Anne Bert – his­toire d’a­mour d’outre-tombe

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Anne Bert (1958 – 2017). Des­sin d’a­près une pho­to prise par Roxane Gui­chard (CC BY-SA 4.0).

Anne Bert, autrice, écri­vaine, femme de lettre… Tout ça et bien plus encore, et sur­tout une belle âme, morte il y a trois ans et quelques miettes. Atteinte d’une mala­die cruelle et incu­rable, elle a choi­si l’is­sue de secours en se fai­sant eutha­na­sier en Bel­gique. Ce qui lui a per­mis de sau­ve­gar­der son huma­ni­té et ce qui lui res­tait de joie de vivre. Quant à moi, je me rap­pelle le vide dans lequel m’a fait plon­ger son der­nier mes­sage, envoyé au moment du départ vers les contrées éloi­gnées, loin si loin de l’o­céan qu’elle aimait. Qu’elle aimait au point d’en avoir fait, des années aupa­ra­vant, la scène d’un autre départ, celui d’une de ses pro­ta­go­nistes dans un de ses textes les plus puis­sants, Épi­logue. Cruel rap­pro­che­ment. Manque plus cruel encore au bout de son der­nier voyage. 

Je ne l’ai pas croi­sée si sou­vent que ça en dehors des ter­rains vir­tuels. Deux fois à peine dans la « vraie vie », à l’oc­ca­sion de l’é­di­tion 2014 du Salon du Livre. Après y avoir papo­té lit­té­ra­ture, on s’est don­né ren­dez-vous le soir même dans un bar à cock­tail tout près de la Place des Vosges, le Cap Horn. C’est là sans doute que, col­lé à ses lèvres avec tou­jours un verre de moji­to à la main, je suis tom­bé amou­reux de cette femme extra­or­di­naire qui s’est pro­pul­sée dans mes méninges avec une force loin de se dis­si­per. Amou­reux de la cha­leur qu’elle fai­sait rayon­ner autour d’elle, de sa pas­sion pour la vie, la joie et la liber­té. Et de sa com­pas­sion à toute épreuve. Il suf­fit de la relire pour com­prendre avec quelle faci­li­té elle pou­vait faire sau­ter toutes les défenses afin de par­ve­nir jus­qu’à l’in­ti­mi­té de ses per­son­nages que, loin d’é­ta­ler au grand jour comme les chi­rur­giens de l’âme ayant tro­qué le bis­tou­ri contre une plume, elle nous appre­nait à com­prendre et à appré­cier, à défaut de les aimer, dans la tota­li­té de l’être humain.

Com­ment oublier l’éner­gie que fai­sait rayon­ner autour d’elle ce petit bout de femme ? Une éner­gie qui lui a per­mis de tenir bon jusque dans son der­nier com­bat, celui pour une fin de vie auto-déter­mi­née. Ce fut la même éner­gie qui l’a pous­sée dans pas mal de confron­ta­tions lit­té­raires, qu’on ne pense qu’aux coups de gueule échan­gés avec Jean-Fran­çois Gay­rard, son futur et éphé­mère patron, ou encore à sa défense viru­lente d’une consœur hon­nie par les bien pen­sants pour avoir osé s’a­ven­tu­rer sur des ter­rains un peu trop glissants.

Sen­tir cette éner­gie bouillon­ner dans son dis­cours et la voir rayon­ner dans ses yeux, et puis son­ger à la route qui l’a conduite là, un par­cours qui, loin d’être facile, a été par­se­mé d’embûches dont cer­taines ont dû lui sem­bler l’an­nonce d’une fin de par­tie incon­tour­nable, cela peut lais­ser un goût amer comme celui que dégage toute injus­tice. Mais au lieu de l’af­fai­blir ou de lui faire renon­cer, ses obs­tacles et ses com­bats l’ont sans doute ren­due plus puis­sante, plus consciente de la valeur humaine de ses sem­blables. Qu’elle s’ap­pli­quait à cer­ner dans ses textes afin d’en faire des conden­sés qui, à l’op­po­sé des ombres qu’on voit pas­ser dans les rues et sur les places, à lon­gueur de bras et tou­jours près se s’es­tom­per, vivent désor­mais dans nos consciences où ils nous tien­dront com­pa­gnie pen­dant de longues années encore.

Anne a som­bré dans le noir, mais elle ne nous a pas quit­tés sans nous léguer une par­tie essen­tielle de son âme. Elle res­te­ra auprès de nous, nous la sen­ti­rons pas­ser, sen­ti­rons son regard se poser sur nous, tant que nous la lirons, tant que nous conti­nue­rons à décou­vrir l’u­ni­vers à tra­vers ses yeux. Je pro­fite donc de ces sou­ve­nirs pour vous pous­ser dans ses bras afin de célé­brer, avec elle, la vie. À laquelle elle tenait tant qu’elle a déci­dé de la quitter.

Pour accom­pa­gner la lec­ture de cet article et se mettre au dia­pa­son du res­sen­ti de l’au­teur de ses lignes, quoi de mieux que cette chan­son com­po­sée de sou­ve­nirs ? À écou­ter sans la moindre modération !

Goethes Erben - Denn es ist immer so
Goethes Erben – Denn es ist immer so (Vidéo officiel)
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95