction de chez BD-Adultes, publiées en 2021[3]Avec comme seule exception la belle Raquel dont le petit nom est légèrement adapté aux habitudes linguistiques des francophones et devient « Rachel ».. Une histoire éditoriale des plus complexes. Qui se complique d’avantage encore quand on sait qu’Atilio est aussi passé par des campagnes de financement participatif et des publications en auto-édition depuis la disparition en 2011 de Kiss Comix, le magazine où il a pu publier une grande partie de ses créations. C’est pour cela que j’ai d’ailleurs comme un petit doute à propos des dates de publication que je vous donne tout au long de cet article[4]Prenez l’exemple de Cercle intime : Tandis que Gaijinjoe, une autorité quand il s’agit de la bande dessinée érotique, cite 2011 comme année de publication – « 2011 ist bei NBM Publishing der Band … Continue reading.

Quant à d’autres indications que je vous ai fournies plus haut, j’ai bien plus de confiance, surtout quand il s’agit du succès assez rapidement obtenu par Gambedotti une fois entré dans le nouveau millénaire. Après des débuts sans doute laborieux, il se fait régulièrement publier depuis 2002 dans le magazine légendaire espagnol Kiss Comix[5]La première apparition que j’aie pu trouver dans un exemplaire de Kiss Comix date du numéro 128 où il a publié Mujeres Aburridas avec son compagnon des premières années Ivan Guevara comme … Continue reading. S’il faut en croire les bonnes gens de chez ComicVine, Atilio a collaboré de nombreuses fois aux revues des éditions La Cúpula et compte 110 contributions à Comix Kiss Comix (leur navire amiral, en langue castillane), 15 à French Kiss Comix (publié en langue anglaise, malgré l’impression que pourrait donner le titre) et 13 à La Poudre aux Rêves (en langue française, celui-ci)[6]Ces chiffres sont susceptibles de changer dans la mesure où les collaborateurs du site peuvent rajouter des apparitions.. On imagine donc le choc quand ces magazines ont l’un après l’autre mis la clé sous le paillasson avant le coup final sonné par la fermeture de Kiss Comix en août 2011. Atilio s’est d’ailleurs fendu d’un grand coup de gueule à cette occasion qui ne laisse aucun doute quant à sa colère et son désespoir qui a dû être celui d’une bonne partie de cette génération de dessinateurs :
C’est un mauvais moment à passer pour le monde et surtout pour la BD, média minoritaire s’il en est, et face au divertissement servi sur un plateau par internet – l’interactivité, la musique, la vidéo, etc. – il est très difficile pour la BD d’être compétitive …. le marché français a beaucoup souffert, ainsi que le marché américain, et le marché espagnol […] est déjà en pleine extinction. excuse que les éditeurs utilisent habituellement pour payer une misère et demander les droits mondiaux, les droits internet et les droits sur votre chat (si vous en avez un) en bref …[7]Atilio Gambedotti, On s’est fait enculer, et pas de la bonne façon, article publié sur son blog personnel le 26 août 2011. Traduit par les soins de votre serviteur.

