Syl­vain Lamur, De mons­tro­rum natura

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S’il est vrai que le San­glier n’aime rien autant qu’un bon petit texte indé­cent qui fasse bien mouiller ses lec­trices, cela ne veut pas dire pour autant qu’il fait du genre éro­tique sa seule nour­ri­ture ! Loin de se pri­ver de quoi que ce soit, la bête sort de son repaire à chaque fois qu’il y a dans l’air des arômes d’a­ven­ture et d’in­so­lite, même si, il faut l’a­vouer, elle met par­fois un peu de temps avant de se rendre compte… Mais bon, vu le nombre de décou­vertes poten­tielles et compte tenu du fait qu’elle doit nour­rir ses petits, le hasard aus­si y est pour quelque chose. Ce qui a failli la pri­ver du texte qui va nous occu­per dans l’ar­ticle que vous êtes en train de lire, De mons­tro­rum natu­ra, de Syl­vain Lamur.

Il y a une semaine, j’ai reçu un com­mu­ni­qué de la part des Édi­tions House made of dawn annon­çant la fin de leurs acti­vi­tés pour le 31 juillet 2016. C’est en rédi­geant la note cen­sée annon­cer cette (très mau­vaise) nou­velle à mes lec­teurs que je me suis dit qu’un grand nombre de leurs textes n’al­lait donc plus être dis­po­nible après cette date fati­dique et qu’il valait mieux ne pas prendre du retard avant de jeter un coup d’oeil dans leur cata­logue. Après tout, les textes de cette mai­son que j’ai eu l’oc­ca­sion d’ac­cueillir dans la Bauge ayant tous été d’un niveau à lar­ge­ment jus­ti­fier un petit – voire un grand – effort pour en sau­ver l’un ou l’autre des futures décombres, rien ne m’empêcherait d’en ache­ter quelques-uns dans le but de don­ner un coup de groin aux auteurs res­pec­tifs afin de les encou­ra­ger à redou­bler d’ef­forts pour se trou­ver un novel éditeur.

C’est ain­si que De mons­tro­rum natu­ra est venu enri­chir ma biblio­thèque per­son­nelle, et je ne peux que vous recom­man­der un petit pas­sage, avant le 31 juillet (!), chez le libraire de votre confiance pour en faire l’ac­qui­si­tion. Après tout, quelques heures de pur plai­sir pour même pas deux euro, c’est fran­che­ment donné :-)

Syl­vain Lamur, l’au­teur du texte en ques­tion, ne s’embarrasse pas de pré­li­mi­naires ni de trop de ten­dresse envers ses per­son­nages ou ses lec­teurs, et n’hé­site pas à choi­sir une entrée en matière qui claque comme un bon coup de poing en pleine gueule :

« Voi­là pour toi, catin ! Et reviens me voir quand tu veux. Ce sera avec plaisir ! »

C’est cette façon peu galante qu’a choi­sie l’au­teur pour intro­duire aux lec­teurs sa pro­ta­go­niste, Lili Swamp, dont la tête – pour­tant si belle ! – vient de s’é­cra­ser contre le mur même contre lequel elle s’ap­puyait il y a à peine quelques ins­tants pour résis­ter aux assauts d’un amant de pas­sage. On devine que cela n’a rien d’or­di­naire, et on nous explique dans les para­graphes sui­vants que la belle Lili souffre d’une libi­do aux appels farouches, une libi­do qui s’empare d’elle de façon aus­si irré­sis­tible et vio­lente qu’elle ne peut que céder à ses pul­sions et se jeter dans les bras de l’in­con­nu de pas­sage ayant eu le pri­vi­lège de déran­ger la bête dans son som­meil. Pour­tant, contrai­re­ment à ce que lais­se­rait entendre une aus­si fra­cas­sante entrée en matière, il ne s’a­git pas ici d’un texte éro­tique, loin de là ! Avec Lili Swamp, on se retrouve dans un décor de Steam­punk, mélange de nos­tal­gie des prouesses tech­no­lo­giques du XIXè siècle et de quelques ingré­dients aux relents sur­na­tu­rels. Le tout dou­blé d’une ambiance de who­dun­nit, ques­tion qui s’im­pose face aux quatre cadavres qui tiennent com­pa­gnie à Lili en train de cuver son alcool.

À lire :
Lolita Langory, Maître des Sens

Un tel départ donne l’am­biance de ce qui va suivre, et on com­prend vite que De mons­tro­rum natu­ra, c’est un épi­sode par­ti­cu­liè­re­ment noir dans la vie de Lili, une vie appa­rem­ment riche en épi­sodes de ce genre – telle est au moins la conclu­sion qui s’im­pose au lec­teur suite aux indices que le nar­ra­teur ne manque pas de semer dans le sillon de sa pro­ta­go­niste. Et cette fois-ci, celle-ci doit faire face, le titre l’au­ra fait com­prendre, à des monstres. Ceux-ci, dûment annon­cés par les restes de leurs fes­tins et des récits à moi­tié seule­ment cré­dibles, se mani­festent assez tôt, sous une forme très com­pa­tible avec l’i­mage que le com­mun des mor­tels se fait de telles créatures :

« C’é­tait gluant, puant, ter­ri­fiant et géant : plus de deux mètres. Peut-être trois. Sa peau lui­sante était recou­verte de pus­tule, ou de bubon. […] Bien que cela fût doté de pattes (deux énormes appen­dices vaseux aux pieds informes), cela sem­blait glis­ser, ou frot­ter plu­tôt que de mar­cher réellement. »

