Julia Try­phi­na, Ama­ra ou Les Ténèbres

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Tryphina, Commie Pinup N° 1
Try­phi­na, Com­mie Pinup N° 1

Je ne vous apprends rien de nou­veau en vous disant qu’In­ter­net n’a rien d’un bloc mono­li­thique, mais que, sorte de Pro­tée moderne, il prend plu­tôt mille formes diverses pour se plier aux nom­breux usages que les inter­nautes vou­draient en tirer. Quant à votre ser­vi­teur, accro à la beau­té telle que les artistes savent la sai­sir à tra­vers leurs plumes et leurs crayons, j’a­dore me construire une véri­table gale­rie d’art à par­tir des nom­breux sites que je fré­quente avec assi­dui­té, quitte à y pas­ser des soi­rées entières. Mais rien n’é­gale le plai­sir de croi­ser la route d’un artiste capable de me faire reve­nir sur mes pas afin de contem­pler ses tra­vaux et de répondre aux inter­ro­ga­tions sou­le­vées par l’art.

Comme vous le savez sans doute, mes expé­di­tions artis­tiques ont sou­vent comme point de départ Deviant Art – site consa­cré à l’Art depuis de longues années – et nom­breux sont les artistes croi­sés sur ses myriades de pages. Des artistes dont j’ai ensuite évo­qué cer­tains dans les colonnes de la Bauge lit­té­raire, en géné­ral après avoir pu acqué­rir un des­sin pour déco­rer mon chez moi ou un en-tête pour rendre encore plus accueillante la Bauge. C’est ain­si que je suis tom­bé sous le charme des pin-ups de Joe Peck, des beau­tés pul­peuses de Cheun Chin et de l’é­lé­gance élan­cée des modèles de Josep Giró, pour ne citer que quelques-uns des artistes que j’ai eu le plai­sir de vous pré­sen­ter ces der­niers mois. Et voi­ci venu le tour d’une des­si­na­trice autri­chienne, Julia Try­phi­na, une jeune femme qui a eu le mérite de conqué­rir votre ser­vi­teur à tra­vers les charmes de ses « Pin-ups com­mu­nistes », une série de jeunes femmes à la beau­té aus­si simple qu’é­pous­tou­flante qui voient la vie en rouge – mal­gré le noir plu­tôt anar­chiste (Tiens, Julia, voi­ci un artiste à décou­vrir : Maître Golov, le natu­riste nihi­liste) de leurs accoutrements.

Julia Tryphina, Roads
Julia Try­phi­na, Roads

Avoir la tête tour­née par ces jeunes femmes et contac­ter l’ar­tiste ne furent qu’un, et si j’ai eu le mal­heur d’ap­prendre que le des­sin ori­gi­nal de Com­mie Pinup N° 1 était déjà par­ti, je ne me suis pas lais­sé décou­ra­ger pour autant et j’ai, au contraire, déci­dé de plon­ger au plus pro­fond de ses gale­ries sur Deviant, sur Pin­te­rest et sur Face­book afin de me faire une meilleure idée à pro­pos de cette artiste qui a su me faire sou­rire dès le pre­mier abord. Et j’ai décou­vert quel­qu’un qui sait exploi­ter à fond les oppo­si­tions entre le noir de l’encre et le blanc du papier, quel­qu’un qui, elle aus­si, réus­sit à « faire par­ler les ombres » – un peu à la manière de Kurt Flei­scher, immense artiste d’outre-Atlan­tique – et qui se sert du noir pour créer une beau­té qui brille à tra­vers les inter­stices d’un monde plon­gé dans le noir, des abysses lumi­neuses fis­su­rant l’é­cran des ténèbres. Il suf­fit de contem­pler Roads, chef d’oeuvre créé avec une rare éco­no­mie de moyens qui laisse per­plexe devant les effets spec­ta­cu­laires obte­nus grâce à à peine quelques lignes et quelques formes lan­cées comme un affront à la figure du noir obli­gé de recu­ler et de rendre de par son absence un éclat sin­gu­lier aux espaces déserts créés par l’art de Julia Try­phi­na pla­cée aux com­mandes d’un monde binaire.

À lire :
Christian Roos, Nu féminin

Super­na­tu­ral goes Vienna

Cer­tains par­mi vous suivent sans aucun doute les aven­tures de Dean et de Sam Win­ches­ter, deux frères embar­qués dans une sorte de road movie sur­réel depuis main­te­nant treize sai­sons, un enchaî­ne­ment d’a­ven­tures les unes plus impro­bables que les autres où les frères se frottent en per­ma­nence aux créa­tures mythiques, par­ti­ci­pant au conflit mani­chéen entre le bien et le mal qui, lui, ne cesse de gar­nir ses rangs des noms les plus illustres, dans une caval­cade d’a­po­ca­lypses qui ferait pâlir jus­qu’à Saint Jean lui-même. J’ai tou­jours été fas­ci­né par le savoir-faire des scé­na­ristes amé­ri­cains, mais c’est sans aucun doute dans Super­na­tu­ral que ceux-ci acquièrent une sta­ture de géants, se dépas­sant en conti­nu et fai­sant preuve d’une créa­ti­vi­té sans faille qui s’ins­pire de toutes les mytho­lo­gies pour plon­ger les frères Win­ches­ter dans des com­bats légen­daires, confé­rant aux pro­ta­go­nistes des dimen­sions épiques.

