Cla­ra Vane­ly, Le cabi­net des ombres : Les Fleurs du Mâle

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Il suf­fit de feuille­ter le cata­logue de Wal­rus Ebooks pour com­prendre que l’é­quipe du Morse raf­fole de séries. Ce n’est pas que les one shots y seraient aux abon­nés absents, mais, pour faire vrai­ment plai­sir à ce mam­mi­fère marin, il faut qu’on lui jette en pâture un ouvrage qui se décline en plu­sieurs livrai­sons. Le der­nier exemple en date de cette pré­di­lec­tion affi­chée est four­ni par un titre de Cla­ra Vane­ly, Les fleurs du Mâle, pre­mier épi­sode de la série Le Cabi­net des Ombres.

Tout se passe dans un décor qui res­semble assez fort au Paris des années 70 du XIXe siècle, un Paris sous la pré­si­dence de Mac Mahon et au moins en par­tie sous contrôle prus­sien. Un Paris où évo­luent des êtres venus d’ailleurs, ori­gi­naires de la mys­té­rieuse Alterre et exi­lés dans nos parages pour des rai­sons qui res­tent, pour le moment, incon­nues : les Rêveurs. Ceux-ci res­semblent très for­te­ment à nous autres, sauf que dans leurs veines coule, à la place du sang, l’ichor, et qu’ils maî­trisent quelques tours de main qui jouent plu­tôt en leur faveur, comme l’évo­ca­tion, une sorte de magie leur per­met­tant de mani­pu­ler la réa­li­té en maté­ria­li­sant des objets. Le lec­teur réa­lise, au fur et à mesure des cha­pitres, que ces Rêveurs sont assez nom­breux par­mi nous pour consti­tuer une véri­table socié­té paral­lèle avec ses propres ins­ti­tu­tions et ses propres lois. Mais, et voi­ci le coup d’en­voi de l’in­trigue et des enquêtes d’Er­nest Bonen­fant, Rêveur lui aus­si  : « il ne fait pas bon avoir de l’ichor dans les veines ces der­niers temps » [1]Les Fleurs du Mâle, cha­pitre IX – Le don, comme Camille Clau­del le résume si bien et de façon si brillam­ment laco­nique face à l’as­sas­si­nat d’un des leurs, le dépu­té Cour­cy. Oui, vous avez bien lu, Camille Clau­del aus­si en est, tout comme son ancien amant, Auguste Rodin. J’y revien­drai, mais ce qui importe de savoir, pour l’ins­tant, c’est que Cour­cy n’est pas le seul à dis­pa­raître dans des condi­tions sus­pectes, ce qui incite le Pro­cu­ra­teur – sorte de magis­trat qui réunit sous son auto­ri­té les Rêveurs d’une région don­née – à lan­cer une enquête confiée au Sieur Bonen­fant sus-men­tion­né, per­son­nage quelque peu trouble. On devine aisé­ment que l’en­quête en ques­tion, mal­gré tous les efforts déployés par Bonen­fant, se heurte au fait qu’on ne se trouve qu’au tout début d’une série à peine lan­cée, et que l’au­teur aus­si bien que l’é­di­teur ont un inté­rêt pro­non­cé à la voir pour­suivre son bon­homme de che­min et de lever un grand nombre de lec­teurs avides de voir au-delà du cliff­han­ger d’u­sage et de connaître la suite de l’a­ven­ture. Cla­ra Vane­ly adhère stric­te­ment aux usages du genre et se montre impi­toyable envers ses lec­teurs qu’elle délaisse, tout comme ses per­son­nages, au milieu d’une scène de déso­la­tion, dans les décombres d’une vil­la soi­gneu­se­ment pillée par le grand méchant loup du récit, à savoir le cri­mi­nel Cesare Cor­tese, aus­si cruel que célèbre, un être dont on devine qu’il occu­pe­ra le pre­mier rang des épi­sodes futurs.

À lire :
Erika Sauw, Désirs de nymphes

Le lec­teur aura rete­nu qu’Au­guste Rodin aus­si est impli­qué dans l’in­trigue. Encore qu’il fau­drait sans doute pré­ci­ser qu’il s’a­git plu­tôt d’une de ces créa­tions, à savoir la Porte de l’en­fer, gar­dée par Camille dans la vil­la des Brillants, demeure du Rodin his­to­rique que Mme Vane­ly se plaît à livrer aux pilleurs de Cor­tese. Qui s’in­té­resse de très près à cette Porte, parce que celle-ci semble être plus qu’une œuvre d’art et réel­le­ment don­ner accès à des endroits mal­heu­reu­se­ment incon­nus encore.

