Depuis le temps que j’en parle, on connaît mon estime pour les titres de chez Média 1000. Cela a été valable du temps qu’Esparbec, légende récemment disparue, dirigeait leur collection si bien nommée Les Interdits, cela l’est toujours depuis que les rênes sont passés à son successeur, Christophe Siébert, auteur et artiste remarquable dont l’effort éditorial a déjà laissé ses marques sur le paysage érotico-littéraire.
Paru juste à temps pour célébrer les vacances – un geste incontournable dans cette période qui, à plus d’un titre, fait royalement ch*** les aficionados de la liberté et du désir vécu à fond la caisse – le texte signé Camille Sorel, Vacances en soumission, raconte l’initiation d’Hélène, une jeune femme farouchement indépendante qui, le temps d’un repos bien mérité, revient sur les lieux de sa jeunesse, dans un bled perdu quelque part sur la façade maritime de la France.
Au départ, c’est une amourette de jeunesse, deux ados qui se croisent, à l’occasion des vacances, qui se découvrent, qui s’acoquinent l’une avec l’autre et qui vivent une initiation double qui, pour elles, n’a pourtant qu’une seule dimension – celle du premier amour. Qu’il soit lesbien n’est ici qu’un détail de si peu d’importance. Ensuite, et on connaît la chanson, c’est la vie qui se charge de brouiller les cartes en envoyant les amantes sur des routes divergentes. C’est ce qui est arrivé à Hélène et à Mel qui, depuis que Mel a rencontré son futur mari, ne se fréquentent plus que de façon très intérimaire, et l’intimité nourrie à coups de langue n’est plus qu’un souvenir lointain. Sans que pour autant ce souvenir s’efface tout à fait. Et puis, c’est Hélène qui décide de passer quelques semaines de vacances au village de son enfance, avec l’espoir de fréquenter son ancienne amante sans devoir s’accommoder du mari.
La joie d’Hélène est tangible quand, près d’arriver au Garric, elle se saisit de son portable pour annoncer son arrivée immédiate. C’est moins l’acte en lui-même qui, rendu par les mots les plus neutres, pour ne pas dire banaux interpelle le lecteur, mais le fait de se laisser happer aussitôt par le passé et par les expériences intimes que la narratrice partage avec son amie, des souvenirs-refuges, une sorte de jardin secret où il fait si bon venir seule afin de se laisser aller aux rêvasseries. Belle variation sur le thème de la madeleine, dans le sens qu’il suffit d’une banalité pour faire revivre les souvenirs, même si l’objet ou l’acte lui-même n’a aucun lien avec ce qui est évoqué.
Plus qu’une heure de route, j’y suis presque. J’envoie un message à mon amie Mel pour lui confirmer mon arrivée prochaine au Garric.[1]Camille Sorel, Vacances en soumission, chap. 1
Les retrouvailles se passent comme on les imagine dans un texte porno, et les deux femmes se retrouvent nues en moins de deux, en train de se manger et de s’envoyer en l’air. Mais ce début n’est qu’un aperçu des délices autrement plus corsés à venir, et les confidences de Mel donnent le ton de la suite que les événements vont prendre. Mel apprend à son amie et amante qu’elle est impliquée dans une relation de domination / soumission avec son mari. Et Hélène écoute la confession, incrédule, horripilée, mais saisie par une inavouable fascination :
Je sens grandir en moi une dangereuse curiosité. Presque une avidité, comme un violent désir.[2]Camille Sorel, Vacances en soumission, chap. 2
Le titre indique la route dans laquelle la jeune femme va se retrouver engagée suite à cette confession qui semble faire appel à ses propres désirs refoulés, des désirs qui parfois, grâce à l’abandon du sommeil, percent le mur derrière lequel ils s’entassent et où un lent travail de sape a fait mûrir la décision d’Hélène d’entrer dans un contrat provisoire avec le mari de son amante retrouvée qui lui propose de l’initier à la soumission.
Le récit est ponctué par des rendez-vous et des séances initiatiques, avec leurs hauts et leurs bas, mais on imagine facilement que la destination choisie est celle qui correspond à la personnalité profonde de la narratrice qui, grâce aux coups assénés par les fouets et les nombreuses bites qui se présentent à ses orifices, réussit à se libérer. Le lecteur avide de sexe primaire, dénué de toute odeur de rose, parfumé au contraire d’excréments et de fluides corporels, y trouvera son compte, et je ne peux que lui recommander de se procurer plus vite que ça un texte qui allie l’insolite à une certaine fraîcheur. Et où on trouve, à côté de l’attirail qu’on a l’habitude de retrouver dans les textes à inspiration BDSM – avec leurs fouets, leurs donjons, leurs chaînes, leurs croix Saint André, leurs colliers, leurs menottes et leurs vêtements en cuir et en latex – des réflexions d’une future soumise capables de remettre en question les rapports de pouvoir qui semblent régir un genre de relation qui porte inscrit sur le frontispice le signe verbal de son caractère.
Quant à l’amoureux des vacances et des plages, je dois déplorer que le titre ne laisse que bien peu d’espace à ce que le mot vacances peut contenir et promet à l’adepte de l’amour sous le soleil et des parties de jambes en l’air à la plage, à l’abri des dunes ou dans l’eau délicieuse d’une crique où le soleil du midi fait miroiter l’eau de ses mille éclats. Mais ça, c’est une autre obsession qui, cette fois-ci, n’engage que moi. En attendant, j’ai quand même fini par dénicher dans le texte quelques passages qui fleurent si bon le sud avec ses terres écrasées de chaleur dont je ne vous donne qu’un exemple, vous laissant le plaisir de plonger dans l’ambiance maritime de certains – trop rares – paragraphes :
[je] me prépare un repas à base de noix et de pain, arrosé d’un verre du vin rouge local. Pas un vin rond et facile comme celui des vignes qu’on plante dans les régions plus riches, mais un nectar boisé qui parle de la terre trop sèche, du soleil qui cogne, du vent à décorner les bœufs et des cigales qui stridulent à vous vriller la tête. (Chap. 3)
Un texte à déguster à l’ombre des pins, avec une vue bien dégagée sur les immensités de l’océan bordées de ses plages qui n’en finissent pas, peuplées par des hommes et des femmes qui exhibent leurs chairs au vent, au soleil et aux regards indécents qui en nourrissent les fantasmes qu’il faudra, un jour, se résoudre à vivre. À moins de les coucher sur le papier d’un bon livre à ne pas mettre entre toutes les mains.
Camille Sorel
Vacances en soumission
Média 1000
ISBN : 9782744828225