Celles et ceux qui me connaissent savent que bon nombre de mes fantasmes tournent autour des plages peuplées par des estivants en petite tenue, et que l’arrivée plus ou moins imminente de la saison des grandes chaleurs fait tourner un max mes méninges. D’où l’obsession des Lectures estivales qui, pour moi, résument tout ce qu’il y a de plus sensuel sous le soleil. Mais maintenant que j’y réfléchis je me pose une question : C’est quand exactement, le début de l’été ? Quelques recherches rapides m’ont appris qu’une telle question nécessite une réponse plus complexe que ce que l’on pourrait imaginer.
Il y a d’abord l’été astronomique dont le début est marqué par le solstice, c’est-à-dire le jour le plus long. Cette année-ci, cela tombe bien, comme dans la majorité des cas, pile-poil le 21 juin. Ensuite, il y a aussi l’été météorologique qui correspond, selon la Wikipédia francophone, à « l’ensoleillement maximal » et donc à la période la plus chaude de l’année qui couvre les mois de juin, juillet et août. L’été, si on se fie aux météorologues, a donc bel et bien commencé il y a trois semaines déjà, le 1er juin – dans l’hémisphère nord, au moins. Et il y a effectivement, détail que j’ignorais, des pays qui font correspondre le début de l’été à la date météorologique, comme par exemple la Russie. Tandis que pour nous autres Européens, l’entrée dans la période estivale est célébrée aujourd’hui même.
Mais est-ce bien tout, ça ? Et qu’en est-il de l’été érotique ? Bon, quant à votre serviteur, on serait tenté de dire que c’est l’année entière qu’il vit à l’heure estivale, au moins dans ses fantasmes, mais s’il y avait une sorte d’indicateur pour apprendre à toutes celles et à tous ceux qui ne jurent que par les peaux chauffées à blanc par le soleil torride du littoral que la date fatidique approche ? Sachant que des textes évocateurs des plaisirs du sexe sous le soleil sortent aussi en plein hiver – sans doute pour consoler celles et ceux qui, comme moi, se languissent de chaleur – il paraît de premier abord difficile de confirmer une telle idée – au moins pour ce qui est des nouveautés littéraires. Mais, j’ai quand même une piste à vous proposer. Cela fait sept ans maintenant que je soumets à celles et à ceux qui me suivent dans mes expéditions des idées de lecture pour les accompagner à la plage, ne fût-ce que dans leurs têtes. Et pendant tout ce temps, il y a eu une couleur obstinément présente, une couleur que je reconnais entre toutes parce qu’elle annonce l’arrivée d’un titre qui résume à lui-seul les joies érotiques de la saison chaude, en proposant un condensé des fantasmes et des scénarios que cette idée-là – celle se se dénuder sous les yeux de tous, de se libérer, le temps de quelques semaines, des contraintes et des qu’en dira-t-on, celle de finalement céder aux pulsions et de s’ouvrir sur le monde et ses charmes – fait naître dans les esprits des autrices et des auteurs érotiques, et cette couleur-là est bien le jaune doré tel qu’il figure sur les recueils de chez La Musardine consacrés au sexe sous le soleil. Depuis le mois de juillet 2013, où j’ai pour la première fois eu un de leurs recueils entre les mains (façon de parler, je l’ai bien sûr lu en numérique), ces titres sont devenus les fidèles compagnons de mes pérégrinations estivales, et l’habitude de voir cette couverture répandre sa chaleur sensuelle dans les rayons des librairies est devenue telle que ce jaune-là résume à lui tout seul tous les fantasmes que la parenthèse estivale peut renfermer. Vu comme ça, cette année-ci, l’été érotique a donc commencé le 13 juin, date de la publication du recueil dont je m’apprête à vous parler, Osez 20 histoires de sexe au soleil.

