Et voici le premier des articles de l’édition 2023 des Lectures estivales du Sanglier. Je viens de rentrer de deux semaines de vacances dans l’Italie du Sud, le soleil bat son plein au-dessus de la plaine rhénane, le mercure dépasse les 30° Celsius – comment imaginer un meilleur point de départ pour vous parler de mes lectures aussi indécentes que chaudes des semaines et des mois à suivre ? Et voilà que je vous sers, pour un début sur les chapeaux de roue, les récits initiatiques de la belle Suzon qui nous racontera ses multiples initiations aux nombreuses facettes du sexe qui, à lire et à étudier tous ces témoignages érotico-pornographiques soigneusement conservés par les copains de Média 1000, était bien plus décomplexé dans les années 60 que ce que l’on peut vivre – et constater – soixante ans plus tard, à l’époque du retour des censeurs et des moralisateurs à deux balles…
Au fait, voici l’occasion d’une petite digression historique. Quand j’ai entamé la lecture du petit texte, je me suis demandé si, dans la France d’aujourd’hui, des parents continuaient à doter leur filles de ce doux surnom qui fleure si bon la France de jadis. D’après le site Meilleurs prénoms, il y en aurait eu, en 2020, très exactement 1561 personnes répondant à ce nom. Ce qui, sur une population de 34 millions de femmes à peu près, ne représente qu’une part infime. Suzon serait donc une belle exception à côté de toutes ces Isabelle, Florence, Chloé et autres protagonistes du sexe plus ou moins libertines, et on peut se demander de quel côté obscur nous arrive celle qui donne ici le rapport de si belles initiations. Mais il ne faut pas oublier que des Suzon ont joué un rôle autrement plus important dans la littérature libertine du XVIIIe siècle, quand les Mémoires de Suzon faisaient des ravages dans les milieux intellectuels plus ou moins ouvertement anti-cléricaux où les histoires parlant des aventures indécentes des membres de la faune cléricale étaient fort prisées. Ce qui ne veut pas dire que celles-ci [comprenez : les aventures] étaient réservées aux membres de ladite faune. Un petit témoignage ? Voici la belle Suzon qui se laisse (très) volontiers séduire par un « garçon marchand de vin » :
À la fin nous trouvant tous deux auprès d’un tonneau, il me prit dans ſes bras, & me plaça deſſus. Enſuite ſe mettant entre mes cuiſſes, il me fit un bavolet de ma chemiſe, auſſi-tôt il ſortit de ſa culotte un vit propre à faire plaiſir à la femme la moins amoureuſe, & me l’enfonça dans le con juſqu’à la garde. Quoique l’endroit fût encore ſenſible, je ne tardai pas à ſentir les approches du plaiſir, Mon cher Nicolas (c’étoit le nom du garçon) pouſſoit avec tant de vigueur, que ſi je n’avois eu le dos appuyé contre la muraille, je n’aurois jamais pû ſoutenir les ſecouſſes qu’il me donnoit. Il me tenoit les jambes ſous ſes bras, de façon que m’attirant à lui dans le temps qu’il me donnoit un coup de cul, il n’y avoit pas deux lignes de son vit qui n’entraſſent dans mon con.1
Serait-ce ici une lointaine ancêtre de la Suzon moderne dont Alain Barriol aurait, selon les aveux d’Esparbec2, transcrit les aventures ? Je ne sais rien des lectures du Sieur Barriol, mais vu sa fertilité littéraire dans le domaine érotique, cela ne m’étonnerait pas de le voir familier avec ses doctes prédécesseurs de l’âge d’or des Libertins.
Tout cela est sans doute une plaisante digression, mais je parie que mes lectrices et lecteurs sont bien plus tentés par ces confessions de la belle et jeune Suzon que je leur fais miroiter devant les yeux depuis un bon moment, et je les entends réclamer, comme ce spectateur imaginé par le jeune Hugo : « Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! »3 Ce que – promis ! – je vais faire de ce pas !
Les événements ayant conduit Suzon à se confesser à son éditeur ont eu lieu en 1960, une époque précédant – et préparant sans doute – celle de la libération sexuelle. Ce qui n’a pas empêché notre protagoniste de faire des siens pour satisfaire ses curiosités sexuelles et de répondre aux défis de ses nombreux partenaires. Et on peut constater dès les premières lignes que le fait d’assumer sa sexualité, de la vivre et d’en faire un moyen de son émancipation – sortir de la jeunesse et de la dépendance envers ses parents (ou, dans le cas de Suzon, envers sa mère) – constitue pour la protagoniste un gage de liberté. La confession de Suzon peut donc aussi être lue comme une conquête de liberté, une liberté qui affirme l’individu face à la société et ses stéréotypes néfastes cristallisés dans des expressions comme « Marie-couche-toi-là ». Si Suzon baise, c’est bien sûr pour le plaisir, mais c’est aussi pour combattre une certaine tradition et les attentes envers son rôle de femme.