Malgré ce revers, Gambedotti n’a pas lâché l’affaire et a réussi à se faire publier par un des plus grands noms de l’érotisme littéraire en France, les éditions Tabou où il avait déjà fait paraître une autre série Les 4 amies entre 2009 et 2010. Cercle intime y a été publié en 2013 en format papier[8]Gare à la confusion ! Le numéro ISBN qui figure sur la page du titre à l’heure où je rédige cet article se réfère à l’édition de 2020 ! On trouve le fichier de la première édition en … Continue reading avant la publication d’un deuxième volume deux ans plus tard. Privé d’un moyen de publication qui le mettait régulièrement en contact avec son lectorat, Atilio a cherché d’autres moyens de s’en rapprocher, comme la création d’un compte sur Patreon, un site qui permet aux artistes de se faire subventionner par les fans, un compte dont il parle souvent sur son blog personnel malheureusement tombé en friche depuis la mise en ligne d’un dernier article en août 2019.
Maintenant que vous avez une première idée à propos de l’auteur, allons voir du côté de ses créatures dont vous avez pu vous faire une première impression en début d’article. Vous connaissez déjà les noms de la petite bande de jeunes, et vous vous doutez, en reluquant les fessiers des demoiselles mis en valeurs par leurs habits, que ni celles-ci, ni leurs compagnons du sexe opposé ne dédaignent les aventures d’une nuit – ou de quelques heures, voire de quelques instants – qui pourraient se présenter en cours de route. Et je peux vous assurer que les apparences ne sont point trompeuses. Gambedotti, connaissant son public et ses attentes, ne nous fait point attendre et c’est sur la deuxième page que la première pipe est tirée avec au bout de l’engin la plantureuse Susie, sans doute la plus dévergondée de la bande qui reçoit bien plus que son dû de la part des mâles en quête de chair féminine. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas capable d’éveiller des sentiments d’un autre ordre. Adri, amoureux transi de la jeune femme, est là pour en rendre témoignage. Cette première histoire – qui voit Susie, après les préliminaires classiques sus-mentionnés, honorée par les deux trous par deux mecs dans les toilettes d’une boîte de nuit – donne le ton de ce qui va suivre. Et comme vous aurez compris que ses jeunes-là n’ont que peu de scrupules quand il s’agit de céder aux pulsions et de se lancer – les bites tendues ou les jambes grandes ouvertes – vers l’inconnu – à moins qu’il ne faille dire : vers l’Inconnue -, vous ne vous étonnerez pas de voir défiler dans ce recueil d’histoires courtes et indécentes un cortège de jeunes personnes prêtes à passer à la casserole. On y trouve, entre autre, des videurs (Pourquoi ?), des moches (Un prêté pour un rendu), des aveugles (L’amour n’est pas aveugle, il ferme juste les yeux), des handicapées (Ça roule ma poule), et même les mémères s’y montrent très peu farouches. Mais si la chair y joue très clairement un rôle de première importance, illustrée par un dessin appétissant très bien servi et approfondi par l’usage savant de la couleur, Gambedotti sait faire de ses personnages bien plus que des bites ou des trous sur pattes. Il se détache des dialogues une dimension humaine qui les rend bien plus crédibles que tant d’autres héros et héroïnes de bandes-dessinées qui ne servent qu’à illustrer les mécaniques de la copulation sous toutes les formes imaginables. Les quatre jeunes de Gambedotti apparaissant bien au contraire comme des jeunes personnes en chair et en os (vous me direz : « surtout en chair », et vous n’aurez pas tort) qu’on imagine pouvoir croiser dans les rues. Même si leurs aventures relèvent plutôt du fantasme que de la réalité, mais bon, à quoi serviraient la BD et toute la littérature érotique si l’on voulait s’en tenir aux bornes de la morne réalité telle que toi, cher lecteur, chère lectrice, et moi la vivons quotidiennement ?

Et même – et ceci est un point que je ne saurais assez souligner – l’humour a sa place dans ces histoires que je recommande très fortement à celles et à ceux qui ne se prennent pas trop au sérieux – et d’autant plus à tous les autres ! Un humour peu innocent qui peut se retourner contre nos personnages eux-mêmes, comme cette douce ironie présente tout au long du récit délicieux de l’initiation du frérot de Susie par la meilleure amie de celle-ci, Rachel, qui se charge de déflorer le jeunot en mettant en avant tous les superbes atouts de son corps de jeune fille en fleur. Ça, c’est une histoire qu’il faut impérativement relire après avoir découvert la chute pour se rendre compte de tous les ressorts de l’humour ironique de l’auteur.
Et votre serviteur a connu des moments d’extase quand il est tombé sur cette improvisation porcine de la part de Pancho, Petit geste fort sympa qui lui a été inspiré par la belle après s’être vu traité de « porc » pour la simple raison de lui avoir fiché son pieu bien profondément dans ses accueillantes chairs :

Vous imaginez que j’ai dû rigoler bien fort quand j’ai vu ça ;-)
Avant de vous laisser découvrir les BD de Gambedotti, une toute petite digression pour parler de style. D’un côté, Atilio déclare aimer les filles, et surtout leurs visages (« especially their faces », passage tiré d’une campagne de financement de son Artbook sur Verkami.). Et si vous parcourez ses planches, vous vous rendrez compte que cela n’est pas dit pour se défendre des accusations d’usage contre les « pornographes » qui ne s’intéresseraient qu’aux trous béants prêts à accueillir toutes sortes d’engins, mais qu’il y a chez Gambedotti une réelle fascination pour les visages et le ressenti que ceux-ci expriment par mille détails. Il suffit de contempler les visages des jeunes filles qui passent à la casserole, leur transe quand elles se font baiser, leurs grimaces quand les bites investissent leurs fondements, leur douce extase quand elles embrassent avant ou après l’acte. En même temps – pour reprendre l’expression culte de notre cher président – je n’ai rarement vu de meilleurs rendus de sexes mouillés et accueillants, de muqueuses rutilantes et de trous béants scintillant de tous les liquides du désir. Je le proclame haut et fort : Si Balthus a bien pu réclamer le titre de « Roi des chats », c’est Atilio Gambedotti qui peut prétendre au titre bien plus convoité du « Roi des chattes ».

