Coline Mau­ret, L’O­ri­gine du monde

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Remarque : Ce texte a ini­tia­le­ment été publié sous le titre Cou­leurs.

Un des grands avan­tages de l’é­di­tion numé­rique, on s’en rend compte au bout de quelques pro­me­nades dans ces contrées vertes encore, c’est qu’on y retrouve de la fraî­cheur et une volon­té ingé­nue, de la part des auteurs et de leurs édi­teurs, de s’ex­pri­mer sans que ceux-ci aient à pas­ser par toutes sortes de consi­dé­ra­tions encom­brantes. Et c’est ain­si que leurs voix par­viennent fraîches aux oreilles (ou plu­tôt aux méninges) des lec­teurs dans un concert plein de joie impro­vi­sée. Concert dans lequel on dis­cerne aus­si, et c’est là le petit point sur le « i », des voix régio­nales qui s’ex­priment avec une liber­té qu’on croyait bien trop domes­ti­quée, mal­gré le pas­sage de tant de contes­ta­taires, dans les terres sou­mises au régime lin­guis­tique de l’A­ca­dé­mie Fran­çaise. La qua­li­té lit­té­raire n’est peut-être pas tou­jours celle qu’ont l’ha­bi­tude d’exi­ger des lec­teurs gavés d’une his­toire lit­té­raire plu­ri-sécu­laire, jalon­née qui plus est des plus grands noms de la lit­té­ra­ture mon­diale, mais est-ce qu’on refu­se­rait une pro­me­nade dans une forêt prin­ta­nière sous pré­texte que les oiseaux auraient séché leurs leçons de solmisation ?

L’é­di­teur bruxel­lois ONLIT Édi­tions four­nit un bel exemple d’un tel édi­teur enthou­siaste, avec des auteurs du cru dont les textes auraient sans doute du mal à fran­chir la bar­rière de Quié­vrain sans ce véhi­cule magique qu’est l’é­di­tion numé­rique. J’ai eu l’oc­ca­sion, il y a peu, de par­ler d’un de leurs textes, à savoir Auto­route de Soleil de Gré­goire Polet, et la qua­li­té de celui-ci m’a ame­né à renou­ve­ler assez rapi­de­ment l’ex­pé­rience. Et comme je suis tou­jours prêt à céder aux Sirènes de l’é­ro­tisme, j’ai lais­sé tom­ber mon dévo­lu sur un recueil de nou­velles éro­tiques signé Coline Mau­ret : Cou­leurs.

Neuf textes, neuf cou­leurs. Chaque texte arbore donc une cou­leur qui cor­res­pond à la pré­sence, dans le récit, d’un objet de cette même cou­leur, que ce soit le ruban rose, le cuir brun des fau­teuils, le bleu d’une robe ou le noir du veu­vage. Il faut pour­tant avouer que c’est là un lien bien faible, super­fi­ciel, pour réunir des textes sous un titre com­mun, et l’é­cla­te­ment guette à tout bout de champ. Mais l’au­teur a su parer à ce dan­ger en trou­vant, consciem­ment ou pas, une sorte de déno­mi­na­teur com­mun bien plus puis­sant que la pré­sence d’un objet arbi­traire de tel ou tel cou­leur, à savoir une cer­taine ten­dresse dans sa façon de trai­ter, de consi­dé­rer, les per­son­nages. Ten­dresse à laquelle s’al­lie l’ab­sence de juge­ment. Que ce soit en face de la qua­dra qui se pros­ti­tue ou de la veuve qui, le jour de l’en­ter­re­ment de son mari, est assaillie par des images dérou­tantes de son corps en délire, l’au­teure se retient, laisse par­ler les gestes, pénètre tout dou­ce­ment dans la tête de ses femmes, et – rare­ment –  de ses hommes, où elle découvre des his­toires – leurs his­toires – qu’elle nous trans­met, nous invi­tant à leur tenir com­pa­gnie pen­dant un tout petit bout de leur route.

À lire :
Erika Sauw, Désirs de nymphes

On décerne, dans ces textes, comme une com­pli­ci­té entre l’au­teure et ses per­son­nages, et c’est pré­ci­sé­ment cela qui lui per­met de plon­ger dans les vies à décou­vert et d’emporter avec elle ses lec­teurs. C’est en se met­tant sur un pied d’é­ga­li­té avec son petit monde qu’elle réus­sit à le res­pec­ter, avec la même évi­dence que peuvent récla­mer de véri­tables êtres humains. Et voi­là la source de sa ten­dresse, qui a vite fait de se com­mu­ni­quer au lec­teur dont elle fait le com­pa­gnon de ces hommes et de ces femmes qui finissent par s’im­po­ser avec leurs paroles sans pré­ten­tion et leurs tout petits gestes. Gestes qu’on aurait vite fait de ne pas remar­quer, et c’est pour cela que ces textes demandent du silence et une lec­ture atten­tive. Et si on est prêt à leur concé­der cela, ils nous prennent par la main et nous récom­pensent par la dou­ceur qui en émane et qui rend les ins­tants pas­sés avec eux tel­le­ment – soyeux.

Coline Mau­ret est donc belge, et elle ne se donne pas la peine de cacher les indices. Mais est-ce vrai­ment impor­tant ? Est-ce que les auteurs tou­lou­sains cachent le fait qu’ils sont issus de la ville rose ? Est-ce qu’ils se gênent pour enra­ci­ner leurs per­son­nages dans les lieux mêmes qui les ont vu gran­dir ? Non, et je dirais que c’est tant mieux. En plus, le sujet qui régit le recueil est des plus uni­ver­sels, celui qui parle toutes les langues et qui réunit les hommes et les femmes de tous les hori­zons. Et pour­tant, si l’é­ro­tisme est uni­ver­sel, c’est Coline Mau­ret qui lui prête sa voix, une voix empreinte de ses expé­riences et qui témoigne de ses ori­gines, même si le lec­teur ne s’en aper­çoit pas. Et ce n’est pas le moindre mérite du numé­rique que celui de faire éclore une mul­ti­tude de voix qui n’au­rait sans doute jamais pu réson­ner dans les cou­loirs du café de Flore.

À lire :
Violette Anthémis - une starlette aussi bandante que loufoque

Coline Mau­ret
L’O­ri­gine du Monde
(D’a­bord publié sous le titre Cou­leurs)
ONLIT Édi­tions
ISBN : 978−2−87560−075−2

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Coline Mau­ret, L’O­ri­gine du monde”

  1. Coline maurer

    Je suis très tou­chée par le com­men­taire que je viens de lire concer­nant « Cou­leurs ». Tho­mas met l’ac­cent sur la ten­dresse, la com­pli­ci­té que j’ai tis­sées avec les per­son­nages, notam­ment les femmes, et le fait que je ne porte aucun juge­ment. Tan­dis que j’é­cri­vais, je ne savais où les per­son­nages allaient me conduire, mais je les aimais dans leurs dési­rs avoués ou non, leurs petites ou grandes fêlures.