Phi­lippe Leca­plain, Ces Dames de l’annonce

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De nos jours, l’é­ro­tisme semble être un genre par­ti­cu­liè­re­ment sérieux. Et on peut le com­prendre, vu qu’il se trouve en ligne de mire non seule­ment de ceux qui se sentent appe­lés à défendre la bonne morale et à mettre les âmes trop influen­çables à l’a­bri de la ten­ta­tion des joies de la chair, mais encore de ceux qui d’emblée contestent son sta­tut de genre lit­té­raire, voire exploitent le flou qui existe entre les notions de por­no­gra­phie et d’éro­tisme pour ten­ter de faire dis­pa­raître les textes éro­tiques sous les comp­toirs et de les ban­nir des champs ô si fer­tiles de la Littérature.

En même temps, les textes éro­tiques connaissent, depuis quelques mois, non seule­ment une véri­table flo­rai­son avec un nombre crois­sant de publi­ca­tions, mais aus­si un écho média­tique impor­tant suite au suc­cès très média­ti­sé des 50 nuances de gris, titre dont on peut certes contes­ter la qua­li­té lit­té­raire mais qui a néan­moins déclen­ché un tsu­na­mi de publi­ca­tions d’un genre très spé­cial. Depuis, on ne compte plus les titres qui, en fai­sant l’é­loge de la fes­sée, du mar­ti­net et d’autres ins­tru­ments de cor­rec­tion, exaltent le plai­sir de se faire domi­ner par un Maître, de pré­fé­rence riche, mon­dain et au phy­sique d’un dieu grec. Excu­sez du peu !

Je ne vou­drais pas, dans cette note bien inof­fen­sive, ajou­ter une énième publi­ca­tion à une liste déjà impres­sion­nante, mais juste rele­ver un petit fait de rien du tout qui semble avoir échap­pé aux yeux scru­ta­teurs de mes chers confrères : On ne rit que très rare­ment dans les textes éro­tiques. On se fait sau­ter, on se plie à toutes les exi­gences, on se lance dans une véri­table gym­nas­tique des posi­tions, on offre à la péné­tra­tion toutes les ori­fices ima­gi­nables, on suce, on broute, on fait crier de plai­sir – et tout ça dans le plus grand sérieux. C’est à peine qu’un petit sou­rire affleure de temps en temps sur les lèvres des per­son­nages, et on conçoit qu’il est dif­fi­cile pour l’au­teur de guet­ter l’ins­tant où ces mêmes lèvres ne sont pas fer­mées autour d’une érec­tion ou en train de tirailler sur les nymphes d’une belle près de l’ex­tase. L’a­mour est-il donc un effort qui ne per­met aucune dis­trac­tion, et le rire, un faux pas impar­don­nable ? Je ne pré­tends certes pas offrir à mes lec­trices et à mes lec­teurs une étude scien­ti­fique appro­fon­die du pro­blème en ques­tion, me conten­tant de par­ler de ce que j’ai pu obser­ver au fur et à la mesure de mes assez nom­breuses lec­tures. La piste me semble néan­moins assez prometteuse.

À lire :
Aude dite Orium, Trois sœurs

Quoi qu’il en soit, je laisse la recherche à d’autres pour reve­nir vers le petit volume qui m’a tout d’a­bord ins­pi­ré ces réflexions et qui m’a non seule­ment fait bien rigo­ler, mais dont les per­son­nages, et le pro­ta­go­niste le pre­mier, ne se prennent pas tel­le­ment au sérieux au point d’en oublier que le rire est le propre de l’homme et qu’il faut en pro­fi­ter tant que nous sommes de ce monde. Le volume en ques­tion est sor­ti de la plume du jour­na­liste Phi­lippe Leca­plain et porte le titre pro­met­teur Ces Dames de l’an­nonce. L’i­dée de base est aus­si simple que sédui­sant : le pro­ta­go­niste décide de pla­cer une annonce liber­tine dans une « luxueuse revue » (p. 5), et nous raconte ensuite les échanges et les ren­contres aux­quels ce pro­cé­dé, pour le moins inso­lite à l’é­poque des sites de ren­contre, a don­né lieu, l’oc­ca­sion de dres­ser « autant de por­traits de Femmes, belles et accom­plies, tou­chantes et fas­ci­nantes. » (p. 8).

