
Je n’ai jamais vraiment aimé les anthologies. Le fait de me trouver en présence d’un texte amputé, dont on vient de mettre une partie seulement sous la lumière trop intense des projecteurs, cela me gêne. Tout d’abord, parce qu’il y a comme un non-respect du travail de l’écrivain, qui, après tout, a construit son texte comme faisant partie d’un ensemble qu’on ne peut impunément déchiqueter. Et puis parce que le choix du morceau destiné à entrer dans un recueil s’opère très souvent selon des critères extra-littéraires : un auteur décrit une certaine ville, et on se sert de son texte pour épaissir une anthologie consacrée à la ville en question, peu importe sa fonction originale au sein de l’univers constitué par tous ces mots et tous ces signes. Ce procédé présente un côté réducteur qui devrait révolter tous ceux qui ont la moindre idée de ce que peut être un texte dans toute sa complexité.
Et pourtant… Quand j’ai reçu l” « Anthologie littéraire de la Jouissance », dernier rejeton des Éditions Blanche, je n’ai pas pu me retenir. Et qui pourrait s’en étonner, compte tenu d’un sujet aussi alléchant ? C’est ainsi que j’ai découvert le plus grand mérite d’un recueil de textes – de tout recueil de textes : celui de permettre des découvertes. Avec 49 textes de 49 auteurs différents, réunis sur 218 pages, on s’embarque dans une aventure littéraire bien particulière, avec des horizons qui se renouvellent à chaque bout de champ et des paysages stylistiques qui n’ont rien à envier aux perspectives les plus extraordinaires.

On comprend que, dans un tel cas, la lecture peut ressembler à une cavalcade à travers un terrain accidenté qui demande des efforts surhumains au lecteur. Mais je vous assure que cette peine-là est de celles qu’on recherche avec avidité pour pouvoir jouir d’un plaisir à aucun autre pareil. Des textes contemporains (souvent d’un auteur de la maison, comme l’extrait du Manoir d’Emma Cavalier) y côtoient d’autres qui nous viennent de beaucoup plus loin, les plus anciens remontant jusqu’à la Renaissance italienne (l’Arétin) ou française (Marot), tandis qu’une bonne partie réclament une paternité plus familière comme celle de Sade, de Mirabeau, de Musset, de Gautier, d’Apollinaire ou encore de Verlaine.
Ce petit volume, dont les textes ont été rassemblés sous la direction de Franck Spengler lui-même, m’a donc sur le tard appris les bienfaits d’une approche anthologique, qui permet, dans le meilleur des cas, de se retrouver, après lecture, avec un bureau encombré par une montagne de livres – fraîchement acquis ou enfin sortis des étagères poussiéreuses de la bibliothèque – qui attendent d’être dégustés sans la moindre modération.
Anthologie littéraire de la jouissance
Éditions Blanche
ISBN : 978–2846283014