
Le 22 août est donc devenu, grâce en grande partie à Neil Jomunsi, le #RaysDay, la journée de Ray, dédiée à l’écrivain américain Ray Bradbury qui, né en 1920, aurait soufflé aujourd’hui ses 94 bougies. Ray était un amateur inconditionnel de la littérature et du livre. Il suffit, pour s’en convaincre, de (re-)lire le grand classique que nous devons à sa plume de maître, Fahrenheit 451. Et quelle meilleure façon de célébrer son anniversaire que de consacrer cette journée à la littérature, à son ingrédient principal et à ses protagonistes : « les histoires, leurs auteurs et les lecteurs » [1]Neil Jomunsi, Le Ray’s Day, qu’est-ce que c’est ? ? Reine Bale, jeune romancière provençale avec à son actif un texte publié aux Éditions Chloé de Lys (L’âge de déraison) et plusieurs romans disponibles en feuilleton sur son blog contempo-reine, s’est jointe au Sanglier Littéraire pour vous offrir aujourd’hui, en guise de cadeau d’anniversaire, à Ray et à tous les amateurs de littérature, une nouvelle érotique inédite, L’Échange. Et comme on tient tous les deux à aller jusqu’au bout des choses, la publication de la charmante nouvelle s’accompagne de quelques notes de lecture inspirées à votre serviteur par les aventures indécentes d’une fille pas tout à fait comme il faut.
Quand j’ai demandé, il y a quelques semaines, aux habitués de la Bauge de me faire des propositions pour l’édition 2014 de mes Lectures estivales, une jeune auteure de mes connaissances m’a envoyé une « nouvelle tendrement érotique avec pour thème (entre autres), l’été, la plage… ». Un texte donc avec des ingrédients qui ont tout pour plaire au Sanglier littéraire. La lecture n’a fait que confirmer cette première impression favorable, et c’est grâce à ce petit bout de littérature délicieux que j’ai découvert une jeune femme qui sonde de sa voix l’abîme qui se creuse au cœur même de notre nature animale étrangement doublée d’une capacité de réflexion hors commun, effleurant avec la douceur tranchante du bistouri les lèvres de la plaie qui déchire l’humain et qui en même temps constitue la condition première de cette bête si particulière.
Quand, à 19 ans, le malaise de l’entre-deux-âges s’allie à une exceptionnelle capacité d’analyse, le résultat est pour le moins – intéressant. C’est ce qui arrive à Sabine, jeune étudiante bien consciente de son corps, de ses faiblesses et de ses atouts, et du jeu millénaire entre les sexes qui suit un scénario depuis longtemps établi et auquel se hâtent d’obéir les hommes et les femmes qui voudraient entrer dans la danse, quitte à démolir tout espoir d’épanouissement sur le long terme. Mais on a beau se libérer dans sa tête et imaginer toutes sortes de scénarios qui culbuteraient les conventions, encore faut-il pouvoir passer à l’acte, et voilà que cela se complique. Et l’été avec ses corps qui se dénudent à la mesure que montent les températures n’est pas la saison qu’il faut pour faciliter la réflexion sereine. Mais que faire quand, l’imagination titillée par ce qu’on imagine être une sexualité libérée, s’invitent les fantasmes, et qu’on ne peut pas croiser la moindre petite prostituée derrière l’église Saint-Merri sans s’imaginer à la place de celle-ci, en train de tapiner et de débiter les tarifs aux clients en herbe ?