Comme dans les années précédentes, la lecture du recueil en question est l’occasion de se dépayser à très peu de frais. Au menu des destinations il y a bien sûr la France avec une certaine prédilection pour les régions au sud de la Loire (Ardèche, Provence, Auvergne, Languedoc), mais la Bretagne ne manque pas non plus à l’appel et le lecteur peut se retrouver, en compagnie de deux gais lurons, sur la plage des Quat’Sardines, près de Concarneau. Pour les amateurs de vacances en dehors de l’Hexagone, il y a moyen d’aller voir Athènes (deux fois même !) et les grands lacs de l’Italie du Nord, tandis que les amateurs d’exotisme se réjouiront d’apprendre que le Maroc (le royaume nord-africain est représenté par deux textes, lui aussi) et la République dominicaine font partie des endroits où il fait, apparemment, si bon baiser.
Une observation intéressante que je voudrais juste signaler en passant : Si certains se contentent des allusions les plus vagues pour placer le cadre de leur récit – c’est le cas des « plages océanes » de RoseLys DesDunes ou du « sud de la France » de Louise Laëdec, du village anonyme des années 60 ou 70 où le narrateur de Franck Balandier vit ses premiers émois entre les jambes de la fille du maire ou encore du « cabanon en Provence » hanté par les Reines du fisting de Cornelia B. Ferrer – d’autres y mettent bien plus de précision, au point qu’on peut se demander pourquoi ils ne donnent pas les coordonnées pour retrouver l’endroit sur Google-Maps, comme par exemple cette plage bretonne où les bacheliers de Jean Danel tombent sur leur prof d’Allemand pour une expérience pré-Bac des plus mémorables. D’autres encore se contentent d’un name dropping géographique afin de parfaire le décor de leur récit, comme dans le cas de John Faredes et de ses deux amants qui profitent de l’absence des parents pour faire de la piscine de leur villa de Sorgues l’arène de leurs galipettes au masculin.
Un cas plutôt original me reste à signaler, à savoir le dernier texte du recueil, Apocalypse, sex and sun signé Arnaud Vauhallan, dont l’action se déroule dans un avenir pas si lointain que cela (catastrophe climatique oblige), dans un monde en apocalypse où la France – et tout le reste – n’est sans doute plus qu’un vague souvenir.
Quant aux récits eux-même, on peut y observer, malgré la contrainte évidente de parler de sexe au soleil, une grande variété, et les variantes du plaisir vont de la plus ou moins banale partie de jambes en l’air dans un décor plus ou moins pittoresque comme dans le cas de Maud Chambers et de ses Rêveries de la randonneuse solitaire où la protagoniste profite d’une balade à travers les forêts auvergnates pour se rouler dans les myrtilles, jusqu’aux expériences plus exotiques comme celles des deux Fisteuses de Cornelia B. Ferrer qui non seulement apprennent à s’entreprendre jusque dans leurs derniers recoins, mais qui en font profiter la voisine aussi qui, habilement, met sa curiosité au service de son plaisir. Entre les deux, on trouve l’érotisme sous toutes ses coutures, que ce soit tout en douceur comme dans Les wagons du passé, un texte d’Héloïse Lesage fortement teinté de nostalgie – un des plus forts du recueil – où la filleule va à la rencontre de son parrain pour mieux connaître la vie de son père décédé, ou que ce soit, à l’opposé des façons d’exprimer son ressenti, dans un univers de prolétaires de campagne comme chez les vignerons d’Hubert Noémie dont les personnages se vautrent dans la gadoue des cours de ferme et des étables dans Coup de soleil.
J’aimerais citer un autre texte qui relèverait plutôt de la première catégorie (« plus ou moins banale partie de jambes en l’air ») vu qu’il permet de cerner une certain savoir-faire de la part de l’autrice. Je parle de Rosa Marion qui, dans La Garrigue, se sert d’une vielle recette mille fois expérimentée dans les RomCom à succès où tu prends un mec et une femme – à la période des LGBT+++ on peut évidemment puiser dans la multitude des combinaisons rendus possibles par ces sigles – qui ne s’entendent pas, mais pas du tout (!), pour les fourrer dans une situation où ils seront obligés de se fréquenter de très près. Ensuite tu attends un peu et tu verras l’inévitable se produire – ces deux-là finiront par se jeter entre leurs cuisses pour s’envoyer en l’air le plus loin possible. Il faut avouer que, si le procédé n’est pas carrément original, cette recette est très bien exécutée dans La Garrigue, et on y sent une réelle passion, un réel amour aussi, pour la situation aussi bien que pour le décor.
