Voici que le soleil vient d’entrer dans le Tropique du Cancer, événement astronomique qui marque le début de l’été dans l’hémisphère nord de la planète. Inondées de lumière, les journées semblent interminables, et la nuit se tapit au fond des précipices d’où elle ose à peine sortir le bout de son nez. Journée bizarre pourtant que celle du solstice qui marque, d’un côté, le triomphe de la clarté et, de l’autre, le début de la fin, la planète continuant sur sa course éternelle qui la fera bousculer dans le noir.
Pour l’instant pourtant, et pour les semaines à venir, c’est la joie estivale qui se prépare. Les vacances approchent, l’odeur iodée du grand large envahit les rues des villes écrasées de soleil, le souvenir des plages bondées invite aux fantasmes de la chair qui s’étale sur les serviettes, les rayons de soleil font scintiller les peaux couvertes de gouttes d’eau salée, et l’odeur de la crème solaire titille les narines. Et voilà le fantasme qui a déclenché les Lectures estivales, fantasme qui depuis cinq ans me fait sortir de ma tanière pour traquer, à l’approche du printemps, les titres qui puissent me projeter dans l’ambiance estivale et me donner un avant-goût des plaisirs de la plage.
Cette année-ci, je vous propose neuf titres, une sélection où se trouvent des auto-édités (Robin Green Alfaic, Pierrot Septime et Clara Le Kennec) aussi bien que des textes issus de maisons bien établies (Miss Kat et Martine Roffinella de chez Dominique Leroy, par exemple), et où, tradition oblige, vous trouverez aussi une bande dessinée fournie par l’excellentissime collection Dynamite, le tome 2 de Peanut Butter. Et l’édition 2017 accueille même, à l’heure de la mondialisation, un titre anglais, Sex on the beach, récit d’un séjour dans le sud de la France avec ses clubs libertins et ses plages naturistes, texte qui permettra un rapprochement des plus intéressants avec un autre texte, proposé par June Summer dans le cadre de l’édition 2015 des Lectures estivales, Aventures libertines, le Cap.

Pour ouvrir la course, j’ai retenu un titre qui excelle par le choix de sa couverture, Les ravages du Baba au rhum (sans rhum), signé Christine Dupond-d’Angeac. Avouez que tout y est : La mer qui scintille sous le soleil, une frange d’écume qui invite à la baignade, le sable qu’on devine torride, le ciel bleu où se perdent les regards de la jeune femme dont on admire les jambes et le ventre, la peau satinée d’où s’exhalent les parfums de l’été. Et dont les cuisses fermées semblent contenir un secret qu’il s’agira de dévoiler. Double secret, effectivement, celui, d’un côté, des expériences amoureuses que la protagoniste s’apprête à vivre, et, de l’autre, celui des dessous de cartes d’une rencontre en apparence tout ce qu’il y a de plus banale et dont la suite des chapitres dévoilera pourtant bien des bas-fonds.
Un mot, avant d’aborder le récit, à propos de la genèse du texte. Celui-ci a été publié une première fois sur le site d’Atramenta, un peu à la façon d’un roman-feuilleton, chapitre par chapitre. Je ne saurais dire si l’intention de l’autrice a été, dès le départ, de reprendre ceux-ci pour en faire un texte cohérent, ou si ce projet-là est né au rythme des publications et des réactions des lecteurs, mais on constate assez vite que ce procédé a laissé des traces, voire des cicatrices, les chapitres collant parfois assez mal les uns aux autres. C’est pour cela qu’on trouve, en début de chapitre surtout, des redondances que le lecteur traverse péniblement en adressant un coup de gueule imaginaire à l’éditeur qui aurait pu, quand même, faire son boulot… Comme par exemple cette auto-présentation de l’héroïne qui tient à rappeler son nom, son âge et un de ses exploits sexuels – à des lecteurs qui n’auront rien oublié à propos de ce qui leur a été expliqué quelques pages à peine en aval :
Je m’appelle Jen, j’ai quinze ans et un matin de juillet, dans un camping à Saint-Palais-sur-Mer, près de Royan, j’ai sucé Karim… [1]Chap. 7, Soirée avec un beur gay
Belle façon, pourtant, de placer le personnage et de dresser, en deux temps trois mouvements, un portrait de la protagoniste. Je profite de l’occasion pour vous présenter un autre exemple qui illustre la capacité de l’autrice à rendre une ambiance en quelques mots à peine, ambiance estivale tellement dense qu’on croit entendre le chant des cigales, beau condensé de ce que peut – et doit – être une lecture estivale :
La chaleur, la pinède écrasée dans l’air immobile de quatorze heures, les lits d’aiguilles et de sable mélangés qui amortissent les sons et émoussent l’attention… [2]Un jeu de plage débile
C’est pourtant loin de la plage et des pinèdes en question que la protagoniste fait une première entrée en scène, et on constate très vite qu’on a affaire à une adolescente tellement naïve que cela frôle l’inconscience. Tu acceptes l’alcool que deux gars inconnus au bataillon te proposent ? Tu te retrouves, plus qu’à moitié inconsciente, entre les mêmes gars qui te défoncent sans s’embarrasser plus que ça de ton état. Une façon comme une autre de se débarrasser de sa virginité. Ensuite, bien préparée pourtant pour un rendez-vous avec ton amoureux, on arrive à déchirer jusqu’à la dernière capote suite à des manipulation par trop malhabiles ? Pas grave, pourquoi s’en embarrasser, « on a fait sans » [3]Chapitre 1, Les ravages du baba au rhum sans rhum. On comprend que, sans être méchante, la protagoniste est loin d’être une lumière. Et on admire la légèreté que l’autrice a su donner à la narration, quelque part entre journal et dialogue confidentiel avec la meilleure copine.