En proie à de tels fantasmes, la jeune fille se rend compte du potentiel castrateur de l’analyse qui menace sa sexualité, danger illustré par l’épisode de la plage où l’idée du trajet très court qui la sépare de la chambre d’hôtel de l’inconnu qui vient de l’aborder la remplit d’angoisse face à une « retombée possible de son désir », retombée causée par « le temps de penser, d’analyser ». Ce déchirement s’exprime jusque dans le vocabulaire franc, parfois carrément vert, de Sabine, expression d’une volonté de se libérer d’un langage guindé qui se vautre dans des caprices pseudo-philosophiques nés d’une éducation dirigée toute entière vers la tête :
« … à ce moment, rien ne comptait d’autre que le désir qu’elle avait, non pas de lui en tant que lui mais de sa définition sexuelle d’homme… »
Poussée par le malaise et l’incapacité de mettre une fin aux dissonances qui la travaillent en permanence, Sabine se tourne vers son alter ego, Louisa, jeune femme très à l’aise dans son corps et capable de manier ses atouts pour obtenir du mâle tout ce qu’elle peut désirer. Celle-ci propose à son amie une sorte de pacte qui n’est pas sans rappeler les étranges dédoublements dont font l’expérience les personnages des Hoffmann, Dumas et autres protagonistes du romantisme noir et effréné d’il y a deux cents ans. L’échange opère ses miracles et attire la jeune fille dans une rencontre obsédante et libératrice, rencontre dont le narrateur / la narratrice livre au lecteur les détails croustillants (ou plutôt : juteux ?) avec une distance considérable par rapport aux personnages impliqués à fond dans leurs jeux intimes. Dédoublement supplémentaire, accompagné d’un remarquable effacement : L’œil du lecteur se matérialise dans l’objectif de la caméra de Stepan, glissant sur le corps qui se livre, se faisant outil de séduction et presque de pénétration : « l’appareil photo lui pinçait le clitoris ». Et tandis que Sabine cède au charme des poses de plus en plus osées exigées par Stepan, celui-ci « s’efface derrière l’objectif, changeant la scène en session masturbatoire et imposant au lecteur de pleinement assumer son rôle de voyeur, pour une fois arraché à son éloignement confortable de l’autre côté de sa liseuse.
On éprouve un certain désarroi devant la facilité avec laquelle Reine Bale arrive à abolir toute distance entre le lecteur et l’action qui se déroule sous ses yeux, comment elle réussit le tour de force de lui faire franchir les barrières et de l’intégrer dans l’intrigue par l’artifice de l’œil de la caméra qui n’est autre que celui du lecteur / spectateur / voyeur. On devine une inspiration cinématographique derrière une telle démarche, inspiration qu’il serait intéressant de traquer et de mettre à nu dans d’autres textes de cette jeune femme remarquable.
Reine Bale
L’Échange
Éditions du Sanglier
En téléchargement libre
Format EPUB
Format Kindle
Format PDF
Références
↑1 | Neil Jomunsi, Le Ray’s Day, qu’est-ce que c’est ? |
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Commentaires
7 réponses à “Reine Bale, L’Échange – une contribution au #RaysDay”
Oh, le beau dessin… rires
Ah, le Maître lui-même daigne visiter ma Bauge :-) Ravi de t’accueillir. Et merci pour tes superbes dessins !
Bonjour !
Et merci beaucoup pour ce texte, je l’ai beaucoup apprécié. :)
Ne sachant pas où passer pour en informer l’auteur (et peut-être que l’information vous intéressera aussi, étant donné que c’est grâce à votre blog que j’ai découvert ce texte), j’en ai fait une petite recommandation pour un autre blog, dont le lien est ici : http://ficisnottheenemy.wordpress.com/2014/10/15/lechange-originale-het-fr/
Valéry K. Baran.
Bonsoir Valérie, et merci de m’avoir signalé votre article. Vous avez deviné juste, cela m’intéresse effectivement beaucoup :-) J’ai envoyé le lien vers votre article à l’auteure de ce beau petite texte.
En parlant d’auteure, vous aussi faites partie de cette noble profession, non ? Il me semble même avoir lu un de vos textes, Quatre ans, deux mois et dix-huit jours, suite à une discussion avec un confrère que j’apprécie tout particulièrement, Gilles Milo-Vacéri. Chapeau !
Oh, merci ! En fait, c’est par Gilles que j’ai connu votre blog, donc la découverte aura été réciproque. :)
Je suis touchée par le fait que vous ayez lu cette nouvelle, en tout cas, d’autant plus que le MM est un sujet pouvant parfois bloquer les lecteurs. J’apprécie donc particulièrement votre mot à ce sujet. ^^