Le problème quand on parle d’un recueil, c’est qu’on manque cruellement de temps et de place pour rendre justice aux participants. On sera toujours obligé de choisir et de présenter quelques textes qui se seront fait remarquer, que ce soit par leurs qualités, leurs défauts ou tout simplement par un côté qui « parle » à celui qui a choisi de faire du recueil le sujet d’un article. Je me permets donc cette liberté afin de présenter – en passant – quelques textes qui m’ont fait réfléchir.
Il y a tout d’abord (je les aborde ici dans l’ordre de la table des matières) le texte déjà brièvement évoqué, Les wagons du passé, signé Héloïse Lesage. On y rencontre Juliette, jeune fille qui est partie à la rencontre de son parrain, Pierre, afin d’avoir le cœur net à propos de son père décédé. Débarquée dans son refuge en Ardèche, elle se frotte contre le côté ours mal léché de celui-ci qui pourtant, face à la douce obstination, finit par céder et par succomber aux images du passé qui évoquent une relation de tendresse entre les deux personnages. Un rapprochement tout en délicatesse, plein de souvenir même pas partagés :
Combien de biberons, de dada-sur-ses-genoux, de tresses refaites, de bisous magiques… Et elle ne se souvenait de rien. Nada. Mémoire volatilisée, écrasée par la vie qu’elle avait dû mener après la mort de son paternel.
Ensuite, j’ai été content de retrouver dans le recueil une vieille connaissance, Jon Blackfox, avec un texte, La maison qui brûle, dont le titre rappelle un de ses romans dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici, Les incendiaires. Jon, il a le chic pour trouver les sujets qui dérangent. Ici, c’est l’histoire d’un mec – surfeur – dont la maison vient de brûler et qui se fait recueillir par une femme qui s’amuse à faire de lui sa salope, le déguisant en fille et le baisant bien profond à l’aide d’un gode-ceinture. Elle s’y prend de façon tellement systématique qu’on se surprend à penser que le feu ne s’est peut-être pas déclaré par hasard… N’empêche, le matin suivant le voit retourner à ses vagues, comme si tout le reste n’avait été qu’un intermède :
Je pris le chemin de la plage avec ma planche de surf sous le bras. Le soleil se levait pour de bon sur l’océan et les vagues semblaient prometteuses.
Après le texte de Jon figure celui de RoseLys DesDunes, Entre deux dunes… Un texte qui m’a laissé avec un certain malaise. Tout d’abord pourtant, rien de très spécial : Des scènes de baise dans les dunes, grand classique des libertins amoureux de soleil et d’air salé comme on en trouve dans pratiquement tous les textes ayant choisi ce décor[1]Allez voir du côté de June Summer, Aventures libertines, le Cap. C’est d’ailleurs dans ce texte-ci que j’ai trouvé le passage sans doute le plus hilarant du recueil entier. Imaginez deux femmes en train de se brouter avec, à deux pas, un public assez spécial :
Assis sur un tronc de pin courbé vers le sable, une brochette d’hommes assiste à leurs ébats. Ils sont quatre à mater le spectacle, nus, bien sûr, une simple casquette vissée sur la tête !
Tous sont enduits de crème solaire qui leur donne des allures de statues polies. Ils ne se touchent pas, mais sont alignés comme des oiseaux sur une branche, attentifs, concentrés même !
