À pro­pos de la « Vénus hottentote »

C’est dans un recueil esti­val paru en juin 2019 aux édi­tions La Musar­dine, Osez 20 his­toires de sexe au soleil, que j’ai trou­vé l’ex­pres­sion « Vénus hot­ten­tote » pour dési­gner une femme noire bien en chair. J’ai eu, en le lisant, un léger malaise, mais ce n’est qu’a­près avoir fait quelques recherches que cela s’est pré­ci­sé. Comme je n’ai pas vou­lu ter­mi­ner mon article sur une note trop lourde, j’ai déci­dé de consi­gner mes réflexions à une page à part que celle ou celui qui vou­drait se faire une idée peut consul­ter comme bon lui semble. Voi­ci, pour com­prendre le pro­pos ini­tial, les para­graphes en ques­tion tirés de l’ar­ticle rédi­gé à pro­pos du recueil en question :

Avant de ter­mi­ner, une brève remarque à pro­pos d’un texte de Rose­Lys Des­Dunes, Entre deux dunes… Tout d’a­bord, rien de très spé­cial : Des scènes de baise dans les dunes, grand clas­sique des liber­tins amou­reux de soleil et d’air salé comme on en trouve dans pra­ti­que­ment tous les textes ayant choi­si ce décor[1]Allez voir du côté de June Sum­mer, Aven­tures liber­tines, le Cap. C’est là-dedans d’ailleurs que j’ai trou­vé le pas­sage le plus hila­rant du recueil entier. Ima­gi­nez deux femmes en train de se brou­ter avec, à deux pas, un public assez spécial :

Assis sur un tronc de pin cour­bé vers le sable, une bro­chette d’hommes assiste à leurs ébats. Ils sont quatre à mater le spec­tacle, nus, bien sûr, une simple cas­quette vis­sée sur la tête !

Tous sont enduits de crème solaire qui leur donne des allures de sta­tues polies. Ils ne se touchent pas, mais sont ali­gnés comme des oiseaux sur une branche, atten­tifs, concen­trés même !

Dom­mage que le pas­sage en ques­tion soit sui­vi de très près par un autre qui me fait presque regret­ter la pré­sence de ce texte dans le recueil : Par­ler, à pro­pos d’une de ses pro­ta­go­nistes, de « Vénus hot­ten­tote » [2]« Elle s’agenouille entre les cuisses énormes, écarte d’un doigt adroit le fouillis de poils de suie qui orne le bas-ventre de la gisante et offre aux yeux des voyeurs le velours soyeux du sexe … Conti­nue rea­ding comme l’au­trice n’hé­site pas à le faire en dési­gnant une femme noire plu­tôt bien en chair, me semble assez dépla­cé dans le contexte actuel, sur­tout quand on connaît l’é­ty­mo­lo­gie de cette désignation.

À moi main­te­nant d’ex­pli­quer : Dans le dic­tion­naire du CNRTL on trouve, dans l’ar­ticle hot­ten­tot, la cita­tion sui­vante pour expli­quer l’ex­pres­sion de Vénus hot­ten­tote :

Femme sup­po­sée hot­ten­tote, for­te­ment stéa­to­pyge[3]Cette manie qu’ont les col­la­bo­ra­teurs des dic­tion­naires d’in­sé­rer à gauche et à droite des termes qui ont besoin d’un dic­tion­naire pour les expli­quer ! Quant au terme de stéa­to­pyge, voi­ci ce que … Conti­nue rea­ding, et dont le mou­lage et le sque­lette sont conser­vés au musée de l’Homme.

Bon, si ce n’est pas très ragoû­tant – sur­tout le fait de conser­ver son sque­lette au musée – , cela peut tou­jours pas­ser, sauf à lire la cita­tion insé­rée tout de suite après pour étof­fer cette défi­ni­tion avec quelques détails :

Il faut signa­ler son mémoire sur La Vénus hot­ten­tote [it. ds le texte], paru, en 1817, dans les « Mémoires du museum », dans lequel il a pous­sé jus­qu’à la per­fec­tion la des­crip­tion des carac­tères phy­siques d’un repré­sen­tant d’une race aux traits archaïques qu’il com­pare fré­quem­ment à ceux des singes. Hist. sc.,1957, p. 1367. [4]Cité d’a­près l’article Hot­ten­tot du dic­tion­naire du CNRTL

Un pas­sage qui donne envie de pous­ser plus loin les recherches afin de jeter un peu de lumière sur l’i­den­ti­té du pro­nom (« son », « il ») en ques­tion. Grâce à Google, il suf­fit de sai­sir un pas­sage du texte cité afin de trou­ver la réponse : il s’a­git de Georges Cuvier, natu­ra­liste fran­çais, pro­fes­seur au Col­lège de France depuis 1799 et titu­laire de la chaire d’A­na­to­mie com­pa­rée au Museum depuis 1802. Mal­heu­reu­se­ment, les pas­sages qu’on peut décou­vrir grâce p.ex. à l’ou­vrage de Claude Stoll, L’influence d’une époque sur les pen­sées des scien­ti­fiques, sont peu appétissants :

En résu­mé, pour Cuvier, les nègres se rap­prochent des singes, les peu­plades qui com­posent la race nègre sont tou­jours res­tés bar­bares. Cuvier qui a pra­ti­qué l’au­top­sie d’une femme noire, la Vénus hot­ten­tote, com­pare ses carac­tères à ceux des singes ; pour lui, elle a les carac­tères de l’a­ni­ma­li­té. Il écrit encore que la plus dégra­dée des races humaines est celle des nègres dont l’in­tel­li­gence n’est pas assez éle­vée pour leur per­mettre d’ar­ri­ver à un gou­ver­ne­ment régu­lier, ni à la moindre appa­rence de connais­sances sui­vies. [5]Cf. l’ou­vrage de Claude Stoll, L’influence d’une époque sur les pen­sées des scien­ti­fiques, p. 69

À qui, sinon aux écri­vains, est-ce qu’on peut deman­der de maî­tri­ser la langue dans toutes ses convo­lu­tions ? Et com­ment sup­por­ter un pas­sage avec de telles conno­ta­tions quand l’é­cho des insultes racistes diri­gées contre l’an­cienne ministre de la Jus­tice, Mme Tau­bi­ra, reten­tit encore dans les oreilles des citoyens de la République ?

Je ne crois pas que l’au­trice ait vou­lu évo­quer de telles conno­ta­tions, mais il me semble qu’il y a des mots tel­le­ment char­gés de conno­ta­tions qu’il vaut sans doute mieux les évi­ter afin de ne pas infli­ger des blessures.

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Allez voir du côté de June Sum­mer, Aven­tures liber­tines, le Cap
2 « Elle s’agenouille entre les cuisses énormes, écarte d’un doigt adroit le fouillis de poils de suie qui orne le bas-ventre de la gisante et offre aux yeux des voyeurs le velours soyeux du sexe de la Vénus hottentote. »
3 Cette manie qu’ont les col­la­bo­ra­teurs des dic­tion­naires d’in­sé­rer à gauche et à droite des termes qui ont besoin d’un dic­tion­naire pour les expli­quer ! Quant au terme de stéa­to­pyge, voi­ci ce que j’ai trou­vé sur la toile : « Dont le tis­su adi­peux est très déve­lop­pé au niveau des fesses »…
4 Cité d’a­près l’article Hot­ten­tot du dic­tion­naire du CNRTL
5 Cf. l’ou­vrage de Claude Stoll, L’influence d’une époque sur les pen­sées des scien­ti­fiques, p. 69