Louis Ammy Blanc – Regards

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Celui qui entre dans le musée des Beaux-Arts de Cologne, se trouve expo­sé à des regards scru­ta­teurs. Et ce n’est pas néces­sai­re­ment le per­son­nel qui se charge de cette inso­lence – il suf­fit de leur mon­trer un billet et ils se retirent au fond de leurs bauges. Non, ce sont les objets expo­sés eux-mêmes qui sont à l’o­ri­gine de cette inver­sion de rôle : tout un mur du hall d’en­trée est gar­ni de repro­duc­tions des tableaux qu’on va retrou­ver plus tard, dans les salles, et y figurent – des yeux, rien que des yeux, agran­dis outre mesure (enten­dez : outre la mesure humaine), énormes, aux regard éter­nel­le­ment en éveil, sans sour­ciller, sans jamais per­mettre au moindre cli­gno­te­ment de les obs­cur­cir, ne fût-ce que pen­dant des mil­lièmes de secondes.

C’est évi­dem­ment un petit jeu que s’est per­mis la direc­tion, de faire chan­ger de pers­pec­tive et de rôle, mais, en même temps, une annonce : Ici, vous serez réduits à la seule vue. Les autres sens, effec­ti­ve­ment, se révèlent à peu près inutiles ici.

L’ouïe ? À moins d’être doué d’o­reilles super fines et d’être capables de suivre la trace des vers qui se frayent un che­min à tra­vers le bois des cadres, il faut avouer que les tableaux, même s’ils nous parlent, n’ont pour­tant pas de voix. Inutile, donc.

Le tou­cher ? C’est bien connu, dans un musée (comme dans d’autres endroits) on ne touche pas ;-) sous peine de rece­voir des claques !

L’o­do­rat ? Vous pou­vez tou­jours essayer de vous rap­pro­cher assez des tableaux pour détec­ter les der­nières molé­cules que dégagent encore les couches de pein­ture après par­fois des siècles, mais vous ris­quez fort de vous retrou­ver avec les sus­dits cer­bères sur le dos. [Remarque : Essayez un peu un musée d’Art moderne… ]

À lire :
Nouvelle acquisition - un croquis d'Antonin Gallo

La voix ? Ben, vous vous voyez, debout devant un tableau, dans une salle où il y a sans doute d’autres visi­teurs, gueu­ler à pleins pou­mons afin de cap­ter l’é­cho et de véri­fier à quoi res­semblent les ondes sonores réflé­chis par la sur­face par­fois certes peu plane des couches d’huile ? À moins d’être chauve-sou­ris, vous auriez  mau­vaise figure.

La vue, donc. Les yeux du musée de Cologne vous rap­pellent gen­ti­ment que c’est tout ce qui vous reste pour faire entrer les œuvres aux­quels vous allez vous expo­ser dans votre for inté­rieur. Dans l’es­pace où vous pour­rez rumi­ner à votre guise les sen­ti­ments que réveillent les tableaux ain­si que les objets et les scènes repré­sen­tés. J’ai d’ailleurs fait exprès de dire : « les tableaux ain­si que ». Tout d’a­bord, il y a des tableaux qui ne repré­sentent rien (la pein­ture non-figu­ra­tive, quoi, Kan­dins­ky & com­pa­gnie, mais aus­si des pré­cur­seurs comme Tur­ner, voire les peintres réunis sous l’ap­pel­la­tion : « Impres­sion­nisme ». À pro­pos, je me demande bien si on ne pou­vait pas leur col­ler une éti­quette : AOC ? Qu’en pen­sez-vous ?). Des tableaux où il ne figure donc rien, à part les cou­leurs, bien entendu.

Et puis, même ceux où on recon­naît des per­son­nages, des pay­sages, des sites ou la rue où l’on habite, ils n’é­chappent pas à ce que je viens de dire. Le tableau, en sa qua­li­té d’as­sem­blage de toile (ou de bois ou de métal ou de quoi que ce soit comme sup­port) et de cou­leur, mène une vie à part, et la façon de peindre s’im­pose sou­vent tout aus­si vio­lem­ment à l’œil du spec­ta­teur que la scène qu’on y voit représentée.

À lire :
"Raconte-moi ma jeunesse"

Tout ceci est fort banal, mais je ne m’a­dresse pas aux cri­tiques d’Art. Je viens de visi­ter le musée de Cologne pour voir l’ex­po­si­tion en cours, et je me suis retrou­vé face à ses yeux à la beau­té inquié­tante. Et j’ai eu envie de vous en par­ler. Voi­là, c’est tout.

Louis Ammy Blanc, Portrait de jeune fille
Louis Ammy Blanc, Por­trait de jeune fille

Avant de ter­mi­ner, je vais quand-même vous mon­trer l’in­té­gra­li­té du tableau que j’ai choi­si pour illus­trer mon article. Il s’a­git d’un por­trait de jeune fille, par le peintre alle­mand Louis Ammy Blanc. On ne trouve pas beau­coup de ren­sei­gne­ments à pro­pos de cet artiste aux ori­gines ber­li­noises (hugue­notes sans aucun doute, vu le nom de famille). Il a com­men­cé sa car­rière à l’a­ca­dé­mie de Ber­lin, puis, en 1833, il est venu s’é­ta­blir sur les bords du Rhin (déci­sion on ne peut plus louable), à Düs­sel­dorf, où une aca­dé­mie fleu­ris­sante atti­rait un grand nombre d’ar­tistes (entre autres Böck­lin, Feuer­bach, Hasenclever).

Blanc, Femme se rendant à l'eglise
Blanc, Femme se ren­dant à l’eglise

Il parait que son tableau Femme se ren­dant à l’é­glise fut assez appré­cié des bons bour­geois. On y voit une jeune femme, vêtue à la mode « médié­va­li­sante » des peintres naza­rènes, devant le chan­tier de la cathé­drale de Cologne. Le tout sur fond d’un ciel tel­le­ment invrai­sem­blable qu’on a envie de rire. À moins qu’il ne s’a­gisse d’un chan­ge­ment cli­ma­tique avant l’heure, effec­tif dès le milieu du XIXe ???

N’empêche, le regard de la jeune fille qu’on peut croi­ser à Cologne ne laisse pas indif­fé­rent. Regar­dez donc …

La Sirène de Montpeller