Clara Basteh est aujourd’hui une incontournable du roman érotique dans lequel, pour reprendre la formule d’un article qui lui a été consacré par La Charente libre en 2010, elle « s’adonne à une sorte de mélangisme entre fiction et réalité ». Dans son troisième roman, Correspondance Charnelle, parue le 15 novembre 2012 aux Éditions Tabou, elle reste fidèle à cette formule, la protagoniste ayant en commun avec l’auteur maints détails biographiques et surtout le nom. De là à vouloir faire la part de ce qui est « vrai » et de ce qui est « inventé » serait pourtant une approche erronée et peu pertinente. Parce que, après tout, qu’importe de savoir si telle scène a réellement pu avoir lieu ou si nous devons tel détail à la réalité ou à l’imagination de l’auteur ? Il importe de rappeler cela, parce que la volonté des lecteurs de mélanger fiction et réalité a la vie dure et la peau coriace, surtout dans le domaine érotique.
Qu’en est-il donc du côté littéraire de la chose ? Tout d’abord, l’auteur y met à l’honneur le genre qui a connu son apogée sous le règne de Louis le Bien-Aimé, et qui a permis à tant de plumes de génie de donner libre cours aux sentiments et à ce qu’on aimait qualifier d’égarements, à savoir le roman épistolaire. Entre janvier et septembre 2009, Clara échange des lettres avec trois personnages (dont un, Théo Batailler, ne fait qu’une très brève apparition), dont les principaux sont Saxu, une escort-girl, et Béranger de Laze, travesti et futur amant de Clara. Ce dernier est en même temps, de par l’importance qu’il prend dans la vie de Clara et par son rôle supplémentaire d’auteur dans son propre droit, le véritable protagoniste de ce livre qui, fidèle à ce qu’affirma l’auteur à Ismaël KARROUM dans l’article déjà cité, « dévoilera les dessous des travestis ».
Béranger est donc l’auteur de deux récits encadrés, celui d’un travesti soumis dont il relate les aventures avec deux couples de province qui se font un plaisir de lui faire connaître les joies d’un renoncement total à toute forme de dignité, et celui d’Anne-Charlotte, l’alter ego de Béranger, où celui-ci se propose de raconter « mon adolescence et mon initiation » (p. 39).
L’intrigue principale, elle, raconte, d’un côté, la séduction et l’initiation d’un jeune banquier par les efforts conjugués de Clara et de Béranger, mais surtout l’amour naissant de Clara pour celui qui fait son apparition dès la première lettre et qui réussit à conquérir, pratiquement dès la première rencontre et à la très grande surprise de Clara, l’intimité de celle-ci :
Bref, je n’avais aucun fantasme le [i.e. Béranger] concernant jusqu’à ce qu’il me prenne la main. Tandis que nous admirions ces horreurs […] il me caressait la paume avec audace, en toute intimité […] L’effet érotique de la caresse allié à l’excitation de m’exhiber en si équivoque compagnie a achevé de me mettre le feu au corps. (p. 8)
À partir de ce moment-là, la Correspondance charnelle est bien plus qu’un roman érotique voire pornographique se complaisant à non seulement évoquer mais à mettre en scène d’une façon parfois très crue de nombreuses pratiques plutôt limites. Véritable roman d’amour, il retrace l’histoire de Clara et de Béranger, le cheminement de deux êtres humains l’un vers l’autre, qui formeront, à la fin du roman et malgré les obstacles dressés contre eux par la différence d’âge, le mariage de Clara et la promiscuité de leur sexualité avec ce que cela implique d’intimités octroyées et violées et la création de multiples relations très complexes et parfois antagonistes, un couple. Couple certes des plus improbables, mais couple quand même, dont les vicissitudes des relations de force feront osciller les partenaires entre domination et soumission. Et qui révélera à Clara cette vérité banale qu’elle n’est pas – ne sera jamais – au bout de ses désirs, parce que la dernière ligne de sa dernière lettre nous montre l’individu à l’état nu, plus nu que pendant les plus chauds de ses ébats, écorché, rejeté sur sa condition première : « Je suis seule à présent. Saxu, explique-moi pourquoi. » (p. 157)
Correspondance charnelle, c’est le cri d’une humanité qui se cherche, désespérément, et qui ne rechigne pas devant les pratiques les plus extrêmes pour pénétrer l’intimité la plus vulnérable, afin de trouver celui ou celle qui lui tiendra désormais compagnie. Mais même l’abandon des catégories bien connues, l’effondrement des barrières entre les sexes, ne mèneront pas à la communion tant recherchée.
Avant de conclure, je voudrais formuler une petite réserve. Les récits encadrés dus à Béranger de Laze, s’ils satisfont pleinement le désir que pourrait ressentir le lecteur de scènes pornographiques, et même s’ils aident à mieux saisir le protagoniste qu’est Béranger et répondent en même temps au désir de l’auteur de montrer les dessous des travestis, me semble trop peu liés à l’intrigue principal dont la valeur humaine pourrait, à la limite, se passer de telles digressions.
Clara Basteh
Correspondance Charnelle (en gare du désir)
paru le 15 novembre 2012
aux Éditions Tabou
ISBN : 978−2−915635−98−0
2 réponses à “Clara Basteh, Correspondance Charnelle”