Shaw­na Cum­mings, Wat­ching Her Turn Bi

De temps en temps, j’aime sor­tir des espaces hexa­go­naux afin de lais­ser entrer des cou­rants d’air char­gés des par­fums d’ailleurs qui me rap­portent les raf­fi­ne­ments d’outre-Manche ou l’ap­proche franche et décom­plexée des autrices et auteurs amé­ri­cains. Cette fois-ci, je tiens à vous pré­sen­ter une jeune autrice amé­ri­caine, Shaw­na Cum­mings, qui vient de publier Wat­ching her turn bi, son pre­mier texte annon­cé depuis un cer­tain temps à ses fidèles sur Twit­ter (ses « hor­ny minions » comme elle aime les appe­ler), réseau qu’elle hante avec assi­dui­té. C’est là que votre ser­vi­teur l’a croi­sée, en train de suivre des ret­weets d’autres autrices, pro­ve­nant sans doute d’une de mes favo­rites, Rebec­ca. Après l’a­voir contac­tée par mes­sage pri­vé afin d’en apprendre davan­tage à pro­pos du texte en ques­tion, elle m’a répon­du à peine quelques heures plus tard, m’an­non­çant la paru­tion immi­nente de son texte. Que j’ai ache­té presque aus­si­tôt que celui-ci était dis­po­nible dans les librai­ries en ligne.

Quand il s’a­git de par­ler de ses capa­ci­tés, Shaw­na ne se retient pas, et il suf­fit de lire sa pré­sen­ta­tion pour se convaincre qu’on a affaire à une per­sonne très sûre des effets qu’elle peut obtenir :

Je suis une autrice qui fait mouiller les culottes.

Shawna Cummings - son profile sur Twitter
Shaw­na Cum­mings – son pro­file sur Twitter

Pas de fausse modes­tie, donc, du côté de Shaw­na, ce qui colle bien avec l’i­mage qu’on aime se faire de nos amis d’outre-Atlan­tique. Et après tout, pour­quoi pas, tant que les exploits van­tés sont à la hau­teur du cas qu’on en fait ? Je pré­fère de toute façon cela à la modes­tie qui sent à mille pas son manque de sin­cé­ri­té, si fré­quent dans nos contrées qu’on a par­fois du mal à res­pi­rer son air vicié. Quoi qu’il en soit, il y a, en abor­dant Shaw­na en par­ti­cu­lier ou l’é­ro­tisme lit­té­raire en géné­ral tel qu’il se fabrique aux États-Unis, un côté qui peut prê­ter à confu­sion. Aujourd’­hui, quand on parle d’é­ro­tisme en rap­port avec l’A­mé­rique moderne, on pense tout d’a­bord à la pru­de­rie des réseaux sociaux[1]Celle de Face­book est notoire, mais d’autres réseaux ne sont pas en reste : Tum­blr a ban­ni les « conte­nus adultes » en décembre 2018 et même Twit­ter, vu par beau­coup comme un des der­niers refuges de … Conti­nue rea­ding d’où la nudi­té est ban­nie sous ses formes les plus inno­centes et où même des pho­tos de mamans allai­tant leurs nour­ris­sons risquent de subir les foudres des cen­seurs, et où il a fal­lu invo­quer les tri­bu­naux pour sau­ve­gar­der les œuvres d’art même les plus célèbres des coups de ciseaux et des auto­da­fés. Et qu’est-ce que le Nip­ple­gate peut nous apprendre à pro­pos de l’é­tat psy­chique d’une nation entière ? Ou encore les coups tor­dus por­tés à l’ombre de la défer­lante #MeToo contre des musées abri­tant quelques-uns des chefs d’œuvres de la pein­ture éro­tique, comme par exemple les tableaux de Bal­thus ? On n’est pas loin de la furie des chas­seurs de sor­cières, et pour­tant, c’est le même pays où l’é­ro­tisme et le por­no ne reculent devant pra­ti­que­ment rien. Il suf­fit de par­cou­rir le cata­logue de Sma­sh­words pour s’en convaincre, avec à l’ap­pui les innom­brables récits où ça baise en famille ou avec toute une ména­ge­rie d’a­ni­maux et où des femmes sont éle­vées pour ser­vir de vaches humaines. J’a­voue que tout ça n’est pas facile à com­prendre, et que ce n’est pas l’en­droit pour pondre une théo­rie géné­rale à pro­pos de l’é­ro­tisme dans une socié­té tiraillée entre la pru­de­rie reli­gieuse et une liber­té reven­di­quée comme bien suprême.