Le tout commence, comme si souvent, pendant cette parenthèse de liberté, les vacances d’été dans le sud, dans « une maisonnette à Carnon, pas très loin de Montpellier« 4. Suzon, même pas 16 ans5 à l’époque des faits, passe ces vacances-là chez sa tante et son oncle, personnel pratiquement obligatoire de ce genre de récit initiatique. Il va sans dire que la tante est jeune et belle et que son époux ne manque pas de virilité pour attirer la (très) jeune femme avant de la mettre sous le charme de ses atouts de mâle bien membré. Suzon découvre tout cela pendant des séances de voyeurisme pendant lesquelles elle assiste, depuis son perchoir dans les toilettes, aux ébats du jeune couple. Cette scène, soit dit en passant, va ravir tous les amateurs de pilosité qui auront l’occasion de découvrir l’entrejambe de la jeune Odile (même pas vingt-cinq ans, d’ailleurs) :
La touffe de poils noirs qu’elle avait entre les cuisses s’est divisée en deux bouquets drus, laissant voir une fente d’un rouge sombre, les nymphes qui bâillaient et son clitoris, un triangle pointu qui paraissait minuscule au centre du con velu.6
Pendant ces multiples séances, Suzon a l’occasion d’assister à maintes parties de jambes en l’air, à des fellations et même à un épisode masturbatoire quand la tante doit prendre son plaisir en main à côté de son mari – grand classique encore – endormi.
Malheureusement, les beaux jours se terminent toujours trop tôt, et notre Suzon est prête à passer à l’étape prochaine de ses initiations. Cette fois-ci – vacances toujours – c’est la colonie de vacances en Ardèche où Suzon se retrouve entourée de ses congénères pas toujours bienveillantes. Vous ne serez point étonnés, chers lecteurs, si je vous apprend que c’est entre les bras et les jambes d’une copine de tente qu’elle découvre les joies de l’homosexualité entre filles. Malheureusement pour elle, tandis que Suzon découvre les plaisirs de la masturbation mutuelle, d’autres filles ruminent d’autres projets, et elle sera bientôt la cible d’attaques sexuelles très corsées où des orties et un chien particulièrement vicieux se relaient pour lui faire sa fête. Avant un viol en règle par une des monitrices. Quand on connaît un peu la littérature érotique et les habitudes des pornographes, on sait que ceux-ci ne boudent pas le plaisir qu’eux-même et leurs lecteurs peuvent tirer de tels actes. Surtout quand le viol se transforme en sexe consensuel sous le coup du plaisir. Dans le cas de Suzon, le dégoût que lui inspire la monitrice – une dénommée Mademoiselle Guilhot – est palpable et suinte des mots jusqu’à donner la nausée à celui qui suit les aventures de Suzon. Rien qu’à lire le passage7 où Suzon décrit le sexe de la Guilhot, on se rend compte à quel point cet organe peut être dégoûtant sous la plume d’un auteur érotique qui maîtrise son art. Il me semble que c’est presque une première pour moi, de tomber sur une description aussi crue et révoltante d’une femme en chaleur. Chapeau, M. Barriol !
