Dix bonbons à l’Amante, c’est le troisième recueil que Julie-Anne de Sée, écrivaine aux origines catalano-normandes bien connue du Sanglier et de ses fidèles lecteurs, publie chez Tabou Éditions. L’amateur d’érotisme y trouve réunis, sous un titre qui ajoute une touche coquine à la nostalgie des gâteries de notre jeunesse, dix contes certes fortement épicés, comme on a le droit de l’attendre de la part de Julie-Anne, mais dont le propre est surtout un rare pouvoir de conjuration capable de dépayser le lecteur et de le plonger dans des ambiances très loin du décor feutré de l’érotisme de convenance dans lequel se complaît un nombre bien trop grand d’auteurs dans la quête du chaland et de proies faciles. Non, contrairement à ce que le titre assez gentil pourrait laisser croire, ces textes-là ne se digèrent pas tous sans laisser de traces, tout juste bons à peindre en rose les heures passées dans les transports publics ou dans les salles d’attente. Ici, on trouve des émotions, que Julie-Anne sait évoquer avec une rare maîtrise du langage, et on y trouve le désespoir – pas celui qui explose à la gueule du monde, mais celui qui s’éteint en silence, quelque part dans un appartement ou une chambre d’hôtel, celui qui, résigné, se laisse abattre comme l’hécatombe qu’on égorge sur l’autel. Et il y a aussi, tableau touchant dans sa simplicité douloureuse, un amour bien particulier qui naît et s’épanouit comme une évidence, dans la joie et le bonheur, mais qui s’éteint dans une douleur sourde, écrasé par le cancer de ce qu’on pourrait bien qualifier de dernier tabou, l’inceste. On aura rarement vu un contraste plus saisissant entre la simplicité du ton dans lequel sont relatés les événements, l’évidence des gestes, et les conséquences des actes qui pourrissent les consciences, minent les relations et, finalement, détruisent des vies.
Certes, le recueil consacre lui aussi à la mode en faisant parader des cortèges de soumises encadrées par des dominants de circonstance qui manient, avec plus ou moins de dextérité, leurs fouets, martinets et autres instruments de torture, un troupeau qui fait le bonheur des éditeurs depuis le succès de qui l’on sait et qui s’invite dans le moindre petit texte à ambition érotique. La plupart de ces textes-là manque pourtant cruellement de vie et on aimerait les voir prendre le chemin sans retour du pilon, mais on pardonne aisément de tels dérapages à une auteure qui a su inventer le personnage de Christian / Clarisse, protagoniste de L’amante travestie dont on ne sait d’abord s’il faut en rire ou en pleurer, avant de céder finalement à une profonde tristesse devant une vie gâchée qui essaie de se hisser de sa misère avant de finalement sombrer, en silence, dans l’oubli ; une auteure qui a imaginé Roxana, l’Amante au miroir, une femme entre deux âges, une cougar selon la taxonomie du tendre à l’ordre du jour, ravissante, joueuse, obsédée par son pouvoir de séduction au point de s’entourer de miroirs lui permettant d’anéantir tout signe annonciateur de la déchéance, trop faible pourtant pour résister à la tentation – fatale – quand elle se présente sous les traits d’un jeune homme charmant ; une auteure qui sait sonder les eaux troubles des sites de rencontre, des sites où se terrent les sorcières modernes avec leurs philtres irrésistibles aux effets qu’on n’est pas près d’oublier.
On ne saurait être en meilleure compagnie que celle de ces dix amantes, croisées aux quatre coins du globe, à travers les âges, depuis l’éruption du Vésuve, en passant par l’Inde sous l’occupation anglaise, l’Espagne des années trente, une multitude de pays du temps présent, jusqu’à une petite excursion dans un avenir proche parfumé des relents du romantisme noir et son obsession de créer un être artificiel, être qui se révèle vorace au point d’engloutir des existences. Une bonne partie de ces histoires se termine par la mort, ce qui ne saurait pourtant gâcher l’appétit du lecteur, bien au contraire. Guidé de destin en destin par l’art irrésistible de la narration et un excellent dosage linguistique dont Julie-Anne a le secret, celui-ci suit les narratrices et les narrateurs à travers le dédale construit de vies humaines et de leurs passions, sans la moindre envie d’en sortir, quitte à tomber, au détour d’un couloir mal illuminé, sur les cadavres de ceux qu’une bête mythologique vient de déchirer.
Julie-Anne de Sée
Dix bonbons à l’Amante
Tabou
9782363260369