Astrid Monet / Fer­di­nand, 14 nou­velles du métro Parisien

C’é­tait pour­tant une belle idée, celle qu’ont conçue Astrid Monet et Fer­di­nand, celle de créer un recueil de nou­velles dédié aux lignes du métro pari­sien. L’a­rith­mé­tique est certes des plus simple : une ligne de métro, un texte =  14 nou­velles du métro Pari­sien. Et ima­gi­nez les tré­sors qu’on aurait aimé y trou­ver : des textes consa­crés à la vie sou­ter­raine de la capi­tale, la vie com­pri­mée dans les artères enfouies dans le sol mil­lé­naire, une vie péné­trante, irré­sis­tible, incar­née par les mil­lions d’in­di­vi­dus qui ali­mentent ce grand corps adi­peux dont le poids mal­sain écrase chaque jour davan­tage l’Île de France. Des textes qui auraient pui­sé dans l’é­norme réser­voir qu’est Paris pour illus­trer l’hu­ma­ni­té, ses triomphes, ses échecs, ses débor­de­ments… Je l’ai dit, et je le répète, une bonne idée, une belle idée, une idée qui aurait sans doute per­mis de cer­ner la bête et de tirer au grand jour ses mystères.

Mal­heu­reu­se­ment, dans le cas du recueil en ques­tion paru aux Édi­tions Numé­rik­livres, ces lignes de métro sont plu­tôt un pré­texte, un moyen de relier par le plus ténu des fils rouge des textes en véri­té assez dis­pa­rates. Certes, le métro y est, avec ses sta­tions aux noms pit­to­resques, ses bouches, ses cou­loirs, le tra­cé de ses lignes, jus­qu’à ses odeurs qui entrent à jamais dans la mémoire de celles et de ceux qui les ont une fois res­pi­rées. Mais, dans la plu­part des cas, ces élé­ments ne jouent que le rôle de simples figu­rants, de décor, d’un arrière-plan, d’une touche de cou­leur locale. Et les intrigues se déroulent sans que le décor y soit réel­le­ment pour quelque chose.

Admet­tons que les auteurs aient juste cher­ché un pré­texte pour don­ner une uni­té quel­conque à leur recueil, une marque qui puisse atti­rer le cha­land, l’in­ci­ter à délier les cor­dons de sa bourse. Après tout, nous vivons bien dans une ère com­mer­cia­li­sée et les auteurs doivent méri­ter leur exis­tence comme tout le monde. Qu’en est-il donc des textes qui consti­tuent le recueil et qui pour­raient faire oublier l’en­seigne quelque peu faus­se­ment pro­met­teuse col­lée sur la couverture ?

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Tout d’a­bord, un trait qui frappe : Dans la plu­part de ces textes, Il y fait noir et il y fait froid, il pleut, il neige et le vent y gèle les doigts. On ima­gine la ville en proie à un hiver éter­nel, la lumière y est aux abon­nés absents, les pro­ta­go­nistes se mettent à han­ter les cou­loirs du métro aux petites heures du matin, et c’est sou­vent le der­nier (ou le pre­mier) métro qu’ils empruntent. Le décor y manque curieu­se­ment de cha­leur, comme cette chambre d’hô­tel sor­dide où le père de Jéré­my se laisse som­brer dans l’al­cool ou encore l’ap­par­te­ment vide où la belle Norah passe une der­nière nuit avec l’a­mant qui vient de la quit­ter. Il y règne une ambiance pro­pice à l’in­quié­tude qui se sai­sit des per­son­nages, aux menaces qu’on sent peser sur eux, des menaces qui par­fois se pré­cisent sans qu’on puisse vrai­ment sai­sir leur essence et qui par­fois partent – tout bête­ment – en fumée, comme dans le cas de la course-pour­suite entre les rails.

Cer­tains de ces textes savent tou­cher le lec­teur par leur sim­pli­ci­té, par le déses­poir des pro­ta­go­nistes, déses­poir qu’ils ne savent expri­mer, entra­vés par le froid qui enva­hit le monde, un froid mena­çant de ger­cer les ves­tiges d’hu­ma­ni­té. C’est le cas de Jéré­my coin­cé dans la chambre d’hô­tel où son père s’est lais­sé mou­rir, de Norah qui ne trouve d’autre remède contre la soli­tude que les bras de celui qui vient de la quit­ter, de Mar­celle ter­ras­sée par le poids des années, réduite à un seul sou­ve­nir qui reten­tit dans sa tête désor­mais vide, de Can­dy, jeune fille maigre qui vient de débar­quer, sans repères, dans la capi­tale où elle ouvre son appar­te­ment et ses cuisses à un incon­nu, lec­teur des poèmes de William Blake, croi­sé dans les cou­loirs du métro. Ou encore de la fillette sans nom qui, la nuit de ses douze ans, sort de chez elle pour rap­por­ter un brin de lumière à l’exis­tence bri­sée de sa mère.

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Et puis, il y a d’autres textes dont on ter­mine la lec­ture en se deman­dant quels moyens l’au­teur a dû mettre en œuvre pour les faire accep­ter par son édi­teur. Les réflexions d’un prix Gon­court ? Un crime dans le métro qui, fina­le­ment, n’en est pas un ? Un che­val de course entré en rela­tion sur­na­tu­relle avec sa jockey qu’on assas­sine ? L’his­toire du bon­homme qui s’é­gare dans le métro ? Sérieu­se­ment ? N’est-ce pas hau­te­ment iro­nique que l’un des auteurs (Fer­di­nand) a trou­vé les meilleurs mots pour dire mon désar­roi : « À la fin, je me pose une seule ques­tion : et alors ? » (Le len­de­main du Goncourt)

Je dois avouer que je n’ai pas vrai­ment été enthou­sias­mé par le recueil, quitte à être car­ré­ment déçu par cer­tains des textes. Et pour­tant, si je sors quand même de cette lec­ture avec un bon sou­ve­nir, c’est grâce à une fillette ano­nyme de douze ans qu’on ne s’é­ton­ne­rait pas de croi­ser dans un conte de fées. Une fille que je vous invite à découvrir !

Astrid Monet / Fer­di­nand
Numé­rik­livres
14 nou­velles du métro Pari­sien
ISBN : 978−2−89717−760−7

Astrid Monet / Ferdinand, 14 nouvelles du métro Parisien
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95