
Anne Bert, autrice, écrivaine, femme de lettre… Tout ça et bien plus encore, et surtout une belle âme, morte il y a trois ans et quelques miettes. Atteinte d’une maladie cruelle et incurable, elle a choisi l’issue de secours en se faisant euthanasier en Belgique. Ce qui lui a permis de sauvegarder son humanité et ce qui lui restait de joie de vivre. Quant à moi, je me rappelle le vide dans lequel m’a fait plonger son dernier message, envoyé au moment du départ vers les contrées éloignées, loin si loin de l’océan qu’elle aimait. Qu’elle aimait au point d’en avoir fait, des années auparavant, la scène d’un autre départ, celui d’une de ses protagonistes dans un de ses textes les plus puissants, Épilogue. Cruel rapprochement. Manque plus cruel encore au bout de son dernier voyage.
Je ne l’ai pas croisée si souvent que ça en dehors des terrains virtuels. Deux fois à peine dans la « vraie vie », à l’occasion de l’édition 2014 du Salon du Livre. Après y avoir papoté littérature, on s’est donné rendez-vous le soir même dans un bar à cocktail tout près de la Place des Vosges, le Cap Horn. C’est là sans doute que, collé à ses lèvres avec toujours un verre de mojito à la main, je suis tombé amoureux de cette femme extraordinaire qui s’est propulsée dans mes méninges avec une force loin de se dissiper. Amoureux de la chaleur qu’elle faisait rayonner autour d’elle, de sa passion pour la vie, la joie et la liberté. Et de sa compassion à toute épreuve. Il suffit de la relire pour comprendre avec quelle facilité elle pouvait faire sauter toutes les défenses afin de parvenir jusqu’à l’intimité de ses personnages que, loin d’étaler au grand jour comme les chirurgiens de l’âme ayant troqué le bistouri contre une plume, elle nous apprenait à comprendre et à apprécier, à défaut de les aimer, dans la totalité de l’être humain.
Comment oublier l’énergie que faisait rayonner autour d’elle ce petit bout de femme ? Une énergie qui lui a permis de tenir bon jusque dans son dernier combat, celui pour une fin de vie auto-déterminée. Ce fut la même énergie qui l’a poussée dans pas mal de confrontations littéraires, qu’on ne pense qu’aux coups de gueule échangés avec Jean-François Gayrard, son futur et éphémère patron, ou encore à sa défense virulente d’une consœur honnie par les bien pensants pour avoir osé s’aventurer sur des terrains un peu trop glissants.
Sentir cette énergie bouillonner dans son discours et la voir rayonner dans ses yeux, et puis songer à la route qui l’a conduite là, un parcours qui, loin d’être facile, a été parsemé d’embûches dont certaines ont dû lui sembler l’annonce d’une fin de partie incontournable, cela peut laisser un goût amer comme celui que dégage toute injustice. Mais au lieu de l’affaiblir ou de lui faire renoncer, ses obstacles et ses combats l’ont sans doute rendue plus puissante, plus consciente de la valeur humaine de ses semblables. Qu’elle s’appliquait à cerner dans ses textes afin d’en faire des condensés qui, à l’opposé des ombres qu’on voit passer dans les rues et sur les places, à longueur de bras et toujours près se s’estomper, vivent désormais dans nos consciences où ils nous tiendront compagnie pendant de longues années encore.
Anne a sombré dans le noir, mais elle ne nous a pas quittés sans nous léguer une partie essentielle de son âme. Elle restera auprès de nous, nous la sentirons passer, sentirons son regard se poser sur nous, tant que nous la lirons, tant que nous continuerons à découvrir l’univers à travers ses yeux. Je profite donc de ces souvenirs pour vous pousser dans ses bras afin de célébrer, avec elle, la vie. À laquelle elle tenait tant qu’elle a décidé de la quitter.
Pour accompagner la lecture de cet article et se mettre au diapason du ressenti de l’auteur de ses lignes, quoi de mieux que cette chanson composée de souvenirs ? À écouter sans la moindre modération !
