Anne Bert – pen­sées pour une amie qui s’en va

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Il y a par­fois de ces ren­contres dont l’im­pact réel est inver­se­ment pro­por­tion­nel à leur durée. Pour moi, c’est une soi­rée pas­sée avec Anne Bert, une habi­tuée de la Bauge lit­té­raire depuis la publi­ca­tion de son pre­mier roman, qui a lais­sé des traces profondes.

C’é­tait à l’oc­ca­sion du Salon du Livre, en 2014. J’é­tais l’invi­té de mon édi­teur, Jean-Fran­çois Gay­rard des Édi­tions NL, et comme je savais qu’Anne aus­si allait par­ti­ci­per, on s’é­tait don­né ren­dez-vous en amont du salon. C’est ain­si qu’on a pas­sé la soi­rée à papo­ter et à pico­ler, au Cap Horn, petit bar chi­lien de la Place des Vosges où l’on s’est juré de remettre ça… Depuis, des mails, des papo­tages, des idées à pro­pos de pro­jets à réa­li­ser. Jus­qu’au jour fati­dique où j’ai appris que la vie en avait déci­dé autre­ment. Anne allait mou­rir. Elle a elle-même ren­du public le diag­nos­tic fatal, révé­lant en même temps qu’elle allait cou­per court au che­min de croix qu’on lui annon­çait. Souf­frant d’une SLA (mieux connu sous le nom de mala­die de Char­cot), elle n’a plus que quelques mois devant elle, ce qui, à 59 ans, n’est déjà pas facile à assu­mer. Et puis, comme cette mala­die para­lyse les muscles jus­qu’à fina­le­ment enfer­mer le malade dans une pri­son de chair, il est évident qu’on se pose des ques­tions à pro­pos de l’is­sue à prendre.

Anne Bert, écrivaine de l'Intime
Anne Bert, écri­vaine de l’Intime

Les habi­tués de la Bauge sont fami­liers des textes d’Anne Bert, des textes que j’ai accueillis chez moi avec un énorme plai­sir. En même temps, bien indé­pen­dam­ment de ma volon­té, ces joyaux-là sont loin d’a­voir mobi­li­sé les foules. L’Intime, si vaillam­ment défen­du par Anne, est sans doute une notion trop déli­cate pour être pri­sée plus que ça par les ama­teurs de la baga­telle – sans que, bien enten­du, je leur en fasse le moindre reproche ! Ensuite vint le 24 mars 2017, jour­née où j’ai vu for­te­ment aug­men­ter le nombre de visi­teurs de la Bauge lit­té­raire. Cela n’est pas sans pré­cé­dent, et c’est même ce qui arrive avec une cer­taine régu­la­ri­té quand, par exemple, je publie un article à pro­pos d’un sujet for­te­ment contro­ver­sé sur la toile (sou­vent au sujet de l’au­to-édi­tion ou des droits d’au­teurs) ou quand je consacre un article à un auteur ou un texte en vogue (le cas Mar­tin-Lugand se rap­pelle à notre bon sou­ve­nir). Cette fois-ci, il n’y eut pour­tant aucune acti­vi­té de ma part. Mais j’ai vite com­pris quand j’ai vu les articles les plus consul­tés et les sources d’où me venaient ces visi­teurs peu habi­tués sans doute aux fré­quen­ta­tions d’un San­glier, fût-il lit­té­raire … Tout évo­luait autour d’un seul nom, celui d’une de mes amies les plus chères, dont je voyais défi­ler l’un après l’autre les titres dans la liste des articles les plus consul­tés : L’eau à la bouche, Perle, Épi­logue, S’in­ven­ter un autre jour.

Étant en contact avec un grand nombre d’au­teurs et d’au­trices sur des réseaux comme Face­book ou Twit­ter, j’a­vais déjà vu pas­ser, depuis le 15 mars, quelques publi­ca­tions à pro­pos du sort de mon amie où il était ques­tion de la lettre ouverte que celle-ci avait adres­sée, en jan­vier, aux can­di­dats à la Pré­si­den­tielle, une lettre où elle reven­dique le droit à l’au­to-déter­mi­na­tion jus­qu’au der­nier acte, le droit de choi­sir la mort au lieu de la souf­france. Comme je m’en étais déjà dou­té, cette vague d’in­té­rêt sou­dain n’a­vait pas été déclen­chée par une de ses acti­vi­tés lit­té­raires – en tant que direc­trice de col­lec­tion, par exemple -, ou par un de ses textes si riches et si fine­ment cise­lés, mais par sa mort annon­cée pour bien­tôt. Fas­ci­na­tion mor­bide qui attire des foules de curieux, spec­tacle lugubre qui n’est pas sans rap­pe­ler la fas­ci­na­tion de ces mêmes foules pour les appa­ri­tions du bour­reau paré de ses outils de mise à mort.