Le texte s’ouvre donc sur une énigme mor­telle qu’il s’a­git de résoudre et plus vite que ça. C’est pour cela qu’on ne tarde pas à voir Owen Owens, ins­pec­teur de la police locale qui a eu l’heur de se faire remar­quer par Lili, s’embarquer à bord d’un sub­mer­sible afin de son­der les eaux troubles du fleuve cen­sées abri­ter les créa­tures dévo­reuses de chair humaine. Le tout, évi­dem­ment, se com­plique, et une sor­dide cabale poli­tique vient se mêler à une affaire qui, déjà, n’a rien de très appé­tis­sant. Quoi qu’il en soit, Lili, suite à la dis­pa­ri­tion de son petit ami, ne se prive pas de mener des recherches pour son propre compte, mais les monstres qu’elle sou­lève ne sont pas tou­jours ceux que l’on attend, et le lec­teur est ame­né à remettre en ques­tion les appa­rences qui l’empêchent de voir plus loin que le bout de son nez. Suf­fit-il, par exemple, de cou­vrir un homme de pus­tules et de le pour­voir de ten­ta­cules pour en faire un monstre ? Et qu’en est-il de la gri­mace mise à l’a­bri des regards der­rière une figure des plus atti­rantes, comme dans le cas de Lili elle-même ? Car de quoi qua­li­fier, sinon de mons­trueuses, les pul­sions qui réveillent la bête cachée au fond de son ventre, promptes à sur­gir en même temps que le désir sexuel, un monstre qui, non content de sévir sur l’autre, se nour­rit de sa propre chair, se vau­trant dans les bas-fonds qu’au­cun sen­ti­ment n’illu­mine plus pour sau­ve­gar­der la digni­té de l’être humain ?

À lire :
Sinistre Ange, Annie and the Sybian

Le texte ne déroge pas à son titre, le lec­teur étant pous­sé à s’in­ter­ro­ger sur la nature des monstres, sur les condi­tions qui les font naître et les aspects qu’ils peuvent prendre. Le tout agré­men­té par les mal­heurs que l’au­teur déchaîne contre sa pro­ta­go­niste, une femme qu’on voit en train de tom­ber amou­reuse, qui s’in­ter­roge sur la pos­si­bi­li­té de l’a­mour face aux monstres qui lui rongent les chairs, et qu’on voit prendre la fuite, acu­lée aux der­nières extré­mi­tés face à un ave­nir qui ne lui laisse aucun doute quant à son sort. Et ce n’est pas pour rien que l’é­pi­sode de son viol consti­tue une des pièces de résis­tance du récit, un des gonds autour des­quels tourne la narration.

L’es­poir ne semble exis­ter dans ce monde-ci que pour mieux enfon­cer celles et ceux qui ont eu la fai­blesse d’y céder, ne fût-ce que pen­dant quelques ins­tants. Et la plume de Syl­vain Lamur excelle à cap­ter l’in­ten­si­té du déses­poir, autre monstre sor­ti des entrailles même de Lili, quand celle-ci réa­lise qu’il n’y a aucun moyen de se libé­rer de ce qui consti­tue notre per­sonne, de ce qui nous rend nous, de ce qui fait de nous l’être que nous sommes. Et par­fois il nous arrive de pui­ser notre force dans la tare même qui noir­cit nos visages, et on réa­lise que c’est le monstre qui non seule­ment nous empêche de recu­ler, mais qui nous pousse en avant, vers d’autres rivages que nous sommes appe­lés à souiller de nos excréments.

Le texte, novel­la d’une soixan­taine de pages, a bien un début et une fin, mais on com­prend très vite que ce n’est qu’un épi­sode dans la vie de la pro­ta­go­niste, et le nar­ra­teur fait miroi­ter devant les yeux du lec­teur un pas­sé riche en péri­pe­ties et un ave­nir qui, si rien ne per­met de le pré­dire avec cer­ti­tude, s’an­nonce pour­tant – agité.

L’u­ni­vers de De mons­tro­rum natu­ra pro­met encore de beaux récits, comme celui, par exemple, qu’on trouve dans un autre titre du cata­logue de House made of dawn, une deuxième novel­la, Le sens de la vie, qui relate des évé­ne­ments qui se sont dérou­lés avant ceux met­tant en rap­port Lili et Owen. Et j’es­père sin­cè­re­ment que Syl­vain Lamur trou­ve­ra très bien­tôt un nou­vel édi­teur afin d’i­ni­tier de nou­veaux lec­teurs, de les prendre par la main et les faire péné­trer dans un décor qui lui a ins­pi­ré de si beaux exploits.

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Syl­vain Lamur, De mons­tro­rum natura”

  1. Quelle chro­nique ! A m’en don­ner le ver­tige. Je me per­mets de faire un tour ici, bien à l’a­bri der­rière mon pseu­do­nyme offi­ciel, pour venir vous remer­cier et vous expri­mer la joie qui est la mienne de vous avoir convain­cu, cher Sanglier !
    Pour ce qui est des autres épi­sodes de la vie de Lili, vous avez mis dans le mille ! Avec « Le Sens de la vie », il y en a cinq en tout, écrits, tout frais tout propres et qui consti­tuent un roman, lequel va être envoyé d’i­ci peu en recherche d’é­di­teur, dès qu’un épi­logue leur aura été don­né. Je revien­drai vous don­ner des nou­velles, le moment venu, mais on ne sait jamais, tenez vous au courant !
    Mer­ci en tout cas !

    1. Mer­ci pour ces ins­tants de lec­ture ! Je suis ravi d’ap­prendre qu’il y a effec­ti­ve­ment des épi­sodes sup­plé­men­taires. Quant à vos recherches d’é­di­teur, avez-vous déjà pen­sé à Wal­rus ou à Numé­rik­livres ? Deux mai­sons dont je ne peux dire que le plus grand bien :-)