Je suis sûr que La Muse, longue romance érotique de Sara Agnès L. parue début juin aux Éditions Blanche, trouvera un grand nombre de lectrices et de lecteurs qui sortiront contents de l’expérience. Les ingrédients à succès y sont, et l’écriture qui les exploite est agréable et témoigne d’une maîtrise certaine du Français. Un écrivain en deuil (Jack Linden) en train de couler dans l’alcool, une jeune femme (Lily) qui arrive de nulle part et se met à son service pour l’obliger à terminer un roman laissé en friche après la mort dans un accident de son épouse et de son fils, les efforts de Jack pour percer le mystère qui entoure Lily qui, peu à peu, se dévoile (au sens propre comme au figuré), le réveil de la sexualité des deux côtés, la naissance des sentiments, jusqu’au trou noir qui s’ouvre peu avant la fin et menace d’engloutir tout le monde, obligeant les lecteurs à trembler pour leurs héros malmenés par la vie et si près de retrouver le bonheur – cela répond à trop d’attentes sentimentales pour pouvoir rater son coup et quelques répétitions et longueurs, surtout dans la première partie, ne pèseront pas bien lourd dans la balance. Donc, oui, je suis convaincu que La Muse remportera le succès escompté par un éditeur qui, visiblement, mise sur une approche beaucoup plus traditionnelle que par le passé. Un éditeur qui, disons-le, n’hésite pas à barboter dans l’édulcoré pour séduire le public.
La véritable interrogation que le roman soulève n’a donc aucun lien ou presque avec le texte de Sara Agnès L., beaucoup trop banal pour lui consacrer plus qu’un paragraphe pour louer son style et les quelques instants agréables qu’on peut passer en compagnie de ses personnages, mais un rapport d’autant plus intime avec les Éditions Blanche qui, peu à peu, se banalisent en accueillant un érotisme bon enfant qui ne remet plus rien en question. Il est passé où, le temps où Franck Spengler défrayait la chronique en crachant son venin à la gueule du bourgeois, le temps où Blanche, maison dont le catalogue rimait sur scandale, accueillait des titres qui, au lieu de faire grimper aux rideaux les ménagères, faisaient sortir de leurs tanières les bien-pensants de tous bords scandalisés par des textes comme celui, en 2003, d’Erik Rémès, Serial Fucker, journal d’un barebacker, dans lequel on découvrait la pratique du « plombage », de François Devoucoux du Buysson qui , la même année, ne se privait pas de mettre les militants gay dans le même camp que les assassins des Khmers rouges ou encore celui, un an plus tard, de Franck Poupart, Pattaya Beach, chantant les joies du tourisme sexuel en Thaïlande, un sujet dont on sait à quel point il est apte à déclencher la polémique (demandez un peu son avis à Frédérick Mitterand). Depuis, une décennie s’est écoulée, et Franck Spengler semble devenu plus soucieux de sou-sous que d’esclandres, un développement qui l’avait déjà conduit à commander une trilogie sentimentale à la meilleure plume de son écurie, Emma Cavalier, démarche qui, dans le temps, s’était soldée par un beau succès commercial, grâce, en grande partie, au style impeccable d’Emma et à la virulence d’une imagination qui sait emporter les personnages et les lecteurs avec elle dans une course débridée vers le plaisir.
Rassurez-vous, je ne dis pas qu’il faut pour autant condamner le patron des Éditions Blanche, et certains se féliciteront sans aucun doute de cette fin de carrière toute en douceur qui voit la brebis galeuse revenir au bercail. Et puis, un éditeur doit aussi penser à sa maison, à ses employés et – certes ! – à ses auteurs qui, eux-aussi, demandent du pain sur la planche, n’est-ce pas ? Et au lieu de miser sur la médiatisation du scandale, M. Spengler semble s’être engagé dans la voie de la sagesse et de la sexualité domestiquée qui a cela de bon qu’elle peut séduire M. et Mme Toutlemonde toujours prêts à délier les cordons de leurs bourses pour remplir les caisses d’une maison autour de laquelle le calme se fait, à la façon de la Belle au bois dormant, de plus en plus morne et impénétrable, toute tentative d’y échapper noyée dans l’odeur de – roses… Et dire que ce fut le même éditeur qui a pu affirmer, à propos des 50 nuances de Grey, que ce texte-ci restait « assez conventionnel : à la fin, le couple se marie et abandonne sa sexualité dépravée » [1]Je suis éditeur de livres érotiques : entre fouet et sodomie, les clichés ont la vie dure, interview publiée sur le l’OBS Le Plus le 1 mai 2014. Qu’en est-il déjà de La Muse ? Ah oui, le couple à la fin se marie et abandonne ses pratiques dépr… Sauf qu’il n’y a jamais eu de « sexualité dépravée » dans le texte en question, à moins de vouloir compter le fait que Jack Linden se permet de tirer un peu fort sur les cheveux de sa Dulcinée. Lamentable, vous dites ? Et ben, qui suis-je pour m’opposer à un avis aussi bien fondé ;-) ?
Non, tout le monde est libre, en fin de compte, de faire de leurs sous ce qu’ils veulent bien en faire, et si des lecteurs décident de s’embarquer en compagnie de Jack et de Lily pour passer quelques heures agréables, quitte à peindre en rose l’univers entier, ce n’est pas à moi de les blâmer pour si peu ni à l’univers de se conformer aux conceptions farfelues d’une bande de terriens. Qu’ils ratent en même temps l’occasion de vivre des instants hors commun, de voir leur monde remis en question par un texte fort de tabac qui ose se frotter aux certitudes acquises de la bonne société, de sentir leurs neurones embrasés par une plume acide, et bien, ça, c’est leur affaire.
La Muse
Éditions Blanche
ISBN : 978–2846285162
Références
↑1 | Je suis éditeur de livres érotiques : entre fouet et sodomie, les clichés ont la vie dure, interview publiée sur le l’OBS Le Plus le 1 mai 2014 |
---|
2 réponses à “Sara Agnès L., La Muse”
Bonjour,
Ayant lu « la Muse, » comme « Anabelle, » du même auteur, je ne saurais dire à quel point je partage votre opinion. « La Muse » n’est certes, pas mauvais, juste… Conventionnel. Dès le début, on sait que Lily et Franck finiront leur vie ensemble. De plus, ce livre n’a absolument rien d’érotique.
Dommage pour l’audace et pour ceux qui, comme moi, pensent que le but de la littérature est de faire bouger les lignes.