Mais il ne faut pas passer sous silence une autre partie de l’anatomie féminine qui jouit des attentions particulières du dessinateur, à savoir les seins. Atilio a une façon bien à lui de les dessiner, une manière qui en fait des atouts pratiquement hyperréalistes ou hyper présents, dans un sens que tout ce que s’y rapporte – désir, beauté, féminité, mais aussi maternité, nourriture, amour – est poussé à une sorte de paroxysme charnel. Contemplez Susie en train de jouir des attentions de deux mâles bien membrés (p. 6) ou de tendre le bassin (p. 9), l’handicapée qui accueille une bite entre ses nibards (p. 13), la belle sœur en train de céder aux avances d’Adri (p.28 ) ou encore – meilleure illustration sans doute de mes propos avec ses seins et ses tétons en gros plan – la belle aveugle en train de chevaucher Adri. Des images tout simplement hypnotisantes qui ne vous feront plus jamais oublier la charge sensuelle de tels instants.





Un détail qui m’a frappé comme particulièrement efficace, c’est la légère dépression au milieu des tétons qui donne une folle envie d’y téter jusqu’à s’y perdre. Un détail présent très tôt dans le dessin d’Atilio, illustré ici par l’illustration Cum in my face ! tirée de Mujeres aburridas (publié en 2002) que vous retrouverez plus haut. Tandis que le visage rappelle une sex-doll plutôt qu’une femme en chair et en os, les seins sont déjà tout aussi séduisants que les exemplaires dans la galerie que vous venez de parcourir. Et puisque vous y êtes, profitez-en pour comparer ce visage à l’expression figée et impersonnelle à ceux des femmes que vous trouverez dans Cercle intime et dont j’ai rassemblé une infime partie dans la galerie ci-dessus, vous aurez saisi l’importance du développement artistique d’Atilio Gambedotti depuis le début du millénaire.
Atilio Gambedotti
Cercle intime, tome 1
Dynamite
Référence BD-Adultes : AG0004N2
Références
↑1 | Il y avait une autre collection – Amerotica – destinée à accueillir la bande dessinée américaine |
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↑2 | Ce qui ne saurait étonner vu le nombre de migrants issus de la péninsule italienne venus s’installer en Argentine. La Wikipédia indique, en se basant sur la Direction nationale des migrations, que « près de 45 % des Argentins seraient d’origine italienne » |
↑3 | Avec comme seule exception la belle Raquel dont le petit nom est légèrement adapté aux habitudes linguistiques des francophones et devient « Rachel ». |
↑4 | Prenez l’exemple de Cercle intime : Tandis que Gaijinjoe, une autorité quand il s’agit de la bande dessinée érotique, cite 2011 comme année de publication – « 2011 ist bei NBM Publishing der Band Getting Close erschienen. » (« Le volume Getting Close a été publié en 2011 chez NBM Publishing. ») – d’autres sources indiquent 2010, comme par exemple le moteur de recherches de numéros d’ISBN sur isbnsearch.org qui affiche sans la moindre ambiguïté : « Published : 2010 ». |
↑5 | La première apparition que j’aie pu trouver dans un exemplaire de Kiss Comix date du numéro 128 où il a publié Mujeres Aburridas avec son compagnon des premières années Ivan Guevara comme scénariste |
↑6 | Ces chiffres sont susceptibles de changer dans la mesure où les collaborateurs du site peuvent rajouter des apparitions. |
↑7 | Atilio Gambedotti, On s’est fait enculer, et pas de la bonne façon, article publié sur son blog personnel le 26 août 2011. Traduit par les soins de votre serviteur. |
↑8 | Gare à la confusion ! Le numéro ISBN qui figure sur la page du titre à l’heure où je rédige cet article se réfère à l’édition de 2020 ! On trouve le fichier de la première édition en consultant la Wayback Machine. |