Dommage que le passage en question soit suivi de très près par un autre qui me fait presque regretter la présence de ce texte dans le recueil : Parler, à propos d’une de ses protagonistes, de « Vénus hottentote » [2]« Elle s’agenouille entre les cuisses énormes, écarte d’un doigt adroit le fouillis de poils de suie qui orne le bas-ventre de la gisante et offre aux yeux des voyeurs le velours soyeux du sexe … Continue reading comme l’autrice n’hésite pas à le faire en désignant une femme noire plutôt bien en chair, me semble assez déplacé dans le contexte actuel, surtout quand on connaît l’étymologie de cette désignation.[3]Je n’ai pas voulu surcharger cet article ni gâcher sa légèreté estivale, c’est pour cela que j’ai choisi de déplacer mes considérations à propos de l’expression Vénus hottentote dans une page … Continue reading
Le malaise suscité par de telles considérations une fois dissipé, on aborde d’autres textes avec plus de sérénité, comme celui de Jean Danel, Le bac de philo, un texte qui m’a laissé des impressions bien au-delà du temps de lecture. Il s’agit d’un récit « classique » qui aborde le sujet par excellence d’un recueil estival, le sexe à la plage. Dans le cas de ses deux héros, Jean et Paul, c’est la prof d’allemand qui se fait surprendre en pleins ébats par ses étudiants. Encore que ceux qui croyaient prendre seront – évidemment – pris. Classique – et très bandant, même si l’auteur n’a pas su éviter les clichés et les stéréotypes. Mais comment en vouloir à quelqu’un qui sait évoquer le souvenir d’Ursula Andress avec des mots tellement pleins de grâce :
Elle est belle à mourir. Elle se passe les mains dans les cheveux, s’avance en croisant les jambes comme une danseuse, caresse vaguement ses gros seins…
Et puis, il y a ce petit texte de Franck Balandier, Clito, un texte impossible à contourner, peut-être même le plus fort du recueil. C’est l’histoire d’un tout premier amour, à la sortie de l’enfance, entre deux âges, un amour devenu obsessif à travers le souvenir dont la force croît avec l’âge pour prendre des proportions mythiques. Un texte qui en même temps cherche à viser plus loin, au-delà du présent qui n’est qu’une promesse des charmes entraperçus. On y trouve des phrases d’une belle sensibilité, pleines de regret, le tout assorti d’une note mélancolique qui répand son parfum dans ce recueil de textes en grande partie insouciants :
Isabelle, c’est ma came, ma colle à rustine, mon ivresse. Avec elle […] j’entreprends un drôle de voyage qui me mène, par des chemins détournés, jusqu’à sa mère. Jusqu’à l’âge adulte.
Une belle lecture, une belle expérience. Un auteur dont je ne connaissais pas les ambitions d’érotisme, mais dont j’aime imaginer qu’il y ait un lien aussi ténu soit-il avec L’Heure tiède, le recueil qu’il vient de publier aux éditions Librairie-Galerie Racine et où il dresse le portrait de « toutes les femmes qu’il a aimées ». [4]Passage cité d’après la quatrième de couverture.
Une fois de plus, La Musardine a donné le coup d’envoi littéraire pour un été tout en sensualité placé sous le signe de l’amour, du sexe et de la débauche. Une fois de plus, l’équipe a réussi à rassembler des textes qui sauront, chère lectrice, cher lecteur, vous mettre dans tous vos é[t|b]ats. Et je salue le courage de celles et de ceux qui ont décidé de rassembler sous leurs étendards, à côté de quelques valeurs sûres, un certain nombre d’autrices et d’auteurs inconnus au bataillon afin de permettre aux lecteurs de sortir des habitudes et de s’engager dans des voies nouvelles. L’été commence bien !
Collectif
Osez 20 histoires de sexe au soleil
La Musardine
ISBN : 9782364908765
Références
↑1 | Allez voir du côté de June Summer, Aventures libertines, le Cap |
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↑2 | « Elle s’agenouille entre les cuisses énormes, écarte d’un doigt adroit le fouillis de poils de suie qui orne le bas-ventre de la gisante et offre aux yeux des voyeurs le velours soyeux du sexe de la Vénus hottentote. » |
↑3 | Je n’ai pas voulu surcharger cet article ni gâcher sa légèreté estivale, c’est pour cela que j’ai choisi de déplacer mes considérations à propos de l’expression Vénus hottentote dans une page à part. |
↑4 | Passage cité d’après la quatrième de couverture. |