Supernatural - Amara ou The Darkness
Super­na­tu­ral – Ama­ra ou The Darkness

On dit sou­vent que le mal est bien plus inté­res­sant que le bien, une pla­ti­tude sou­vent citée pour expli­quer la fas­ci­na­tion créée par les chants consa­crés à l’En­fer dans la Divine comé­die du Dante, par rap­port au peu d’in­té­rêt sus­ci­té en géné­ral (en dehors des cercles aca­dé­miques, bien sûr) par les cycles consa­crés aux Limbes et au Para­dis. Rien ne serait pour­tant plus faux dans le cas de Super­na­tu­ral où les pro­ta­go­nistes ins­pirent une adhé­sion sans failles dans les rangs des adeptes, il suf­fit de par­cou­rir la Toile pour s’en­con­vaincre. Pour ce qui est de votre ser­vi­teur, pour­tant, je dois avouer que ce sont plu­tôt leurs adver­saires qui me fas­cinent. Peut-être qu’il faut, pour expli­quer cette fas­ci­na­tion à contre-cou­rant, men­tion­ner le fait que les forces des Ténèbres recrutent de pré­fé­rence des femmes ? Et comme on connaît l’a­mour incon­di­tion­nel que celles-ci ins­pirent à l’au­teur de ces lignes, il ne faut sans doute pas cher­cher plus loin. Quoi qu’il en soit, j’ai presque aus­si­tôt eu l’i­dée de deman­der à Try­phi­na le por­trait d’une de ces créa­tures aus­si mys­té­rieuses que pas­sion­nantes, et mon choix s’est arrê­té sur une des pro­ta­go­nistes de la sai­son 11, Ama­ra ou Les Ténèbres (aka The Dark­ness), une créa­ture sur­gie de la nuit des temps et plus vieille que l’u­ni­vers même – vu qu’A­ma­ra est la sœur aînée de Dieu. Dans la série, elle est inter­pré­tée, après avoir atteint l’âge adulte. par Emi­ly Swal­low, une actrice amé­ri­caine pré­sente dans un assez grand nombre de série sans pour autant y atteindre à la maî­trise dont elle a fait preuve en incar­nant Ama­ra. Pour le des­sin, Try­phi­na a choi­si de com­bi­ner les deux formes sous les­quelles Ama­ra se mani­feste, l’une cor­po­relle, humaine, qui la dis­tingue par sa noire che­ve­lure, ses grands yeux au fond d’é­normes cernes et un crâne tout en lon­gueur, angu­leux, qui confère à ses appa­ri­tions une hau­teur qui la détache avec une cruelle effi­ca­ci­té de celles et de ceux qui l’en­tourent, des marques phy­siques qui la font res­sor­tir, la sépa­rant de la foule. À côté de cette mani­fes­ta­tion cor­po­relle, sorte d’en­ve­loppe de chair dont Ama­ra se sert pour être capable de bou­ger sans se faire remar­quer dans l’U­ni­vers – la créa­tion de son frère qu’elle découvre au fur et à mesure de ses expé­di­tions et de ses ren­contres – elle ne dédaigne pas non plus de se mon­trer dans sa forme ori­gi­nelle, celle d’un nuage obs­cur aux reflets hui­leux qui englou­tit tout sur son pas­sage. Dans le des­sin de Try­phi­na, on voit donc Ama­ra se dres­ser dans sa forme humaine devant l’ombre ten­ta­cu­laire qui semble éma­ner d’elle et en même temps la pro­lon­ger, sépa­rée de la sil­houette humaine par une mince ligne blanche tou­jours mena­cée de s’ef­fa­cer. Ce trait exprime avec per­ti­nence la double nature de cet être sur­na­tu­rel, mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus dans cette inter­pré­ta­tion. J’ai déjà par­lé des cernes déme­su­rées qui semblent vou­loir englou­tir ses yeux – l’ar­tiste vien­noise a pro­fi­té de cette par­ti­cu­la­ri­té de la phy­sio­no­mie de son modèle pour mon­trer à quel point l’âge de cet être le place hors de toute com­mu­nau­té humaine – ou autre. Tan­dis que la tête se trans­forme imper­cep­ti­ble­ment en crâne, bran­dis­sant avec une rare effi­ca­ci­té l’é­ten­dard de la mort qu’elle sème sur son pas­sage (Et j’ai­me­rais atti­rer l’at­ten­tion de mes lec­teurs, en pas­sant, sur la res­sem­blance trou­blante entre Ama­ra et le Che­va­lier pale, un des quatre che­va­liers de l’A­po­ca­lypse, la Mort, incar­né dans la série par l’ac­teur anglais Julian Richings. Et qui connaît l’at­ten­tion minu­tieuse por­tée par les scé­na­ristes sur les moindres détails de l’in­trigue com­prend vite que cela ne relève en rien du hasard.). Et c’est avec une telle effi­ca­ci­té que Try­phi­na pro­fite des ambi­va­lences de son sujet pour sou­li­gner avec une rare élé­gance la proxi­mi­té entre la beau­té et la mort – qu’elle revient par là tout natu­rel­le­ment au sujet qui hante depuis si long­temps les ima­gi­na­tions – la femme fatale qu’elle fait rayon­ner de sa majes­té la plus sublime.

Julia Ttryphina, Amara or The Darkness
Julia Ttry­phi­na, Ama­ra or The Darkness
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95