Si jamais quelqu’un devait avoir conservé des doutes à propos de la nature d’un texte intitulé Le sexe de Lola, Dan Bongo, son auteur, ne se fait pas prier pour les dissiper dès la première phrase :
« Lola ne repartirait sûrement pas de Cannes sans avoir couché avec quelqu’un. »
Et, comme pour d’emblée contrer toute reproche de préciosité lexicale, il renchérit quelques lignes plus loin en citant une copine de la protagoniste : « J’ai pas arrêté de baiser ! » Ceci a le mérite d’être clair et de plonger le lecteur dans l’ambiance déjantée d’un texte largement dominé par le cul. Et comme ceci n’était pas assez pour séduire votre serviteur, on y trouve une ambiance pleinement estivale où rien ne manque au décor, ni le soleil, ni l’eau scintillante de la piscine, ni les corps qui s’exposent, ni la jeune fille en train de se branler dans son transat… J’ai rarement lu une ouverture aussi réussie, un mélange aussi intense entre un décor lumineux dans lequel on ne serait pas étonné de croiser Dakota Johnson dans le remake de La Piscine, et un revers sombre qui se laisse deviner entre les lignes, au détour des mots, avec dans les airs comme une pointe des relents d’une matière en décomposition dont rien, pour l’instant, ne laisse soupçonner les origines.

Le récit prend ensuite un rythme qui s’envole au crescendo, et la protagoniste se retrouve propulsée, par le stupre du personnel de sa villégiature méridionale, mais plus encore par cette pulsion inouïe de se livrer à qui la baise le mieux, dans des situations dont l’indécence n’a rien à envier aux scénars les plus osés des productions X. Sodomisée à outrance par le mannequin de la piscine ; prêtée par celui-ci à un cuistot voyeur ; abusée par un couple de vieux américains dans un chapitre où Dan Bongo passe maître ès perversions en y offrant sa jeune protagoniste à des ogres septuagénaires ; convoquée pour assister au point culminant (à savoir une orgie) d’un tournage de porno (dont je ne peux m’empêcher de vous indiquer le titre : Huit salopes Hard) ; livrée ensuite dans ce qui étrangement ressemble à une fuite en avant au cuistot déjà croisé au début de ses (més-?) aventures, Lola finit par s’envoler pour les States, mi-vendue, mi-consentante et entièrement jetée en pâture à l’industrie du X. Et tout ce parcours est illuminé par le soleil torride d’un été méditerranéen, un soleil qui fait non seulement miroiter les eaux, mais d’avantage encore les promesses des lendemains qui chantent :
Le soleil brillait sur le bleu profond de l’océan. (chap. 4)
Un lecteur naïf pourrait être amené à reprocher au texte de ne pas être libre de clichés, ce qui, de toute évidence, ne serait pas faux. Une lecture plus approfondie pourrait par contre y révéler une méthode qui consisterait à enchaîner ces mêmes clichés jusqu’à en faire une sorte de collage appelé à remplacer la réalité, à lui appliquer une peau neuve, après l’avoir d’abord brisée et reconstruite, sorte de cubisme littéraire nourri de fantasmes et de fluides.
Malheureusement, on y trouve aussi des fautes qui font regretter, encore une fois, l’absence d’une relecture professionnelle. Le moyen de violenter une expression comme celle-ci, p.ex. : « lui rendre l’appareil » ? Franchement ?? Mais bon, tant qu’on y trouve des comparaisons aussi hallucinantes que celle qui met en relation la vulve de Lola et le gouffre de Padirac, j’avale les reproches avec la même eau que cet auteur me fait monter à la bouche.
Il est évident que ce texte ne s’adresse pas aux amateurs de romances érotiques, mais j’espère que Dan Bongo puisse trouver un public de happy few, capable d’apprécier ce mélange d’indécence pornographique et de gore, mélange qu’on ne trouve pas tous les jours et qui, à n’en pas douter, fut un des points culminants de l’édition 2016 des Lectures estivales.
Avant de conclure, j’aimerais relever une autre particularité de ce texte, mis par l’auteur sous une licence Creative Commons, ce qui vous laisse libre de le partager avec quiconque à condition de nommer son auteur, de ne pas y apporter des modifications et de ne pas se faire du fric sur le dos de l’auteur. En d’autres mots, le lecteur, jouissant du spectacle d’une protagoniste complètement déjantée, profite en même temps de la gratuité. Chapeau, Monsieur Bongo :-) !
Dan Bongo
Le sexe de Lola
Auto-édition
ASIN : B01CN5KC5C