Elle n’a pas baissé son slip, elle a passé les doigts sous l’élastique pour le tirer dans l’aine et dégager sa vulve. […] Son sexe s’accordait avec le reste de son corps : il saillait comme une motte de chair grasse entre les poteaux de ses cuisses, orné d’une bande de poils souples d’un châtain plus sombre que ses cheveux. Elle a écarté davantage les jambes et son con s’est animé, comme si elle avait eu une bête blottie entre ses cuisses ; les babines charnues se sont écartées, laissant peu à peu apparaître une masse de chairs chiffonnées d’un rouge sanguin.8

Le coup de maître, c’est sans aucun doute la superposition de la bête et de l’humain qui s’opère dans ce passage où le con s’anime et où les lèvres du sexe se transforment en babines charnues. Un jeu superbement réussi qui utilise avec dextérité cette vieille confusion entre le sexe des femmes et une bouche / gueule remplie de dents acérées (celle du chien en l’occasion), alimentant l’éternelle peur des mâles de la castration. Un passage aussi captivant que dégoûtant, et on s’étonne qu’après une telle expérience le goût de sexe de notre protagoniste ne se soit pas éteint. Mais c’est, bien au contraire, après cette mésaventure ardéchoise que les choses commencent à chauffer pour notre Suzon moderne qui, après avoir testé l’eau du côté de ses consœurs, se laisse emporter par le courant des sens en tourbillon dans le camp adverse pour fricoter avec les garçons. Ou plutôt les hommes dont le premier sera le mari de cette tante Odette dont les ébats ont donné une première idée à la jeune fille de ce que pouvait être le sexe, et la nouvelle année scolaire verra s’enchaîner les parties fines ponctuées de sucettes et de galipettes avec ceci de particulier que la jeune Suzon deviendra une adepte des enculades. Un plaisir qu’elle ira trouver jusque dans la chambre de sa mère qui, avec ses « portraits au mur et sa Vierge de Lourdes sur la table de chevet« 9, fournit un décor des plus improbables, mais aussi des plus libérateurs. Quoi de plus indécent, je vous le demande, que de contempler cette toute jeune fille qui, surveillée par la bonne Vierge de Lourdes, lorgne la bite de son oncle « s’enfoncer dans [s]on cul« 10. Il est d’ailleurs fort intéressant de voir ces ébats se transformer en séance de possession presque diabolique quand l’oncle en question prend le rôle d’une espèce de démon qui serait en train de soumettre sa jeune acolyte, assise sur les genoux du mâle, à une nuit de sabbat extatique :
Son bas-ventre écrasait mon clitoris, ses poils balayaient mes lèvres. J’ai posé la tête sur son épaule pour nous voir dans la glace. J’avais l’air toute petite sur sa solide carcasse. Ses grosses mains écartaient mes fesses entre lesquelles son manche épais coulissait, entrant et sortant sur toute la longueur de la bague rougie de mon anus.11
Le lecteur, les sens en désordre et les mains tremblantes de désir grâce aux révélations auxquelles le font assister Suzon et son compagnon d’écriture, aura le plaisir supplémentaire de devenir un témoin privilégié des dialogues entre jeunes filles qui se racontent leurs premières fois et leurs découvertes, tiraillées entre un plaisir aussi réel que coupable et une curiosité qui emporte tout sur son chemin. Promesses de plaisir et curiosité qui conduiront Suzon, dans un renversement de rôles, à se laisser dépuceler par une de ses camarades de lycée, Juliette. Un épisode qui ajoute, après le spectacle démoniaque de Suzon profondément enculée par son oncle, d’autres connotations diaboliques par ce renversement total des rôles. Renversement qui n’est d’ailleurs pas étranger au théâtre de Shakespeare, comme quoi le nom de celle qui descelle le vagin de Suzon ne serait peut-être pas entièrement dû au hasard…
Comme je voudrais laisser à mes lectrices et à mes lecteurs le plaisir de découvrir par eux-mêmes la suite des initiations, je vais maintenant me taire sur le détail des parties de jambes en l’air qui s’enchaînent à une cadence endiablée, s’enfilant comme des perles aussi belles qu’impures sur un collier qui rappellerait cette marque infâme de l’esclavage des peuples antiques et qui conduiront notre héroïne des plaisirs de la domination et du fist aux séances à plusieurs où elle devient le jouet d’une bande d’hommes de la haute société de sa ville natale, au point de frôler la prostitution.
Le texte n’a sans doute rien de trop estival, sauf bien sûr l’épisode à Carnon avec ses sessions voyeuristes et la colonie de vacances en Ardèche. Mais s’il lui manque une certaine dose de soleil, Suzon se rattrape par la franchise de ses confessions dont elle sait faire une toile qu’on contemple avec le plaisir coupable de celle et de celui qui assiste de trop près à des faits capables de se faire remettre en question.
Suzon
Mon initiation sexuelle
Média 1000
ISBN : 978–2744816093
- Mémoires de Suzon sœur de D. B., éd. 1778, pp. 106 – 107 ↩︎
- À la page 7 du texte, on peut lire ce qui suit : « Mais il se trouve qu’elle [i.e. la confession de Suzon] est authentique, Alain Barriol qui l’a réécrite, l’a recueillie de la bouche même de son médecin » ↩︎
- Victor Hugo, Préface de Cromwell, p. 26 ↩︎
- Suzon, Mon initiation sexuelle, p. 11 ↩︎
- Le texte dit très exactement : « J’allais sur mes seize ans » à la page 11. C’est un peu l’âge préféré des pornographes quand il s’agit des très jeunes filles qu’ils aiment faire passer par toutes les étapes de l’initiation. C’est déjà la majorité sexuelle, mais tellement jeune que cela fleure si bon l’interdit… ↩︎
- Suzon, Mon initiation sexuelle, p. 17 ↩︎
- Il se trouve dans le chapitre 5 du texte. ↩︎
- Suzon, Mon initiation sexuelle, chap. 5 ↩︎
- chap. 8 ↩︎
- l.c. ↩︎
- l.c. ↩︎