À lire :
Anne Serre, "Petite table, sois mise !" - la plaie au cœur de l'écriture

Après avoir fait son bon­homme de che­min dans l’obs­cu­ri­té des méandres de la toile, la lettre ouverte du 17 jan­vier s’est retrou­vée sous le feu des pro­jec­teurs suite à une inter­view avec Anne publiée le 15 mars 2017 (le jour de son anni­ver­saire, en plus) dans le quo­ti­dien Sud Ouest : « Ça me crève le cœur d’aller mou­rir en Bel­gique ». Un jour plus tard, Jean-Fran­çois Gay­rard, édi­teur des Édi­tions NL, a ren­du un hom­mage vibrant à sa col­la­bo­ra­trice, direc­trice de la col­lec­tion L’In­time depuis deux ans. L’ar­ticle du Sud Ouest a très vite été relayé par les réseaux sociaux, enga­ge­ment à la base d’un cer­tain écho que sont venues ampli­fier deux inter­views accor­dées par Anne à l’oc­ca­sion de la jour­née du 18 mars dédiée à la fin de vie. Ce qui a fini par faire réagir, une dizaine de jours plus tard, jus­qu’au Pari­sien. Ren­dus curieux par tous ces titres ali­men­tant un débat que la Loi Claeys-Leo­net­ti n’a pas su clore, les gens ont lan­cé leurs moteurs de recherches pour savoir qui est donc cette femme qui prête une voix et un visage – ô com­bien riant face à l’ad­ver­si­té – à ce com­bat vis­cé­ral. Et c’est ain­si qu’ils se sont retrou­vés dans la Bauge lit­té­raire où Anne Bert, habi­tuée de longue date, a effec­ti­ve­ment lais­sé des traces, depuis la publi­ca­tion de son pre­mier roman, Perle, texte gran­diose et des­ti­né à entrer dans les manuels, jus­qu’à la paru­tion de ce qui allait deve­nir son der­nier recueil, l’ex­plo­ra­tion des bas-fonds de l’in­time, S’in­ven­ter un autre jour.

Si je me réjouis de voir des gens s’in­té­res­ser à ce qui arrive à Anne, je dois quand même consta­ter que, mal­gré les appa­rences, elle n’y est, en fin de compte, pour rien. Cela aurait pu être un ou une autre, et les exemples ne manquent pas qui en foca­li­sant les drames per­mettent de don­ner un visage humain à un concept aus­si abs­trait que la souf­france des autres. Tan­dis que ce sont ses textes qui donnent un conden­sé de ce qu’est vrai­ment Anne Bert, de ce qu’elle est deve­nue à tra­vers les années, à tra­vers les com­bats qui ont façon­né cette femme à l’éner­gie incom­pres­sible. J’in­vite donc celles et ceux qui vou­draient avoir une idée de ce qu’est cet indi­vi­du irrem­pla­çable, cette per­sonne qui a enri­chi non seule­ment celles et ceux qu’elle a croi­sés, mais, à tra­vers ses récits, le monde entier, je vou­drais les invi­ter à décou­vrir ses textes, une expé­rience que vous n’êtes pas près d’oublier.

À lire :
Une journée au Salon avec les Éditions Numériklivres

Si vous me per­met­tez un petit coup de main : Le plus facile est dans doute de com­men­cer par ses nou­velles éro­tiques ras­sem­blées dans sa toute pre­mière publi­ca­tion, le recueil L’eau à la bouche. Un recueil qui a d’ailleurs ins­pi­ré Syl­vain Groud, dan­seur et cho­ré­graphe. Ensuite, il y a le texte incon­tour­nable, Perle, le récit d’une née sous X qui prend très vite des dimen­sions d’un fan­tas­tique tout à fait inso­lite où le culte dio­ny­siaque d’une Anti­qui­té immor­telle et sans âge s’in­vite dans la cam­pagne bor­de­laise. Pour ter­mi­ner, je vous conseille son der­nier recueil, S’in­ven­ter un autre jour, recueil dont les com­po­santes plongent droit au cœur de l’in­time sous toutes ses décli­nai­sons. C’est cette der­nière publi­ca­tion qui réunit quelques-uns de ses textes les plus mûrs et les plus ache­vés, des textes qui per­mettent de mieux cer­ner un opus qu’on aurait sou­hai­té beau­coup plus large. Mais, comme vous le savez déjà, la vie en a déci­dé autrement.

Quand je pense à Anne, il y a d’un côté le bon­heur de l’a­voir croi­sée de près, d’a­voir su nouer avec elle des échanges d’une grande richesse, d’a­voir eu le pri­vi­lège d’être deve­nu l’a­mi d’une femme excep­tion­nelle. Excep­tion­nelle de par sa capa­ci­té de tou­cher avec des mots de rien du tout, de voir jus­qu’au fond des choses et de de déce­ler le drame et le sublime au cœur des exis­tences les plus modestes. Et il y a aus­si la bou­le­ver­sante tris­tesse de la perdre, d’a­voir pas­sé trop peu de temps avec elle, de la voir fau­chée en milieu de par­cours, contrainte d’a­ban­don­ner cette vie qu’elle aime tant et ce monde qu’elle a contri­bué à rendre plus beau.

Je croise les doigts pour ton der­nier voyage, au-delà de la peur et des étoiles.

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Anne Bert – pen­sées pour une amie qui s’en va”

  1. 0652766851

    Bon­jour je vous écris ses quelques mots, pour vous dire qu’il y a une solu­tion pour sa gue­ri­son , elle peut gué­rir ! !! Sa gue­ri­son se trouve en JESUS CHRIST !!! J’ai connu des gens qui était para­ly­sé, main­te­nant ils marche ils font tout eux même et j’ai connu aus­si des per­sonnes qui était à teinte de la mala­die sida ils ont été gué­ri grâce à dieu ! Elle peut gué­rir sI elle essaye avec jesus christ elle ne va pas regret­té. Jésu­la Ouamrane.