Par­lons donc du texte de Miss Cum­mings et je pro­pose de com­men­cer – comme j’ai l’ha­bi­tude de la faire – par le début. Wat­ching her turn bi, c’est le récit d’une aven­ture ini­tia­tique subie / vécue / pro­pul­sée par la pro­ta­go­niste Jen­ni Jen­son, ado­les­cente à peine majeure et secrè­te­ment amou­reuse de sa voi­sine Lind­say. L’in­trigue démarre quand Jen­ni découvre, à sa plus grande hor­reur, que sa dul­ci­née, qui fina­le­ment est bel et bien atti­rée par les filles – ce que Jen­ni n’o­sait espé­rer dans ses rêves les plus fous – a trou­vé chaus­sure à son pied ailleurs et qu’elle est en train de céder aux avances d’une fille-canon, Chris­ti­na, ori­gi­naire d’une ville voi­sine. On ima­gine le déses­poir qui résulte d’un tel concours de cir­cons­tance, sur­tout quand on a 18 ans et que la fin du monde se cache der­rière la moindre décon­ve­nue, et la pauvre Jen­ni a désor­mais bien d’autres sou­cis que sa réus­site sco­laire, assez vitale pour­tant vu qu’elle n’est qu’à quelques mois de son bac. Heu­reu­se­ment qu’il y a sa prof d’an­glais pour remar­quer l’é­tat trou­blé de sa jeune et belle élève, et voi­ci que la non moins ravis­sante Eva Tor­to­rel­li fait son entrée dans le récit, une beau­té sombre de 27 ans qui jouit d’une répu­ta­tion de dépra­vée sexuelle dont la réus­site pro­fes­sion­nelle serait inti­me­ment liée à ses exploits dans l’in­ti­mi­té de la chambre à cou­cher du pro­vi­seur de sa High School. C’est celle-ci qui s’oc­cu­pe­ra désor­mais de l’i­ni­tia­tion de Jen­ni, et comme les beaux efforts de la jeune inté­res­sée demandent une récom­pense, elle fait appel à une autre de ses pro­té­gées, Katie, pour s’oc­cu­per avec elle de l’i­ni­tia­tion de notre pro­ta­go­niste. C’est donc dans les caresses tor­rides de ce trio que Jen­ni perd sa vir­gi­ni­té, sou­mise à tout ce que la pano­plie des met­teurs en scène du X homo-éro­tique a su inven­ter de bon.

À lire :
Barbara Shumway, Moving into the Lesbian World

Pour celles et ceux au cou­rant de ce qui se passe aux États-Unis quand un/e prof est pris en fla­grant délit avec un/e élève, je vous rap­pelle un titre qu’il fait bon avoir lu pour être au fait de l’hys­té­rie qui peut e’emparer d’une bonne par­tie de la popu­la­tion : Je parle de Tam­pa d’A­lis­sa Nut­ting, titre que j’ai dévo­ré après l’a­voir décou­vert suite à la lec­ture d’un article d’Anne Bert publié il y a cinq ans déjà : « Pré­da­trice », une jeune prof de col­lège furieu­se­ment obsé­dée sexuel­le­ment par les ado­les­cents. Ce roman a été ins­pi­ré par l’his­toire d’une dénom­mée Debra Lafave, une prof de 24 ans à l’é­poque des faits (2004) qui a eu une affaire avec un mineur de dix ans son cadet. Quand on connaît les réper­cus­sions d’une telle affaire sur le dis­cours public, on ne peut que res­ter bouche bée devant l’au­dace de Mme Cum­mings qui prête à sa pro­ta­go­niste de pareilles considérations :

It was some­thing that infu­ria­ted me to hear on the news, that tea­chers [i.e. des pro­fes­seurs de sexe fémi­nin !] were made to resi­gn their posts because they had sex with a student. First of all, these tea­chers fucked male stu­dents, and theses fucking use­less tee­nage dum­basses brag to eve­ryone. « Look at me, I got miss So and So hor­ny, and she played with me and stuck my thing in her and I made a mess ! » That’s the last thing these idiots should do ; keep it silent, keep get­ting that yum­my edu­ca­tive pus­sy…[2]Shaw­na Cum­mings, Watch her turn bi, 2019, empla­ce­ment 391. « Cela m’a tou­jours mis hors de moi, d’en­tendre aux jour­naux que des profs devaient quit­ter leurs postes parce qu’elles ont cou­ché avec … Conti­nue rea­ding

Ce n’est tou­jours que le per­son­nage qui parle, mais on sait avec quelle non­cha­lance point de vue d’un per­son­nage et celui de l’au­teur sont vite confon­dus. Quoi qu’il en soit, j’a­dore la fran­chise qui carac­té­rise le per­son­nage. Quand il s’a­git de par­ler, de pro­fes­ser une opi­nion, elle ne se retient tout sim­ple­ment pas ni ne se laisse rete­nir. C’est pour le moins rafraî­chis­sant ! La fran­chise, c’est un peu la marque de ce texte et sans doute de son autrice, sur­tout quand celle-ci parle (ou fait par­ler ses per­son­nages) de sexe – ce qui, vous en convien­drez, est quand même le point cen­tral de tout texte éro­tique – l’ins­tant Chan­tilly si cher à notre Espar­bec natio­nal. On peut certes se deman­der com­bien d’a­dos d’à peine dix-huit ans seraient capable d’une approche aus­si décom­plexée des rela­tions char­nelles, mais il n’y a pas à nier le fait que, dans la bouche de celles de Mme Cum­mings, cela pro­duit le plus bel effet ! Des chattes se bouffent, des culs se lèchent, des cli­to­ris se dévorent, des tétons se sucent, le tout avec une évi­dence qui pour­rait très effi­ca­ce­ment faire oublier la réa­li­té et la pru­de­rie dévote qui régissent une bonne par­tie de nos inter­ac­tions, sur­tout quand il est ques­tion de sexe. Mal­heu­reu­se­ment, il faut tôt ou tard se réveiller et sor­tir des rêvas­se­ries humides déclen­chées par de telles lec­tures, mais on aura quand même pas­sé quelques bons ins­tants en com­pa­gnie des ados voraces et éprises de sen­sa­tions fortes de Mme Cum­mings, et c’est tou­jours autant de plai­sir de pris.

