Mise à jour : Ce n’est donc pas pour aujourd’hui, et Gallimard et Suhrkamp ne sonneront pas encore le glas du livre de poche. Je suis tombé dans le panneau, en prenant pour véridique une collaboration annoncée par M. Margantin et M. Gary (ce dernier directeur de publication du site renommé Actualitté). Je ne regrette pourtant pas d’avoir entamé une réflexion sur les conséquences qu’aurait une percée de l’ebook. Je vous invite à lire mon article : Histoire d’un avortement annoncé ou – Gallikamp n’aura pas lieu. Réponse à M. Margantin.
Le marché numérique sera marqué, dans les années prochaines, par l’arrivée massive de Gallimard et de Suhrkamp. D’après une info, répandue hier soir par le site Actualitté, les deux maisons phare de la littérature des deux côtés du Rhin, les Éditions Gallimard et Suhrkamp, célébrissime maison allemande qui compte à son actif non seulement des auteurs prestigieux mais aussi la tradition d’être au cœur des débats qui ont fait avancer l’Allemagne post-nazie dans le chemin d’une société ouverte et libérale, auraient décidé de conjuguer leurs efforts dans une collaboration transfrontalière sans précédent pour, pour reprendre les propres mots de Mme Unseld-Berkewicz, « faire disparaître toute collection de poche de notre catalogue » (cf. l’article cité d’Actualitté). Et ce but, ils comptent l’atteindre en numérisant leurs catalogues respectifs et en offrant les ebooks à des prix défiant toute concurrence, entre « 1 et 4 euros » (cf. art. cit.). Cette ambiance n’est pourtant pas née d’un surcroît de volonté philanthropique, mais du constat que les prix élevés des livres numériques n’ont que fait encourager le piratage et l’émergence de « nouvelles maisons d’édition numérique » (cf. art. cit.). L’effort herculéen serait donc la réalisation de la vieille maxime que l’attaque est la meilleure offensive. Mais il est intéressant de constater que la concurrence se trouve visée au même titre que les pirates, ce qui en dit long sur la perception de cette même concurrence par les analystes des grandes maisons, qui, apparemment, les perçoivent comme une sérieuse menace, tandis que le très grand nombre de ces petites maison, le plus souvent des pure players, rament quotidiennement pour survivre et dépendent de la bonne volonté de leurs équipes respectives et de leurs auteurs plus que des fonds ramassé auprès des trop rares lecteurs, qui restent une denrée rare, malgré l’écho grandissant qu’obtiennent les publications numériques sur les réseaux sociaux et dans la blogosphère.
Mais que signifie donc la volonté affichée de ces deux über-éditeurs de s’engager à fond dans le numérique ? Dans l’immédiat, on ne devrait pas voir beaucoup de changements concrets, puisqu’il faut compter un certain temps pour mettre en place une infrastructure capable de soutenir le bouleversement escompté. Mais on peut parier sur un certain effet d’imitation des autres maisons « classiques » qui ne voudraient pas rater la correspondance vers l’avenir. Quant au piratage, on peut effectivement espérer de le voir reculer, quand le prix n’est plus un obstacle significatif qui, actuellement encore, fait reculer plus d’un acheteur qui se demande pourquoi il devrait dépenser pratiquement la même somme pour un « livre » très souvent entravé par des DRM abusifs.
Quel avenir est réservé aux maisons numériques ?
La question la plus lourde de conséquences est celle que doivent se poser, d’un côté, ces nouvelles maison mentionnées par Mme Unseld-Berkewicz, qui ont misé sur le numérique et qui ont au moins réussi à faire peur aux grands. Est-ce qu’elles pourront survivre dans un marché où elles seront assaillies de tous les côtés à la fois, et notamment sur celui de la qualité formelle des textes qui laisse trop souvent à désirer ? Sur quels moyens compter pour conserver l’estime des auteurs auxquels elles ont donné la parole, et des lecteurs auxquels elles ont prêté une oreille attentive et à qui elles ont montré de nouvelles voies ? Il n’y a pas de réponse toute faite à de telles questions, et il faudra s’attendre à voir disparaitre un certain nombre de ces maisons, avalées dans le meilleur des cas par la nouvelle concurrence des établis. Un moyen réaliste consisterait peut-être à renforcer la collaboration, ce qui permettrait de réunir les moyens, et d’offrir de meilleurs services aux auteurs ainsi qu’aux lecteurs. Mais on sait que, dans ce domaine bien particulier ou les résultats atteints se mesurent dans la plupart des cas par une relation inverse à la grandeur des égos, il est bien difficile de convaincre les acteurs de renoncer à une indépendance souvent plutôt imaginaire que réelle.
Et les acteurs du livre ?
