Vous le savez tous, je suis en permanence à la recherche d’artistes pour décorer ma sombre demeure. Et j’ai aujourd’hui le bonheur de vous révéler le nom du dernier en date qui vient de contribuer, ce matin même, une illustration au fond déjà assez riche où la Bauge littéraire puise ses en-têtes. Il s’agit de Kurt Fleischer, illustrateur basé à San Antonio, et c’est, encore une fois, un tweet qui m’a mis sur la bonne voie. Un tweet adressé, comme par hasard, au compte de BD-Adultes :

Voir l’échantillon contenu dans ce bref échange et partir en expédition vers l’univers numérique de Kurt Fleischer ne furent qu’un, et ma curiosité, déjà passablement titillée par le tweet que je venais de découvrir, fut carrément mise en alerte découverte par une présentation où l’originalité se mêle au bizarre :
The Most High Autocrat of The Electric Strawberry, a one man illustration & design studio. Aficionado of pop culture & pulp art in all its forms.
J’allais donc m’embarquer, à la suite de ce personnage paradoxalement haut en couleur (malgré sa manifeste prédilection pour le noir et blanc), vers des rives peuplées par des créatures aussi étranges que ravissantes, des créatures qui ne tardèrent pas à me mettre sous le charme d’une drôle de sensualité sobre voire amère qui se dégage de leurs traits souvent anguleux, du jeu des lignes qui, malgré l’apparente clarté du noir et du blanc, se brouillent sous le regard troublé, et des assauts des ombres invitant au voyage dans un imaginaire qui hésite à se révéler.
Mais voici, pour mieux illustrer les bégaiements de votre serviteur, une des meilleures illustrations de l’art de Kurt Fleischer, une Beauté voluptueuse (« zaftig beauty ») qui sème le trouble et suscite un véritable orage de désirs en faisant se briser les regards contre l’écueil impitoyablement dressé de l’ombre (à moins que l’ombre prometteur ne les attire avant de les absorber ?), une ombre qui drôlement ressemble à un corsage mettant en valeur les courbes de la belle plantureuse :
Après Joe Peck, Kurt Fleischer est le deuxième artiste américain à faire son entrée triomphale dans l’antre de votre serviteur avec une interprétation bien personnelle du sujet imposé à toutes et à tous, à savoir La belle Liseuse. Et je suis fier de cette globalisation à échelle bien personnelle qui me permet de révéler à mes lectrices et à mes lecteurs les richesses d’un art qui, porté par les réseaux sociaux, peut se revendiquer, plus que jamais, universel.
Comme bon nombre des beautés qui s’épanouissent sous le crayon de l’artiste texan, sa Belle Liseuse ne se révèle pas facilement. Le regard du spectateur, magnétisé par la riche toison qui s’étale en plein centre, comme le point de gravité autour duquel le monde aimerait tourner, bute contre les cuisses serrées, et le visage – prisonnier d’une autre toison qui, avec son fourmillement de traits blancs, n’est pas sans rappeler les serpents de la Méduse – invite à une contemplation assidue pour tenter de percer les barrières érigées autour de cette rêveuse. Une rêveuse qu’on devine en proie aux plaisirs saphiques que sa lecture récente lui aura révélés, partie pour un voyage auquel elle s’est sans aucun doute préparée, ne laissant rien au hasard, en se parant de ses bas-résille pour mieux se laisser happer par les fantasmes, pour mieux se faire bouffer la chatte par les créatures de luxure dont ses rêveries sans doute l’entourent.
Le style de cette petite illustration n’est pas sans rappeler les gravures sur bois qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, immortalisaient dans leurs splendeurs fatales les Salomé, Carmilla, Salammbô et autres belles dames sans merci dont l’époque raffolait au point d’inspirer jusqu’aux plus grands artistes, et Kurt Fleischer capte tellement bien l’esprit de cette époque qu’on imaginerait sans mal son hermétique créature se vautrer aux rythmes d’un poème rempli à ras bords d’un désir aussi langoureux que fatal :
O lips full of lust and of laughter,
Curled snakes that are fed from my breast,
Bite hard, lest remembrance come after
And press with new lips where you pressed.
For my heart too springs up at the pressure,
Mine eyelids too moisten and burn;
Ah, feed me and fill me with pleasure,
Ere pain come in turn.
(Algernon Charles Swinburne, Dolores (Notre-Dame des Sept Douleurs), 1866)
Je vous invite, mes chers lecteurs, à rendre visite à Kurt Fleischer, un artiste exceptionnel au coup de crayon insolite, pour profiter d’un univers qui vous permettra des échappées vers les profondeurs de votre propre pensée. Et si jamais vous cherchiez quelqu’un pour illustrer vos textes, voici un autre échantillon pour révéler toute la diversité de ce virtuose du crayon qui non seulement maîtrise le corps de la femme au point de l’entourer d’un mystère originel, mais qui sait créer des paysages qui, primordiaux, invitent à la contemplation du sublime.