Auguste Rodin, La Porte de l'enfer
Auguste Rodin, La Porte de l’en­fer (détail). Cré­dit pho­to­gra­phique : Wal­ly Gobetz

J’ai lais­sé com­prendre que le Paris évo­qué dans le texte res­semble assez fort au Paris des débuts tour­men­tés de la Deuxième Répu­blique. Mais il faut peut-être pré­ci­ser que l’au­teure a pris ses liber­tés avec la réa­li­té his­to­rique. L’oc­cu­pa­tion prus­sienne de la France a pris  fin après le paie­ment des répa­ra­tions, en 1873. Mac Mahon a été élu pré­sident en 1873 et a démis­sion­né six ans plus tard, en 1879. Entre ces deux dates, il n’y a eu qu’une seule Expo­si­tion uni­ver­selle à Paris, celle de 1878. Mais ce n’est pas avant 1879 qu’Au­guste Rodin a reçu la com­mande pour la Porte de l’En­fer, pré­vue à l’o­ri­gine pour le Musée des arts déco­ra­tifs. On com­prend donc très vite que, mal­gré des noms qui ne choquent pas dans le contexte tem­po­rel, tout cela ne cadre pas avec la réa­li­té his­to­rique. Et voi­ci pré­ci­sé­ment un des pro­cé­dés du steam­punk, genre qui adore les décors vague­ment XIXe, vic­to­riens ou édouar­diens de pré­fé­rence, s’empare de la réa­li­té et lui donne un coup de pouce afin de créer des décors tou­jours plus déjan­tés. Un pro­cé­dé qui demande à l’au­teur une grande fami­lia­ri­té avec l’é­poque, sur­tout avec son côté maté­riel, ce qui ne pose pas la moindre dif­fi­cul­té à Cla­ra Vane­ly, il suf­fit pour s’en rendre compte de relire les pas­sages consa­crés à la pho­to­gra­phie dont Bonen­fant est un adepte.

À lire :
Michel Torres, L’étang d’encre. La Saga de Mô, t. 3

On est à peine entré dans l’u­ni­vers des Rêveurs, mais on aime­rait déjà savoir, un peu comme les enfants avant Noël, quelles sur­prises archéo-tech­no­lo­giques Mme Vane­ly nous a concoc­tées pour la suite. Une remarque qui vaut aus­si pour l’in­trigue, parce que, mal­gré une cer­taine confu­sion qui s’empare du lec­teur face au voca­bu­laire quelque peu éso­té­rique [2]Le lec­teur peut se faci­li­ter l’ac­cès au monde des Rêveurs en consul­tant, sur la page des Arches de verre, les articles du Dic­tion­naire Rodin de l’É­ther et de l’Outre du XIXème siècle, … Conti­nue rea­ding que manie l’au­teure pour décrire l’u­ni­vers des Rêveurs, on finit par s’in­té­res­ser de près à la suite des évé­ne­ments, par s’ac­cro­cher aux pro­ta­go­nistes et à leurs aléas, et on aime­rait tout sim­ple­ment connaître la suite pour péné­trer plus loin dans cet uni­vers fascinant.

Un mot, avant de conclure, à pro­pos de l’Aver­tis­se­ment qui non seule­ment ouvre le texte, mais le place en même temps sous les aus­pices du grand ponte de la lit­té­ra­ture roman­tique, Vic­tor Hugo. Celui-ci, on se sou­vient, raconte com­ment une vieille ins­crip­tion, un seul mot en grec ancien, lui a ser­vi de point de départ pour construire Notre-Dame de Paris. Cla­ra Vane­ly adopte ce pro­cé­dé, sauf que son ins­crip­tion à elle est réso­lu­ment plus moderne, écrite dans la langue de Sha­kes­peare qu’on voit fleu­rir sur les murs des cités et les rames du métro : We move fast. Beau pro­cé­dé de la part de l’au­teure qui illustre, d’un coté, sa fami­lia­ri­té avec une époque qu’elle décons­truit avec une éton­nante faci­li­té pour façon­ner les mor­ceaux du puzzle lit­té­raire qu’elle nous offre, et qui, de l’autre, y fait souf­fler une brise de moder­ni­té qui pro­pulse le récit loin au-delà de ses racines historiques.

Cla­ra Vane­ly
Le cabi­net des ombres
Épi­sode #1 : Les Fleurs du Mâle
Wal­rus Ebooks
ISBN : 978–2363762528

Clara Vanely, Le Cabinet des Ombres, épisode #1 : Les Fleurs du Mâle

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Les Fleurs du Mâle, cha­pitre IX – Le don
2 Le lec­teur peut se faci­li­ter l’ac­cès au monde des Rêveurs en consul­tant, sur la page des Arches de verre, les articles du Dic­tion­naire Rodin de l’É­ther et de l’Outre du XIXème siècle, dic­tion­naire que j’ai bête­ment décou­vert au moment de rédi­ger cet article…
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

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