En-tête de la Bauge littéraire

Annie May, Phi­lippe Roy, Humeur Lutine

Cette année-ci, un de mes plus beaux cadeaux lit­té­raires est tom­bé pile-poil la veille de Noël, le jour où mes conci­toyens tra­di­tion­nel­le­ment célèbrent la nais­sance du Christ en arran­geant plein de petits paquets dans des embal­lages rac­co­leurs sous le sapin. Si le mien n’a pas pu trou­ver sa place sous le coni­fère en ques­tion, compte tenu de son for­mat imma­té­riel, l’emballage est par contre superbe et pro­met­teur de quelques heures de délices. Une pro­messe dont on sait Annie May capable de la rem­plir quitte à en rajou­ter. Je vous parle évi­dem­ment d’Humeur Lutine, un texte annon­cé depuis la mi-novembre sur les réseaux sociaux par Che­mins Obs­curs et co-écrit par Annie May et Phi­lippe Roy, un couple d’au­teurs liés par une désor­mais assez longue his­toire édi­to­riale. S’il ne faut plus pré­sen­ter à mes fidèles lec­teurs Annie May – une autrice qui a droit de cité dans mes colonnes depuis plus de cinq ans avec sa série SF-éro­tique Les Aspi­rantes – je n’ai pas encore eu l’oc­ca­sion de par­ler de Phi­lippe Roy, « auteur de fan­tas­tique » qui, d’a­près la brève pré­sen­ta­tion qu’on trouve sur le site inter­net de l’é­di­teur, « sait marier l’ombre et l’humour »[1]Cité d’a­près le site inter­net des Édi­tions les Che­mins Obs­curs.

Si Annie May a été obli­gée de sor­tir des décors des Aspi­rantes pour plon­ger à fond dans la magie de Noël, on est assu­ré de trou­ver une bonne grosse dose de fan­tas­tique dans ce texte. À moins que vous n’ayez l’ha­bi­tude de voir votre quo­ti­dien peu­plé de lutines prêtes à tous les excès afin de cal­mer l’a­gi­ta­tion dans laquelle les plonge une sacrée tem­pête hor­mo­nale aux alen­tours de leur deux-cen­tième anni­ver­saire. La pre­mière de ces Lutines, on la croise dès le pre­mier cha­pitre dans lequel on fait évi­dem­ment connais­sance du pro­ta­go­niste, un écri­vain – cette manie qu’ont les auteurs de tis­ser leurs textes autour des écri­vaillons, cela me dépasse – ron­gé par la pro­cras­ti­na­tion et en mal d’ins­pi­ra­tion. Encore heu­reux que, après avoir lamen­ta­ble­ment raté sa jour­née, il lui reste la nuit qui non seule­ment porte conseil, mais qui, sur­tout, lui apporte des rêves. Sauf que – on se pose la ques­tion s’il peut bien s’a­gir d’un rêve ? D’un côté, il y a bien sûr cette fille épous­tou­flante qui par­tage la couche de notre héros, et dont on se demande d’où elle peut bien venir ? Qui est capable de réduire sa taille comme bon lui semble et qui finit par se mas­tur­ber, assise sous le sapin sur un des cadeaux avec un sucre d’orge qui ter­mine son par­cours dans le ventre de la belle, mais pas de la façon d’ha­bi­tude réser­vée à ce genre de sucrerie ?

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Mais, de l’autre côté, ce rêve-là, ne se frotte-t-il pas d’un peu trop près à la réa­li­té bien peu fan­tas­tique de la minus­cule « pièce double »[2]Le texte ne peut ni ne veut cacher ses ori­gines qué­bé­coises et plus pré­ci­sé­ment mont­réa­laises, et c’est avec plai­sir qu’on par­court ses rues hiver­nales en pente an com­pa­gnie du pro­ta­go­niste en … Conti­nue rea­ding de notre auteur en rade ? Qui ne tar­de­ra d’ailleurs par à faire l’ex­pé­rience d’une

« jouis­sance bru­tale [qui] ne res­sem­blait en rien à celle d’un rêve ; »[3]Annie May, Phi­lippe Roy, Humeur Lutine, p. 8

Et quand, ensuite, il raconte comment

« un cou­rant d’air tout à fait concret dres­sait l’extrémité de ses [i.e. de la Lutine] seins »

on a envie de consta­ter que l’ins­pi­ra­tion fan­tas­tique du texte se révèle ici dans un glis­se­ment tout doux et constam­ment remis en ques­tion vers des contrées par-delà le réel.

Après ce début qui réunit avec une belle effi­ca­ci­té les domaines res­pec­tifs des deux auteurs, les choses se corsent de cha­pitre en cha­pitre. Après avoir four­ni la preuve que les lutines du Père Noël ont une façon bien à elle de cor­ri­ger les mau­vais gar­çons, le lec­teur, de plus en plus incré­dule devant la révé­la­tion de cette face cachée de la magie de Noël, découvre que la lutine ne dédaigne pas de par­ta­ger son plai­sir avec de simples mor­telles qui, au cours d’une soi­rée mémo­rable, se trouvent conviées à une orgie qui emporte tous les par­ti­ci­pants loin, très loin, de leur quo­ti­dien dans une trans­gres­sion jouis­sive. Qui est la bien­ve­nue en cette fin d’an­née mar­quée par l’a­bus de pou­voir de la part d’une caste de puis­sants qui aime­rait mettre au pas une popu­la­tion réduite à ne plus dan­ser qu’au son de la voix de leurs maîtres.

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La richesse du récit est encore aug­men­tée par la pré­sence de quelques nou­velles indé­pen­dantes de l’in­trigue prin­ci­pale, des nou­velles four­nies par un vieux lutin – soi-disant le père de la lutine en vadrouille – et cou­chées sur le disque dur par notre écri­vain qui a fina­le­ment réus­si à s’é­chap­per d’entre les mains de maî­tresse Pro­cras­ti­na­tion. Ces dis­trac­tions ajoutent du piquant sup­plé­men­taire au récit et contri­buent à sa légè­re­té en intro­dui­sant un peu d’hu­mour, un élé­ment qui, d’a­près votre ser­vi­teur, ne se ren­contre pas assez sou­vent dans le genre érotique.

Je vous laisse décou­vrir le texte en espé­rant que sa lec­ture puisse pro­lon­ger la magie déjà si sou­vent évo­quée dans cet article. Humeur Lutine peut se télé­char­ger gra­tui­te­ment sur le site de l’é­di­teur, mais comme il est pos­sible de le payer avec une somme de son choix, j’es­père que vous serez nom­breux, comme votre ser­vi­teur, à délier les cor­dons de vos bourses vir­tuelles afin d’of­frir une petite récom­pense aux lutins qui ont tra­vaillé d’ar­rache-pied à cette si belle surprise.

Annie May, Phi­lippe Roy
Humeur Lutine
Édi­tions les Che­mins Obscurs

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cité d’a­près le site inter­net des Édi­tions les Che­mins Obs­curs.
2 Le texte ne peut ni ne veut cacher ses ori­gines qué­bé­coises et plus pré­ci­sé­ment mont­réa­laises, et c’est avec plai­sir qu’on par­court ses rues hiver­nales en pente an com­pa­gnie du pro­ta­go­niste en train de faire ses courses pour sa soi­rée improvisée.
3 Annie May, Phi­lippe Roy, Humeur Lutine, p. 8