C’est l’été (et quel été !), et la Bauge littéraire vous présente un titre de – June Summer. Comme s’il était nécessaire de renchérir… Certains se souviendront sans doute de son texte présenté dans une des éditions précédentes des Lectures estivales, Aventures libertines, le Cap !, un texte ayant cartonné il y a trois ans, l’occasion de découvrir, aux côtés d’une guide aussi experte que sensuelle, l’univers débridé du Cap. Avec de tels antécédents, comment résister quand la présentation du nouveau roman, publié en juin 2018 chez Atramenta, commence par cette formule magique :
« Une envie de soleil, de sable chaud et d’escapades amoureuses au bord de la mer ? »
C’est effectivement la phrase qu’il faut pour me faire démarrer au quart de tour, et lire cette quatrième de couverture et cliquer sur « acheter » pour me procurer le roman ne furent qu’un. Le donc voici qui vous emmène dans une nouvelle escapade vers le Cap d’Agde et son univers libertin.
Deux amants de fraîche date, Jordane et Kenan [1]C’est à de demander d’où l’autrice tire les noms de ses protagonistes ? Est-ce que ce sont des noms courants en Suisse ? Des souvenirs de lectures de Fantasy ? Des souvenirs de jeunesse ? C’est … Continue reading, se mettent en route pour passer ensemble une semaine de vacances dans le Sud, avec comme point culminant un séjour au Cap, lieu mythique qui focalise tous les désirs de Jordane. Quinquagénaire, celle-ci est passée, à travers les décennies, par des hauts et des bas, et certains des événements vécus et des personnes rencontrées lui ont laissé des souvenirs mitigés voire désastreux. Comme Peter, ancien mari, dont le souvenir la terrorise, au point d’empoisonner les débuts de sa nouvelle relation avec Kenan. C’est ce qui se produit lors de leurs retrouvailles sur la Côte d’Azur où Kenan leur a dégoté une location plutôt insolite, à savoir une chambre dans le couvent de son oncle. C’est sans doute un des moments forts du texte, l’arrivée de Jordane dans cet environnement peu habituel (et quelque peu délabré) où, sous l’emprise de son insécurité face à sa relation avec Kenan, tout se teinte de noir, toute chaleur comme absorbée par les fantômes d’un passé trop récent.
L’amateur d’érotisme aura sans doute du mal à goûter cette longue introduction qui met en avant les remises en question de Jordane face aux souvenirs, troublée par ce nouveau départ qui risque de l’emmener sur la mauvaise route. Et il est vrai que, à cinquante ans passés, les nouveaux départs n’étant plus très nombreux ni très faciles, autant s’assurer que celui-ci est le bon. June Summer ne manque par contre pas de satisfaire l’amateur de paysages gorgés de soleil, même si ceux-ci, avec leurs éternels pins parasol et leurs baies d’un bleu d’azur ressemblent parfois un peu trop à des images d’Épinal. Mais c’est l’été, et c’est précisément ce que l’on s’attend à trouver dans un récit consacré aux vacances, comment donc lui en vouloir de répondre aux attentes ?
Si le côté coquin de la chose tarde quelque peu à se manifester, le lecteur sera d’autant plus ravi par une première escapade de notre duo qui trouvera le moyen, Jordane une fois libérée des démons du passé, de se lancer dans une partie de jambes en l’air dans le parc du couvent, un voisinage qui ne fera qu’épicer leur rencontre et leur laissera des souvenirs d’autant plus exquis.