Considérons maintenant, de l’autre côté, un secteur qui risque de souffrir d’importants dégâts, un bémol qu’il ne faudrait pas passer sous silence. Un grand nombre de ceux qui travaillent à la réalisation physique des livres, dans la distribution et dans les librairies perdront sans doute leurs places dans un environnement davantage tourné vers le numérique. Cette situation ressemble par bien des égards à celle dans l’imprimerie classique dans les années 80, dont le déclin, accompagné de grèves d’une grande envergure, a pourtant été aussi impitoyable qu’irréversible. Le seul moyen qui peut se concevoir, et le seul conseil qu’on puisse envisager, c’est de miser dès maintenant sur l’avenir numérique du livre et d’embrasser un changement qu’ils ne sauront entraver. Parce que, les connaissances peuvent s’acquérir, et les expériences acquises peuvent toujours servir à enrichir des métiers encore jeunes et sans tradition.
Quoi qu’il en soit, les mois et les années à venir seront très intéressants, du point de vue de tous les acteurs de la chaîne du livre. Reste à espérer que la brise fraîche qu’ont fait naître de nouvelles maisons comme Numériklivres, Edicool, Walrus, publie.net et tant d’autres ne s’éteindra pas tout simplement sous les feux croisés des Anciens. Parce que ces vieilles machines de guerre sont loin d’être aussi splendides que les reluisantes cuirasses de leurs nouveaux guerriers numériques pourraient le faire croire. Les auteurs ont acquis un rôle bien autrement important dans les champs numériques que dans l’édition traditionnelle. Très souvent au dépens du montant des droits d’auteurs, mais au profit de leurs textes moins soumis aux volontés de comités de lectures inaccessibles sur l’Olympe entouré des brumes de la « ligne éditoriale ».
Des capacités recherchées
Une chose pourtant est certaine. Ceux qui voudraient prospérer dans un environnement numérique auront besoin de connaissances et de capacités négligées jusque-là. Et celles-ci, on les trouve du côté des petites maison numériques. On peut donc compter qu’un grand nombre de nouveaux collaborateurs entrera d’ici peu dans les rangs ennemis. Et, forts de leurs expériences acquises dans un environnement dynamique, moderne et tourné vers l’avenir, ils pourront sans doute y contribuer à faire évoluer même les géants. Qui sortiront peut-être enfin de leurs bulles sclérosées et permettront aux herbes, fussent-elles mauvaises ou folles, de fleurir à côtés des grands noms chéris par les Gallimard, Unseld & Cie.
6 réponses à “Gallimard et Suhrkamp, sonnent-ils le glas du livre de poche ?”
Merci pour ta reflexion ! Reste que si Gallimard et SuhrKamp n’ont pas leur liseuse et ereader, ils n’auront pas plus de pouvoir que les petites maisons numériques face aux plateformes des États-Unis et du Canada. Leur seule difference sera la grosseur du catalogue et reposera sur les classiques ! Alors pour l’innovation on pourra compter sur les purs players et les auto-éditées ! ;-) Et les ebooks risquent de devenir encore moins chers ! ;-)
Et pourtant, c’est là une différence de taille :-) J’espère sincèrement que les petites maisons sauront garder une place. Et le rôle des auto-édités ne pourra que grandir avec des plateformes comme celle offerte par Amazon. Je me souviens d’un article d’Actualitté comme quoi la SF américaine est déjà en grande partie dominée par les auteurs auto-édités.
Quant aux liseuses, je ne vois pas vraiment les éditeurs développer leurs propres engins, il me semble que les cartes sont jouées. À moins d’embarquer un des constructeurs émergents chinois, qui fabriquent d’excellentes tablettes 7 pouces à des prix dérisoires.
Chacun son métier. Je ne crois que ce soit le rôle d’un éditeur de faire des liseuses. En revanche, je crois que sa priorité doit être de créer un contenu bien adapté à l’écosystème de la lecture numérique, ce qui est loin d’être le cas pour le moment puisqu’on on essaye de calquer la chaîne du livre sur le numérique or c’est une erreur fondamentale. Dans le numérique, la valeur du support importe peu, c’est un accés à la lecture qu’il faut valoriser et promouvoir.
Ce qui importe, à mon avis, c’est de mettre au point des outils qui permettent de créer des ebooks qui
1°s’affichent sur tous les supports et qui
2° valorisent, à côté de celui des auteurs, le travail des illustrateurs et des graphistes.
Défi pas facile à relever, vu le temps qu’il a fallu avant de voir l’arrivée d’outils convenables pour créer un site web.
Ce que je saisis pas c’est pourquoi vouloir faire disparaître les poches ? Pourquoi tuer et non enrichir l’offre ? Moi, je veux du numérique ET du poche. C’est dingue ça qu’on nous impose de renoncer à nos propres choix
Il faudrait poser la question aux responsables derrière une telle décision, mais j’imagine que c’est pour éviter des structures dédoublées ? Pour faire des économies sur les coûts du personnel ?