Comme vous pouvez facilement le constater, cela fait un bail que je suis un aficionado de littérature érotico-pornographique. Avec plus de 700 articles à mon actif, la Bauge littéraire est devenu – au fil des années – un véritable trésor facile à consulter pour celles et ceux qui aimeraient plonger dans l’univers des galipettes et d’autres jeux souvent moins innocents. Vous imaginez qu’un sujet qui tourne éternellement autour des mêmes désirs et des mêmes obsessions risque parfois de se répéter. Et même votre serviteur, passionné du genre pourtant, je me retrouve parfois avec « la chatte de trop ». Il va de soi que le génie et le savoir-faire des autrices et des auteurs érotiques leur permet de contourner la plupart des écueils qui les guettent dans des eaux pas toujours assez profondes pour une navigation sereine. Tomber sur une approche carrément différente est quand même un événement plutôt rare, un événement que je ne peux que saluer même si je ne souscris pas à tous les caprices de celle ou de celui qui manie la plume avec plus ou moins de facilité.
Et voici que, sans faire exprès, je vous ai pondu en quelques lignes un préliminaire assez révélateur de ce que je peux penser du texte de Clément Villaume, publié chez La Musardine le 19 juin 20251, deux jours donc avant le début « officiel » de la belle saison. Qui, vous le savez, hante et fascine votre serviteur au point de l’avoir conduit à publier, année après année et ce depuis treize ans maintenant, une série de Lectures estivales.
Si le titre est assez révélateur de ce qu’on peut attendre du texte, il reste assez vague pour laisser le champ libre aux fantasmes. La chose que je peux vous révéler sans divulgâcher l’essentiel, c’est que le fier voilier se transforme, le temps de la traversée, en boîte à orgie où la baise dans tous les sens est à l’ordre du jour. Et même inscrit dans la constitution que la joyeuse bande d’apprentis-hauturiers ne tarde pas à proclamer :
En ce vingt-septième jour de septembre de l’an de grâce deux mille vingt-cinq, nous proclamons la naissance de la “République populaire de la baise libre”, première nation sexuelle flottante, sur le voilier susnommé Daïra…2
Ce court extrait donne en même temps une petite idée à propos de la composition assez hétéroclite de l’équipage. Parce qu’il y a, à côté du capitaine (l’Insoumis fils à papa Baptiste, Baptou pour les intimes, un peu machiste sur les bords) et de son copain indien Suraj, des filles venues de tous les horizons politiques, et la catho bourgeoise – comment imaginer la présence de « l’an de grâce » sans le concours d’une fidèle ? – côtoie de très (*très*) près une bergère provençale qui a pour habitude de hanter les ZAD et autres communes d’un style de vie à mille milles des salons fréquentés par Ernestine « fan de Jacques Chirac« 3 qui fièrement arbore sa croix de baptême, même dans l’appareil le plus simple – dans lequel elle finit par se retrouver bien plus souvent que ce qu’elle aurait pu imaginer à l’abordage. Se mêlent à ce mélange explosif des filles plus difficiles à ranger sur l’échiquier politique d’une société de plus en plus tiraillée entre les extrêmes. Il y a d’abord Alice, la novice qui « n’est jamais montée sur un bateau« 4, amante pendant quelques jours du beau Baptou, remplacée – en tant que membre de l’équipage, pas en tant qu’amante – un peu plus tard par la bateau-stoppeuse Romy à Tenerife. Voici l’équipage au grand complet, et on imagine facilement ce que cela peut donner : de jeunes adultes entre 25 et 35 ans5, enfermés dans l’espace clos pendant une longue traversée, l’air des cabines et du carré saturé d’hormones, et une volonté partagée de partir à l’aventure pour découvrir de nouveaux horizons. C’est le cas de le dire, car personne ne quittera le navire sans avoir subi de sérieuses remises en question et de profonds changements. Et si on peut s’étonner de la facilité et de la rapidité des premières parties de jambes en l’air, les membres de l’équipe réservent de belles surprises aux lectrices et aux lecteurs embarqués avec eux.
Comme dans tout roman qui se réclame du genre érotique, ce sont les filles et leurs escapades dans le domaine de Sappho qui occupent le devant de la scène. C’est dans l’esprit de tous les amateurs de « some good old fashioned American girl-on-girl action« 6 qu’Ernestine et Maria – la catho et la bergère – se rapprochent, par culotte reniflée interposée, avant de finir entre leurs cuisses respectives à se lécher les chattes avec un plaisir qui encore hésite à se nommer – du moins du côté d’Ernestine.