Ensuite, c’est le départ vers le Cap, et le lecteur est au moins aussi impatient que Jordane de retrouver avec elle ces lieux de débauches et sa géographie de tous les fantasmes. Le tout se joue pourtant sur fond d’inquiétudes, Kenan étant novice dans le domaine du libertinage, et Jordane entretient de sérieux doutes quant aux penchants libertins de son nouvel amant. Une grande partie de leurs dialogues tourne donc autour de ce qu’il se passe au Cap, dans ses boîtes de nuits, ses soirées privées, sur ses plages nudistes, et particulièrement sur sa « plage des cochons ». Pour le lecteur, tout ça ressemble bien trop à une sorte de temporisation, un délai avant d’être – enfin ! – introduit dans cet univers, et on l’imagine qui s’exclame avec le spectateur de Victor Hugo, dans sa Préface de Cromwell :
« Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! » [2]Hugo, Victor, Œuvres complètes : Cromwell, Hernani, Librairie Ollendorff, , [Volume 23] – Théâtre, tome I, p. 26
Rangée sous les drapeaux du camp des Romantiques, Mme Summer cède aux appels et finit par nous conduire sur la plage où elle nous fait découvrir le spectacle des corps emmêlés et côtoyer les couples en train de faire l’amour, des couples pour qui la présence d’autres n’est qu’un stimulant supplémentaire, une extension du domaine des jeux à trois, quatre ou plus encore étant toujours une possibilité dont la seule idée ajoute un charme supplémentaire aux ébats.
Finalement, le séjour au Cap de Jordane et de Kenan n’a rien qui puisse choquer ou émoustiller plus que ça, et tout se borne à des jeux particulièrement bruyants des voisins, la présence de quelques badauds quand les deux amants passent à l’acte sur la terrasse, et des voisins de plage décomplexés, ce qui finira par apprendre à Kenan que, finalement, le sexe en public, cela lui convient. Ce qui fait le bonheur de Jordane.
Il faut sans doute souligner que, contrairement à ce que laisse entrevoir la présentation, le sujet de l’L’été de Jordane, ce n’est pas tellement l’érotisme ou le libertinage sous le soleil, mais plutôt – en grande partie au moins – une interrogation psychologique de l’héroïne qui, arrivée à l’âge où les erreurs ne se pardonnent plus si facilement et où on rechigne à rebrousser chemin, se pose des questions à propos de l’histoire à peine amorcée avec Kenan, à propos de la persistance d’un passé nocif, d’une relation terminée dans la douleur qui lui a laissé des plaies susceptibles de s’ouvrir encore. L’excursion au Cap est par contre bien trop courte avec trop peu de détails croustillants – de toute façon en ce qui concerne votre serviteur toujours aussi vorace – pour satisfaire les amateurs de libertinage et d’échangisme, plutôt une mise en bouche qu’un plat, et si vous cherchez des mets plus consistants, il faut sans aucun doute passer par les Aventures libertines, titre évoqué en début d’article. Cela n’empêche pas d’y trouver des pages excitantes, quelques beaux tableaux du Sud, et des regards sur un monde fantasmé par beaucoup et vécu par quelques happy few.
Je dois avouer que le texte m’a laissé quelque peu sur la faim, moi qui imaginais y trouver une suite du récit charmant et coquin des Aventures libertines au Cap. Je ne regrette pourtant pas de l’avoir proposé à l’attention de mes lecteurs, et j’ai été mis sous le charme par l’approche entièrement décomplexée de l’autrice qui a choisi comme protagoniste une femme de plus de cinquante ans qui n’a pas le moindre problème à assumer son corps, à l’exposer en public, à se réclamer d’une sensualité qui n’est plus la prérogative de la jeunesse. Bien au contraire, ce sont précisément les expériences et les souvenirs du parcours de la combattante qui rendent une telle femme carrément irrésistible. Compliquée, mais irrésistible. « Brava ! », June Summer !
June Summer
L’été de Jordane
Atramenta
ISBN : 978−952−340−237−9
Références
↑1 | C’est à de demander d’où l’autrice tire les noms de ses protagonistes ? Est-ce que ce sont des noms courants en Suisse ? Des souvenirs de lectures de Fantasy ? Des souvenirs de jeunesse ? C’est surtout le nom du protagoniste masculin qui m’a systématiquement fait penser à Ken, contrepartie masculine de la poupée Barbie … |
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↑2 | Hugo, Victor, Œuvres complètes : Cromwell, Hernani, Librairie Ollendorff, , [Volume 23] – Théâtre, tome I, p. 26 |