Marys­sa Rachel, Décousue

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Est-ce que ce texte, Décou­sue de Marys­sa Rachel, res­semble à un jour­nal intime, comme le pré­tend son édi­teur ? Oui, sans doute, dans la mesure où il livre à ses lec­teurs les réflexions les plus intimes de la nar­ra­trice, des réflexions qui accom­pagnent les actes et les fan­tasmes ample­ment décrits dans ce texte à fleur de peau, un texte qu’on sent vibrer sous la force d’une pas­sion à peine rete­nue. Mais il pour­rait s’a­gir aus­si bien, texte à facettes mul­tiples, d’une confes­sion, d’une reven­di­ca­tion, d’un pam­phlet voire d’une polémique.

L’in­trigue qui se dégage de cette mul­ti­pli­ci­té de voix n’a rien de vrai­ment extra­or­di­naire, ce sont plu­tôt les réflexions qui l’ac­com­pagnent qui consti­tuent l’in­té­rêt pre­mier du texte. Rose, une jeune femme désa­bu­sée, se lance dans des aven­tures mul­tiples, sans len­de­main, pour com­bler son appé­tit sexuel déme­su­ré, appé­tit qui exprime le besoin de com­bler un vide, de trou­ver un point fixe dans une socié­té où elle cherche sa place, la pousse à aller tou­jours de l’a­vant, à quit­ter les amants, les amantes, à la recherche de l’or­gasme libé­ra­teur, seul capable de lui pro­cu­rer quelques ins­tants de satié­té. Jus­qu’au jour où elle croise une incon­nue qui l’in­trigue, une incon­nue qui lui fera décou­vrir le monde de la sou­mis­sion et de la dou­leur, de l’a­ban­don total, du renon­ce­ment à tout contrôle, renon­ce­ment qui, d’une façon qui ne s’ex­plique pas faci­le­ment, serait à l’o­ri­gine d’un regain ulté­rieur d’au­to-déter­mi­na­tion. La ren­contre avec cette incon­nue, « S », ouvre à la nar­ra­trice le che­min d’un voyage ini­tia­tique, à tra­vers la recherche de façons de plus en plus raf­fi­nées de sou­mettre la chair à la tor­ture, vers des pers­pec­tives qui per­mettent de regar­der au-delà de ce qui passe, dans le monde que jusque-là elle fré­quen­tait avec assi­dui­té, pour une sexua­li­té saine et épa­nouie. Un périple par­se­mé de dif­fi­cul­tés, oppo­sant des doutes et des fatigues au lent pro­grès de la néo­phyte, une sorte d’as­cen­sion – à moins qu’il ne s’a­gisse d’une des­cente – dont les cir­cons­tances ne sont pas sans rap­pe­ler les efforts des moines d’antan qui s’a­che­mi­naient vers la per­fec­tion en mor­ti­fiant la chair, en essayant de tuer l’en­ve­loppe char­nelle, avec la même inten­si­té que met la nar­ra­trice à réveiller la sienne à tra­vers des pro­cé­dés com­pa­rables – jus­qu’à se ser­vir des mêmes outils que ses loin­tains prédécesseurs.

À lire :
C.M. Buchheim, Emprise obscure

Le texte démarre en force par un retour en arrière, vers l’en­fance, au temps des pou­pées, et le lec­teur com­prend très vite que les jeux de cette fillette-là ne sont sans doute pas tout à fait ceux de ses copines. Ensuite, ce sont des contem­pla­tions, des obser­va­tions, à pro­pos de la nar­ra­trice, de sa sexua­li­té, sa façon de conce­voir les autres. L’in­trigue se dégage de cette nébu­leuse aux fron­tières mal défi­nies plu­tôt que de démar­rer, et c’est peut-être là un des points faibles du texte, une intrigue qui trop sou­vent se perd dans des réflexions, comme si l’au­trice res­sen­tait la néces­si­té de venir en aide à ses propres mots, comme si elle pre­nait ses phrases et ses para­graphes pour trop faibles pour vrai­ment expri­mer ce qui lui trotte dans la tête. Il me semble pour­tant que l’in­trigue aurait très bien pu se pas­ser de ces inter­ven­tions, et Marys­sa Rachel aurait tout à gagner d’a­voir un peu plus de confiance en sa propre force. Parce que cette force est bel et bien pré­sente dans les mots qui font vivre la pro­ta­go­niste et ses aven­tures, ses remises en ques­tions, ses prises de posi­tion. Ce n’est certes pas le pre­mier texte à trai­ter du sujet de la sou­mis­sion, loin de là, le sujet étant deve­nu, depuis les 50 nuances de gris, tel­le­ment raco­leur que les sou­mises, sor­ties pour de bon de leurs don­jons, semblent cou­rir les rues, au point de pro­vo­quer, chez votre ser­vi­teur, des hauts le cœur lit­té­raires. Mais on sent, dans les paroles de Mme Rachel, une sin­cé­ri­té vibrante, sin­cé­ri­té qui prend, dans les moments les plus forts, des allures d’in­ter­ro­ga­toire, de poing qui se loge dans les entrailles pour y cher­cher la véri­té à pro­pos de ce qui fait bou­ger le monde de cette Rose qui se sou­met à la ques­tion pour déga­ger les rouages d’un méca­nisme enfoui dans l’in­ti­mi­té des corps et des consciences.

À lire :
Joanna Hambert, Les vacances sans mon mari

J’ai beau­coup appré­cié ce texte qui m’a été recom­man­dé par mon ami Jean Zaga, grand afi­cio­na­do d’é­ro­tisme lit­té­raire qui a lui-même consa­cré un long article à Décou­sue. Je conseille­rais pour­tant à l’au­trice de faire confiance à son talent et de concen­trer ses forces sur le tra­vail pro­pre­ment lit­té­raire au lieu de se méfier de ses per­son­nages, bête­ment confiés à des sbires extra-lit­té­raires comme par exemple cette conclu­sion qui res­semble plus à un réqui­si­toire qu’au der­nier cha­pitre d’un roman.

Il existe, pour les ama­teurs de mul­ti­mé­dia, une suite de vidéos pro­mo­tion­nelles réa­li­sées et mon­tées par Marys­sa Rachel elle-même. L’am­biance qui s’en dégage rend très bien celle qui règne sur le par­cours de Rose. Je vous invite donc à décou­vrir la voix de Marys­sa et les images qu’elle a trou­vées pour accom­pa­gner le récit.

Maryssa Rachel, Décousue - extrait numéro 4
Marys­sa Rachel, Décou­sue – extrait numé­ro 4

Mise à jour

Il existe, depuis le 20 février 2016, une ver­sion numé­rique du texte, paru chez L’ivre-Book et dis­po­nible dans toutes les bonnes librai­ries en ligne.

Marys­sa Rachel
Décou­sue
L’Ivre-Book
ISBN : 9782368922392

Maryssa Rachel, Décousue
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95