À force de faire quelques petites recherches après l’auteur de ce texte bleu marin, on tombe sur un reportage qu’on imagine facilement à l’origine du roman : Viols, harcèlement… Des femmes brisent le silence sur les violences en haute mer, une enquête sur des capitaines-prédateurs qui profiteraient des femmes consentant à partager l’espace restreint et parfois suffocant d’un navire le temps d’un trajet transatlantique7. Et qu’on supposerait prêtes à troquer leurs charmes contre un passage. On retrouve effectivement dans le texte de L’Amour en mer des éléments du reportage comme notamment les annonces à l’origine de l’aventure, la proximité forcée à bord d’un bateau et notamment la sexualité débridée qui s’installe avant même d’avoir levé l’ancre. Et le capitaine, Baptiste, peu importe ses convictions politiques « progressistes », se révèle un sacré lourdaud quand il expose, dès les premières interviews par Zoom, un ananas renversé pour indiquer qu’il place Daïra sous le pavillon du libertinage8. Question de ne pas laisser planer le doute… Même quand Baptiste, confronté à la question du comment et du pourquoi de ce fruit, essaie de se justifier, on ne peux s’empêcher de penser à une sorte de prédateur qui laisserait à ses futures victimes un supposé choix :
On va forcément partager une intimité dans les mois qui viennent et je trouve ça bien si l’on peut parler librement de sexualité et de nos relations amoureuses.
Simple constat des faits ? Proposition ? Voire attente à peine cachée et invitation à se plier aux attentes du capitaine… La suite se révèle plus innocente et si une débauche endiablée emporte très vite tout le monde dans sa ronde infernale, Baptiste ne met pas la pression, contrairement à bon nombre de ses congénères arrivés dans la position de pouvoir se prévaloir d’un certain prestige et d’un pouvoir assuré. Et des membres de son équipage – notamment la mystérieuse Romy – s’occuperont à nettoyer le bateau et son capitaine des relents de machisme parfois difficile à évacuer. Je vous laisse le soin de découvrir les moyens mis en œuvre par la belle Romy, mais je pense que vous serez agréablement surpris.
L’Amour en mer est un texte qu’on n’hésite pas de qualifier d’érotique vu le nombre de chattes léchées, de bites pompées et d’orifices investis. Mais il parle plus encore des dynamiques qui s’installent entre les membres de l’équipage, rejetés sur eux-mêmes une fois toutes les amarres coupées, hommes et femmes emportés par des orages autrement plus dévastateurs que tout ce que l’Atlantique peut déchaîner contre eux. Dévastateurs, certes, mais libérateurs aussi vu la paix qui s’installe entre les participants de cette traversée non seulement trans-atlantique, mais aussi trans-gressive dans la mesure où les limites, les convictions et les certitudes de tout un chacun ont été remises en question avant d’aboutir à une réévaluation permettant la poursuite vers de nouvelles horizons.
J’ai apprécié le texte de Clément Villaume pour son côté orgiaque, bien sûr, mais plus encore pour l’usage qu’il fait de la sexualité pour permettre à ses « sujets » de sortir grandis de l’expérience. Et pour sa volonté affichée de montrer une voie pour sortir des dissensions envahissantes qui risque de faire éclater la société telle qu’elle s’est construite dans les décennies passées sur fond de liberté9. Si un certain côté dogmatique ne peut pas toujours s’ignorer, c’est sans doute suite à un certain manque d’expérience dans le domaine littéraire. Qu’on ne peut pas reprocher à un auteur aussi jeune10 qui signe ici son premier roman.
Avant de conclure, un tout petit mot à propos de la couverture. Celle-ci est vraiment géniale et s’adapte au sujet comme si le texte avait inspiré des rêves d’ailleurs sensuels à Alexis Jarret, illustrateur qui n’en est pas à son coup d’essai pour la Musardine. Elle sort même tellement de l’ordinaire que je me suis carrément vu contraint de faire des recherches à propos de l’artiste à son origine. Bravo !
Clément Villaume
L’Amour en mer
La Musardine
ISBN : 9782386390272
- Pas toujours facile de fournir des résultats pertinents si les données divergent autant. Sur le site de La Musardine, on trouve le 19/05/25 comme date de la parution tandis que la fnac avance le 12 juin. On trouve par contre le 19 chez Amazon et dans ma librairie numérique préférée, 7switch. Allez savoir maintenant quelle date est la bonne :-o ↩︎
- Clément Villaume, L’Amour en mer, Paris, p. 32 (selon la pagination de la version numérique (EPUB) consultée avec le logiciel Foliate) ↩︎
- L’Amour en mer, Paris, p. 162 ↩︎
- L’Amour en mer, Paris, p. 14 ↩︎
- « À son bord, cinq jeunes gens de 25 à 35 ans. », p. 4 ↩︎
- Chandler (joué par Mathew Perry dans Friends) dans l’épisode The one with the sharks. ↩︎
- Bel exemple d’inter-textualité que ce reportage mentionné dans le texte : « Elle [i.e. Ernestine] avait lu une enquête journalistique sur le sexisme dans le milieu de la voile, avec de nombreux témoignages de femmes qui avaient vécu harcèlements ou viols en haute mer. » (p. 9) ↩︎
- Un symbole dont je n’ai encore jamais entendu parler – après des années passées à fréquenter des autrices et des auteurs de textes érotiques et à me gaver de leurs productions. Où le libertinage est quand même bien plus qu’un ingrédient un peu épicé… ↩︎
- Ma consœur bien-aimée Clarissa Rivière qualifie le texte d” »hétérotopie où tout devient possible » dans l’article publié sur son blog. ↩︎
- Clément serait né en 1997 d’après sa biographie sur la page Amazon du titre. ↩︎