En-tête de la Bauge littéraire

Kurt Flei­scher, un artiste pour faire par­ler les ombres

Vous le savez tous, je suis en per­ma­nence à la recherche d’ar­tistes pour déco­rer ma sombre demeure. Et j’ai aujourd’­hui le bon­heur de vous révé­ler le nom du der­nier en date qui vient de contri­buer, ce matin même, une illus­tra­tion au fond déjà assez riche où la Bauge lit­té­raire puise ses en-têtes. Il s’a­git de Kurt Flei­scher, illus­tra­teur basé à San Anto­nio, et c’est, encore une fois, un tweet qui m’a mis sur la bonne voie. Un tweet adres­sé, comme par hasard, au compte de BD-Adultes :

@etrangesimages : tweet du 4 avril 2017 :
@etrangesimages : tweet du 4 avril 2017 : « tu as décou­vert les des­sins de @KurtFleischer »

Voir l’é­chan­tillon conte­nu dans ce bref échange et par­tir en expé­di­tion vers l’u­ni­vers numé­rique de Kurt Flei­scher ne furent qu’un, et ma curio­si­té, déjà pas­sa­ble­ment titillée par le tweet que je venais de décou­vrir, fut car­ré­ment mise en alerte décou­verte par une pré­sen­ta­tion où l’o­ri­gi­na­li­té se mêle au bizarre :

The Most High Auto­crat of The Elec­tric Straw­ber­ry, a one man illus­tra­tion & desi­gn stu­dio. Afi­cio­na­do of pop culture & pulp art in all its forms.

J’al­lais donc m’embarquer, à la suite de ce per­son­nage para­doxa­le­ment haut en cou­leur (mal­gré sa mani­feste pré­di­lec­tion pour le noir et blanc), vers des rives peu­plées par des créa­tures aus­si étranges que ravis­santes, des créa­tures qui ne tar­dèrent pas à me mettre sous le charme d’une drôle de sen­sua­li­té sobre voire amère qui se dégage de leurs traits sou­vent angu­leux, du jeu des lignes qui, mal­gré l’ap­pa­rente clar­té du noir et du blanc, se brouillent sous le regard trou­blé, et des assauts des ombres invi­tant au voyage dans un ima­gi­naire qui hésite à se révéler.

Mais voi­ci, pour mieux illus­trer les bégaie­ments de votre ser­vi­teur, une des meilleures illus­tra­tions de l’art de Kurt Flei­scher, une Beau­té volup­tueuse (« zaf­tig beau­ty ») qui sème le trouble et sus­cite un véri­table orage de dési­rs en fai­sant se bri­ser les regards contre l’é­cueil impi­toya­ble­ment dres­sé de l’ombre (à moins que l’ombre pro­met­teur ne les attire avant de les absor­ber ?), une ombre qui drô­le­ment res­semble à un cor­sage met­tant en valeur les courbes de la belle plantureuse :

Kurt Fleischer, Zaftig beauty (beauté voluptueuse)
Kurt Flei­scher, Zaf­tig beau­ty (beau­té voluptueuse)

Après Joe Peck, Kurt Flei­scher est le deuxième artiste amé­ri­cain à faire son entrée triom­phale dans l’antre de votre ser­vi­teur avec une inter­pré­ta­tion bien per­son­nelle du sujet impo­sé à toutes et à tous, à savoir La belle Liseuse. Et je suis fier de cette glo­ba­li­sa­tion à échelle bien per­son­nelle qui me per­met de révé­ler à mes lec­trices et à mes lec­teurs les richesses d’un art qui, por­té par les réseaux sociaux, peut se reven­di­quer, plus que jamais, universel.

À lire :
Rétrospective et aperçu

Comme bon nombre des beau­tés qui s’é­pa­nouissent sous le crayon de l’ar­tiste texan, sa Belle Liseuse ne se révèle pas faci­le­ment. Le regard du spec­ta­teur, magné­ti­sé par la riche toi­son qui s’é­tale en plein centre, comme le point de gra­vi­té autour duquel le monde aime­rait tour­ner, bute contre les cuisses ser­rées, et le visage – pri­son­nier d’une autre toi­son qui, avec son four­mille­ment de traits blancs, n’est pas sans rap­pe­ler les ser­pents de la Méduse – invite à une contem­pla­tion assi­due pour ten­ter de per­cer les bar­rières éri­gées autour de cette rêveuse. Une rêveuse qu’on devine en proie aux plai­sirs saphiques que sa lec­ture récente lui aura révé­lés, par­tie pour un voyage auquel elle s’est sans aucun doute pré­pa­rée, ne lais­sant rien au hasard, en se parant de ses bas-résille pour mieux se lais­ser hap­per par les fan­tasmes, pour mieux se faire bouf­fer la chatte par les créa­tures de luxure dont ses rêve­ries sans doute l’entourent.

Kurt Fleischer, Beautiful Reader / La belle Liseuse
Kurt Flei­scher, Beau­ti­ful Rea­der / La belle Liseuse

Le style de cette petite illus­tra­tion n’est pas sans rap­pe­ler les gra­vures sur bois qui, dans la deuxième moi­tié du XIXe siècle, immor­ta­li­saient dans leurs splen­deurs fatales les Salo­mé, Car­mil­la, Salamm­bô et autres belles dames sans mer­ci dont l’é­poque raf­fo­lait au point d’ins­pi­rer jus­qu’aux plus grands artistes, et Kurt Flei­scher capte tel­le­ment bien l’esprit de cette époque qu’on ima­gi­ne­rait sans mal son her­mé­tique créa­ture se vau­trer aux rythmes d’un poème rem­pli à ras bords d’un désir aus­si lan­gou­reux que fatal :

O lips full of lust and of laughter,
Curled snakes that are fed from my breast,
Bite hard, lest remembrance come after
And press with new lips where you pressed.
For my heart too springs up at the pressure,
Mine eyelids too moisten and burn;
Ah, feed me and fill me with pleasure,
Ere pain come in turn.
(Algernon Charles Swinburne, Dolores (Notre-Dame des Sept Douleurs), 1866)

Je vous invite, mes chers lec­teurs, à rendre visite à Kurt Flei­scher, un artiste excep­tion­nel au coup de crayon inso­lite, pour pro­fi­ter d’un uni­vers qui vous per­met­tra des échap­pées  vers les pro­fon­deurs de votre propre pen­sée. Et si jamais vous cher­chiez quel­qu’un pour illus­trer vos textes, voi­ci un autre échan­tillon pour révé­ler toute la diver­si­té de ce vir­tuose du crayon qui non seule­ment maî­trise le corps de la femme au point de l’en­tou­rer d’un mys­tère ori­gi­nel, mais qui sait créer des pay­sages qui, pri­mor­diaux, invitent à la contem­pla­tion du sublime.

Kurt Fleischer, La Chasse (The Hunt)
Kurt Flei­scher, La Chasse (The Hunt)