Jean-Bap­tiste Fer­re­ro, Sea, Secte and Sun

Avant d’en­trer dans le vif du sujet, un aver­tis­se­ment s’im­pose : Si vous vou­lez sérieu­se­ment décou­vrir le monde de Tho­mas Fie­ra et de Jean-Bap­tiste Fer­re­ro, son père spi­ri­tuel, ne com­men­cez pas vos explo­ra­tions par le titre auquel seront consa­crées les lignes sui­vantes ! Vous auriez toutes les chances de vous retrou­ver avec un por­trait à peine ébau­ché de ce grand écor­ché, et vous ris­que­riez de pas­ser à côté d’un per­son­nage impres­sion­nant et d’un auteur qui, avec son tour de plume bien par­ti­cu­lier, reste une des plus belles sur­prises que réserve le cata­logue des Édi­tions Numé­rik­livres. Pour l’ins­tant, il n’y a qu’une seule porte qui per­mette d’ac­cé­der à l’u­ni­vers déjan­té de ce pri­vate eye au lan­gage aus­si bario­lé que caus­tique : Mou­rir en août, un des meilleurs titres de l’é­di­tion 2013 de mes Lec­tures esti­vales.

Sea, Secte and Sun, donc, un titre pla­cé sous une variante de la devise éter­nelle du fêtard esti­vant, et qui four­nit à Tho­mas Fie­ra l’oc­ca­sion de dire tout le bien qu’il pense des mani­pu­la­teurs de tous poils qui, tels cette ver­mine infecte pro­li­fé­rant sur des cadavres, pro­fitent du mal être d’au­trui pour se rem­plir les poches. Et, connais­sant Tho­mas Fie­ra, on se doute qu’il ne se borne pas aux seuls mots quand il demande à ses adver­saires de rendre compte de leurs faits et gestes. Mais comme un des traits les plus char­mants de cet enquê­teur hors com­mun est de s’at­ti­rer les emmerdes, il doit consta­ter qu’un adver­saire de taille s’est glis­sé par­mi les pro­fi­teurs à l’en­seigne spi­ri­tuelle, et que celui-ci ne se prive pas de faire payer très cher au Sieur Fie­ra son inso­lence habi­tuelle. Heu­reu­se­ment qu’il y a la belle Adé­laïde, une femme dont la beau­té n’est éga­lée que par son effi­ca­ci­té au com­bat, qui se charge d’ai­der son patron à débar­ras­ser la ver­sion nor­mande des écu­ries d’Au­gias de leurs ordures déambulantes.

L’in­trigue est soli­de­ment construite, elle contient sa dose de sur­prises et de réflexions épi­cées à la sauce Fie­ra, et le lec­teur est content de retrou­ver cet enquê­teur qui tout dou­ce­ment com­mence à se tailler une renom­mée, ses caprices lin­guis­tiques et sa façon bien par­ti­cu­lière de nar­rer ses exploits, au point de res­sem­bler à l’au­teur de son propre récit. Au point, même, de faire écla­ter le boî­tier bien trop étroit de la liseuse et de glis­ser de l’autre côté de l’é­cran, comme cela doit arri­ver quand les per­son­nages sont trop grands et trop vivants pour être enfer­més où que ce soit, et qu’au lieu de s’en tenir à leurs quar­tiers ils côtoient les lec­teurs dans un pay­sage qui res­semble drô­le­ment à celui où l’au­teur les a fait péné­trer au rythme de ses phrases. On est content aus­si de retrou­ver la « bande à Fie­ra », ses Francs-Tireurs, dont Fie­ra, adepte de la divi­sion du tra­vail, a l’ha­bi­tude de s’en­tou­rer : Adé­laïde la belle guer­rière, Manu, « spé­cia­liste […] de l’escalade à main nue », inves­tie ici du rôle de la blon­dasse facile, Fred le « spé­cia­liste de l’intrusion infor­ma­tique » et Richard, « grand tra­queur d’argent sale devant l’éternel » [1]Des­crip­tions tirées du cha­pitre 2 de Mou­rir en août., les deux der­niers pra­ti­que­ment absents du récit et dépour­vus de toute contri­bu­tion active.