À lire :
Mélikah Abdelmoumen, Adèle et Lee

Je ne vais cer­tai­ne­ment pas vous révé­ler les détails de l’in­trigue, c’est un plai­sir dont jamais je ne vou­drais pri­ver mes braves lec­teurs. Qu’il suf­fise de vous dire que les femmes avides de sexe avec leurs congé­nères s’y croisent à tout bout de champ, et que même les ama­trices et ama­teurs de bonnes grosses queues y trou­ve­ront de quoi ali­men­ter leurs fan­tasmes – même si la forme que prend cette ren­contre par­ti­cu­lière est assez – inso­lite. Mal­gré tout le bien que je vou­drais dire de ce récit ini­tia­tique et de la capa­ci­té de l’au­trice de faire de leurs per­son­nages de véri­tables déesses de la baise, je ne vais quand même pas vous cacher le fait qu’il s’y trouve des pas­sages moins forts aus­si – ce qui ne sau­rait éton­ner per­sonne vu que l’au­trice en est à soin pre­mier texte éro­ti­co-por­no­gra­phique. J’ai déjà fait une allu­sion au fait qu’on a par­fois du mal à voir agir ces jeunes per­sonnes avec une désin­vol­ture qui si sou­vent fait défaut à des adultes confir­més. Et puis, le sexe – et j’ai­me­rais dire mal­heu­reu­se­ment ! – n’est pas tout dans ce texte, il y a aus­si un côté sen­ti­men­tal qui tourne autour du concept du poly­amour. Celui-ci consiste à recon­naître aux humains la capa­ci­té d’en­tre­te­nir des rela­tions amou­reuses avec plu­sieurs per­sonnes, une idée qui fonc­tionne un peu comme le Deus ex machi­na des opé­ras baroques quand il s’a­git de résoudre la dyna­mique qui régit les rela­tions entre quatre per­son­nages atti­rés les uns par les autres. Et cela donne lieu à des épan­che­ments qu’on s’at­ten­drait à trou­ver dans des romans d’a­mour à deux balles à des­ti­na­tion d’un tout jeune public. Le monde se teint peut-être un peu trop en rose à ces occa­sions-là. Mais il est vrai aus­si que, à côté de la puis­sance évo­ca­trice des ima­gi­na­tions déchaî­nées et face à la farouche créa­ti­vi­té de l’au­trice quand il s’a­git de rendre ses lec­teurs les témoins des nom­breux pas­sages à l’acte dans les constel­la­tions les plus diverses, c’est un point mineur qui pâlit devant la vigueur des jeunes pro­ta­go­nistes et de leurs fan­tasmes incar­nés. En guise de conclu­sions, il faut donc bien concé­der ce point à Mme Cum­mings : Elle sait bien mouiller les culottes !

Shaw­na Cum­mings
Wat­ching Her Turn Bi
Auto-édi­tion
ISBN : 9780463989159

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Celle de Face­book est notoire, mais d’autres réseaux ne sont pas en reste : Tum­blr a ban­ni les « conte­nus adultes » en décembre 2018 et même Twit­ter, vu par beau­coup comme un des der­niers refuges de la liber­té d’ex­pres­sion, a mis à jour ses condi­tions d’u­ti­li­sa­tion (cf. la Poli­tique en matière de médias sen­sibles), pas plus tard que le 1er jan­vier 2020, selon les­quelles les conte­nus pour adultes (aka nudi­té) figurent désor­mais dans la même caté­go­rie que la « vio­lence expli­cite » ou les « images hai­neuses ». Je vous laisse juger de l’at­ti­tude à l’o­ri­gine d’un tel rapprochement.
2 Shaw­na Cum­mings, Watch her turn bi, 2019, empla­ce­ment 391. « Cela m’a tou­jours mis hors de moi, d’en­tendre aux jour­naux que des profs devaient quit­ter leurs postes parce qu’elles ont cou­ché avec leurs étu­diants. Pre­miè­re­ment, ces profs ont bai­sé des gar­çons, et ces espèces de connards d’a­dos n’ar­rivent pas à fer­mer leurs gueules. “Regar­dez-moi, j’ai allu­mé Mme une telle, et elle a joué avec moi et a glis­sé mon engin dans sa chatte et j’ai tout salo­pé!” C’est vrai­ment la der­nière chose à faire quand il aurait fal­lu gar­der le silence et conti­nuer à pro­fi­ter de cette chatte déli­cieuse et édu­ca­tive… » (pas­sage tra­duit par votre serviteur) 
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95