Le ton est donné pour les chapitres suivants qui annoncent enfin des aventures plus estivales. Comme chaque ado qui se respecte, Jen souffre de ce qu’elle soit obligée à partir en famille et à partager, l’espace de quelques semaines, une chambre exiguë de mobile-home avec le cousin qu’elle se doit de détester. Ce qui ne l’empêchera pas de lui dévoiler ses charmes et de lui prodiguer, quand l’occasion se présente, ses faveurs.
L’autrice ne se prive pas de remplir son récit de clichés, on s’en rend compte à l’occasion de la présentation du cousin en question, mais comme elle les place dans la bouche de sa protagoniste, elle en profite pour en tirer, à la façon d’une véritable presse à carcasse, jusqu’à la dernière goutte d’humour :
« Qui n’a jamais partagé la chambre d’un ado mâle ne peut pas comprendre. Vous êtes déjà allé au zoo de la Palmyre ? Vous êtes déjà passé devant l’enclos des gorilles ? Vous avez senti l’odeur ? Hé bien, ça vous donne une idée atténuée du phénomène. » [4]Chapitre 2, La guerre à l’ombre des pins maritimes
Pour ne rien vous cacher, ces clichés proférés en haut débit par la protagoniste m’ont bien souvent fait rire, tout en gardant conscience de ce que l’humour en est parfois un peu facile, mais comme c’est l’été, on peut bien se permettre quelques incartades. Surtout face à une protagoniste qui se laisse séduire au rythme des occasions qui se présentent et des nouvelles expériences que celles-ci engendrent, au point d’en oublier jusqu’à son amoureux censé pourtant être l’homme de sa vie. Avec tout ça, de séances masturbatoires en fellations, en passant par des coups de main – et de langue – entre cousins et des jeux débiles pour faire l’expérience de ce que peut accomplir la séduction, on tient compagnie à la jeune Jen qui s’épanouit sans se rendre compte. Le tout sous couvert d’humour et d’inimitiés familiales qui permettent d’éviter les réalisations.
On aurait pu s’en tenir là, à la légèreté de l’été et d’une ambiance qui incite à se lâcher, les personnages aussi bien que les lecteurs. Mais l’autrice a sans doute voulu rajouter un peu de lest, sous une sorte d’impulsion pédagogique peut-être. Le malheur a voulu qu’elle ait choisi pour ce faire un ingrédient indigeste capable de ruiner toute légèreté. Parce que le camping Les Tamaris, celui où Jen et Brandon passent leurs vacances en compagnie de leurs parents respectifs, est infesté par des – pédophiles. Et oui, au pluriel, comme si un seul n’avait pas fait le poids. C’est un sujet qu’il est effectivement permis d’exploiter, mais on peut se demander si l’autrice ne s’est pas trompée sur la façon de l’introduire dans un récit où rien ne l’annonce et de l’imposer au lecteur sans la moindre préparation. On peut se demander si c’est la genèse du texte qui est à l’origine d’une surprise aussi mauvaise, mais on doit constater que toute légèreté s’est définitivement envolée, et avec elle tout ce qui faisait précisément le charme du récit. Et puis, est-ce qu’il fallait vraiment donner un nom arabe à l’un des prédateurs ? Qui, en plus, se fait passer pour gay pour mieux profiter des gamines ? C’est quand même prendre le risque de voir le texte envahi par des airs qu’on n’aimerait pas y entendre.
Quoi qu’il en soit, et malgré une fin aux tonalités bien trop pédagogiques pour être au goût de votre serviteur, on trouve dans ce texte des passages d’une belle intensité, comme ceux par exemple où l’adolescente découvre la pleine mesure de sa sexualité prête à s’épanouir, et ceux encore où elle commence à se rendre compte de son potentiel de séduction, arme puissante entre les mains de qui sait s’en servir. Il suffit de relire, au chapitre Sans dessous dessus, la scène de sa promenade en costume d’Ève sur la plage textile, sous les regards qu’elle apprend à défier voire à provoquer :
Qui n’a jamais défilé nu devant des centaines de gens ne peut pas s’imaginer ce que c’est. Bon d’accord, les trente premières secondes, c’est la honte. Je résiste à l’envie de mettre mes mains pour me cacher. Et puis la honte, on passe dessus. […] Je me suis mise à marcher normalement, enveloppée du regard de dizaines de mecs, piquée par celui, réprobateur, de centaines de femmes. Et quand il y a eu des sifflets je n’ai pas hésité à adresser un joli sourire en direction de l’admirateur. [5]Chapitre 8, Sans dessous dessus
Si on rajoute à cela l’intensité de certaines descriptions, la capacité de l’autrice à saisir (et à créer) une ambiance grâce à quelques petits mots bien choisis – et polis avec un savoir-faire qui sait cacher les efforts qu’il a fallu déployer pour y arriver – on comprend que la lecture laisse malgré tout un bon souvenir. Et on souhaiterait voir Christine Dupond-d’Angeac donner un texte mieux construit, consacré tout entier à l’éveil de la sexualité, ce passage aussi excitant que troublant d’un monde à l’autre. Et si on pouvait y retrouver l’ambiance d’un été à la plage, tant mieux.