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J’es­père qu’on aura remar­qué l’u­sage répé­té du mot « retrou­ver », parce qu’il s’a­git ici d’un plai­sir uni­que­ment acces­sible au lec­teur ini­tié ayant déjà fait connais­sance de ces per­son­nages-là au cours de lec­tures anté­rieures. Celui qui, par contre, débarque dému­ni dans le texte pré­sent se pose­ra bien des ques­tions à pro­pos de cette équipe de « francs-tireurs » dont cer­tains membres sortent à peine de l’a­no­ny­mat. Et comme ce sont pré­ci­sé­ment les francs-tireurs avec leurs frasques qui contri­buent pour une bonne part au suc­cès de Mou­rir en août, le rôle très réduit de ceux-ci dans le texte pré­sent laisse comme un vide dans Sea, Secte et Sun, comme si Tho­mas Fie­ra se retrou­vait sou­dain orphe­lin, et l’in­trigue débar­ras­sée d’un des élé­ments clés de son suc­cès. Et ce ne sont pas les quelques appa­ri­tions d’A­dé­laïde et de Manu, aus­si déli­cieuse que soit cette der­nière dans la peau de la chau­dasse de ser­vice, qui com­ble­raient une telle lacune.

Mais ras­su­rez-vous, Tho­mas Fie­ra ne doit pas pour autant renon­cer au plai­sir de la com­pa­gnie fémi­nine. L’au­teur appelle à la res­cousse deux ama­zones qui viennent non seule­ment com­pli­quer l’in­trigue, mais sur­tout rehaus­ser le décor de leurs courbes plan­tu­reuses. Ce qui, rajou­té au spec­tacle du « minou de Manu » qui vit à fond son rôle de pétasse en se dis­pen­sant de por­ter de petite culotte, assure à notre pro­ta­go­niste sa dose de chair fémi­nine. La pré­sence des deux ama­zones et les réac­tions de Fie­ra devant le spec­tacle de leurs corps bien en chair per­mettent d’ailleurs de tra­quer une pos­sible source d’ins­pi­ra­tion de Jean-Bap­tiste Fer­re­ro, dont les per­son­nages, à ces moments-là, ne res­semblent à rien autant qu’à des carac­tères de bande des­si­née voire de des­sin ani­mé, et on jure­rait de voir se dérou­ler jus­qu’au sol la langue de Fie­ra quand celui-ci mate « un décol­le­té qui relé­guait le grand cañon au rang de vague anfrac­tuo­si­té ». Et ce ne sont pas les ono­ma­to­pées qu’il a ten­dance à émettre dans de telles situa­tions qui feraient écar­ter l’i­dée d’une telle – vague – parenté.

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Sea, Secte and Sun, c’est par bien des égards un texte frag­men­taire qui aurait méri­té un tra­vail plus com­plet. Mais on constate aus­si que Jean-Bap­tiste Fer­re­ro a réus­si le tour de force de créer des per­son­nages qui, absents, nous manquent. Et on se rend compte que la force de sa plume se révèle pré­ci­sé­ment par ce qui consti­tue sans doute une fai­blesse du texte pré­sent. Il y a des touches qui manquent au tableau, mais c’est le vide qui brille comme s’il cher­chait à inon­der l’espace.

Un der­nier mot à pro­pos du titre : Sea, Secte and Sun, cela évoque quand même l’i­dée de vacances pas­sées à la mer, de plages peu­plées de belles femmes aux peaux relui­santes, au bruit des vagues et à l’o­deur enva­his­sante d’huile solaire. Mais j’ai eu beau écu­mer le texte dans tous les sens, de le tra­vailler de mon groin et de le pas­ser au râteau fin. Rien qui n’é­voque les vacances, ne fût-ce que l’é­vo­ca­tion de la Nor­man­die, région où se situe le QG de la secte. Ce qui est un peu maigre pour une Lec­ture esti­vale. Mais bon, comme il s’a­git de Tho­mas Fie­ra et que je n’ai vrai­ment pas envie de voir débar­quer la belle Adé­laïde dans ma bauge (encore que…), je suis enclin à fer­mer l’œil. Pour une fois. Qui, bien sûr, n’est pas coutume…

Jean-Bap­tiste Fer­re­ro
Sea, Sex and Sun
(sui­vi de Har­cè­le­ment et de Voleurs !)
Numé­rik­livres
ISBN : 978−2−89717−643−3

Jean-Baptiste Ferrero, Sea, Sex and Sun

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Des­crip­tions tirées du cha­pitre 2 de Mou­rir en août.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95