Il va sans dire que, dans des récits pareils, le lec­teur se trouve gra­ti­fié de force léchages, de chattes mouillées, de bites dres­sées et de gali­pettes. Mais, et cela peut éton­ner, il y a aus­si des ren­contres qui se ter­minent sans que l’af­faire aille plus loin qu’un échange de paroles, et il y a même des épi­sodes qui se résument à une cor­res­pon­dance aus­si intime que réjouis­sante. Et par­mi les femmes qui figurent dans cette espèce de jour­nal, il y en a quelques-unes qu’on n’ou­blie pas faci­le­ment, comme Isa­belle, l’huis­sier qui dresse le constat de sa ren­contre avec le bel incon­nu et à laquelle on doit un des meilleurs pas­sages du roman :

La pré­sence de pan­ni­cules grais­seux que le lan­gage com­mun per­met de qua­li­fier de « poi­gnées d’a­mour » tra­hit son âge que j’es­time avoi­si­ner la qua­ran­taine. Eu égard à la moyenne ana­to­mique fran­çaise, il est bien pour­vu. (p. 35)

Voi­ci un auteur qui ne se prend pas au sérieux et qui arrive à (faire) rire de ses propres imperfections !

À lire :
Sylvain Kornowski, Les guerriers au repos

À côté d’I­sa­belle, il y Agathe, l’ob­sé­dée du nom­bril qui se lance dans un tel fan­tasme mas­tur­ba­toire que notre héros décide de prendre la poudre d’es­cam­pette ; Chris­tine, l’a­ma­trice des boules à l’i­ma­gi­na­tion tel­le­ment débri­dée qu’elle finit par effrayer le liber­tin le plus endur­ci ; Maryse qui réin­vente la car­to­gra­phie à l’an­cienne ; Bar­ba­ra l’ar­tiste qui réus­sit à appe­ler sous les dra­peaux de son art une véri­table armée de bran­leurs ; Zalia qui a trou­vé une idée de génie pour arra­cher son mari à sa pas­sion du bal­lon en lui deman­dant de com­men­ter, à la façon d’un repor­tage , non pas une par­tie de foot mais celle de jambes en l’air où elle s’en­gage avec notre homme.

Ceci n’est qu’un très bref aper­çu de cer­taines de Ces Dames de l’an­nonce et de la richesse que ren­ferment les 200 pages de ce petit recueil, et je vous invite, ami(e)s de la bonne humeur et de la franche rigo­lade, à décou­vrir l’u­ni­vers très par­ti­cu­lier de Phi­lippe Leca­plain où vous pour­rez côtoyer des femmes extra­or­di­naires dans des situa­tions qui les rendent non seule­ment uniques, mais car­ré­ment inoubliables.

PS : Je parie que cer­tains se sentent mis au défi de me prou­ver que les textes éro­tiques débordent de bonne humeur, de rigo­lades et de rires dignes des fes­tins de l’O­lympe. Dans ce cas-là, contac­tez-moi afin de me com­mu­ni­quer les titres :-)

Phi­lippe Leca­plain
Ces Dames de l’an­nonce
Édi­tions Tabou
ISBN : 978−2−36326−007−9

Philippe Lecaplain, Ces Dames de l'annonce
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Phi­lippe Leca­plain, Ces Dames de l’annonce”

  1. j’ai lu ce livre, bien aimé, sur­tout la nou­velle sur les couilles…mais je ne suis pas d’ac­cord avec son épi­logue, je dois d’ailleurs faire un billet dessus..très en retard, oui, c’est vrai..
    Et j’ai eu le plai­sir de ren­con­trer l’au­teur, lors de signa­tures et salons, Phi­lippe Leca­plain„ un homme (et un auteur) charmant.