
Le camping donc – les vacances sous le soleil, le plus souvent en bord de mer, les feux de camp, les bouteilles de rouge achetées à la supérette, l’ambiance qui, loin des obligations, se détend, et qui, à mesure que les mains et les doigts se rapprochent, se charge de tension érotique. Ensuite, les nuits rythmées par le bruit des vagues, les rêves dont on se réveille en sursaut, les culottes trempées ou couvertes de tâches révélatrices… Voici bien des clichés, je sais, mais comme il s’agit de vous faire rêver, mes chères lectrices, mes chers lecteurs, et que je me suis proposé de vous faire baver rien qu’en imaginant les chairs qui se dévoilent pour ensuite se couvrir de toutes sortes de sécrétions, les yeux rayonnant de lubricité et d’envie, les langues qui se cherchent pour donner une première idée des plaisirs que la soirée réserve aux couples qui viennent de se former, des chevauchées improvisées sous la tente ou sur le sable, le tout entouré par la magie des découvertes et – qui sait ? – peut-être même celle des premières fois – comment face à cela ne pas céder à l’envie de vous enlever au pays de cocagne des fantasmes qui, même s’ils ne s’assument pas toujours, pimentent mainte soirée solitaire. Et pourquoi refuser d’imaginer que des liens puissent se nouer, à l’improviste, assez forts pour donner envie de se moquer des conventions et des qu’en dira-t-on, assez passagers pour permettre à tout un chacun d’éviter les catastrophes sentimentales et – le cas échéant – ménagères. Quoi de plus beau que ces fantasmes si intimement liés à l’idée des vacances, ces rites de passage dont le charme se fige dans le souvenir, parfois au point de devenir une obsession remontée du passé lointain pour nous hanter.
Vous l’aurez compris depuis longtemps, votre serviteur est un inconditionnel de la Plage et de ses charmes – et bien davantage encore des charmes qui s’y dévoilent – comment donc imaginer qu’il puisse résister à un titre aussi prometteur que Vices au camping ? Et la résistance devient impensable – Resistance is futile, non ? – quand il s’agit d’un titre tiré des mille et un trésors patiemment rassemblés par Média 1000, cette collection où le souffle d’Esparbec continue à allumer les braises d’un érotisme qui n’a pas honte de se réclamer de sa grande sœur, la pornographie décomplexée née du vent de liberté qui chassait les relents des années d’après-guerre où les censeurs et les tribunaux encore veillaient sur les mœurs.
Avec Vices au camping, Dynamite propose au public avide de sensations fortes la réédition en numérique d’une BD initialement parue en 1998 dans la collection « Confessions érotiques BD » des éditions Média 1000, réalisée par Chris, un dessinateur qui s’était taillé une solide réputation dans le domaine érotique depuis le début des années 80 avec des séries aux titres sulfureux tels que Angie, infirmière de nuit ou Miss Bondy [1]Merci à Nicolas Cartelet des Éditions la Musardine pour ces précisions.. Si Chris a pu être remarqué pour « son goût pour la soumission » ou ces personnages « adeptes du sadomasochisme […] ou de la jouissance dans la douleur » [2]Cf. Henri Filippini, L’Encyclopédie de la BD érotique, p. 87, Vices au camping aborde les délices de la chair sous un autre angle, à savoir celui de la découverte et de l’initiation. Sous nos yeux se déroule l’histoire de Brigitte et de Lucie qui, le bac en poche, se paient quelques semaines de liberté avant d’intégrer la fac. Un scénario des plus classiques quand il s’agit de créer un espace de liberté propice à l’épanouissement des sens. Les deux filles débarquent sur une aire de camping à côté de Bordeaux, avec derrière elles le bac avec son cortège d’épreuves et ses années de travaux et de contrôles et devant l’immensité d’un horizon lumineux de quatre semaines de vacances et d’un avenir rayonnant de toutes ses promesses. Voici donc deux jeunes créatures ravissantes jetées dans un espace de liberté dont, du haut de ses dix-huit ans, on ne voit pas la fin, dont on ne conçoit même pas qu’il puisse se limiter dans le temps, que jamais il puisse y avoir autre chose que cette liberté et ce concentré d’univers en puissance qui, les uns plus accueillants que les autres, s’ouvrent à toutes les aspirations. Et quand on a cet âge-là, comment imaginer de liberté plus prometteuse que celle de faire des rencontres ? De remplir cet espace de tendresse, du bruit des lèvres collées les unes aux autres, des soupirs rythmant le progrès des mains sur la peau, le clapotis des chairs mouillées envahies par des doigts entreprenants dont les poussées rythmiques préparent la voie au plaisir.
Quant à Lucie, la belle brune aux allures de garçonne avec ses cheveux bouclés taillés court et son esprit de conquérante, elle ne laisse pas planer de doutes quant à ses intentions quand elle annonce à Brigitte – blonde plantureuse dont il s’agira de vaincre les réticences – qu” « on va vite se faire des amis » [3]Vices au camping, p. 10. Des paroles dont on peut se demander si elles sont prophétiques ou tout simplement banales vu que la présence de deux belles femmes disposant de tels atouts ne manque jamais d’attirer du mâle, et d’autant plus dans une ambiance où les mœurs se libèrent de leurs contraintes au même rythme que les chairs, des vêtements. Quoi qu’il en soit, deux étalons se ramènent à l’instant même pour proposer leur secours – et leur compagnie – aux demoiselles en question. Une proposition que Lucie accepte aussitôt sans demander son avis à sa copine qui, malgré ses réserves, se laisse quand même entraîner par celle qu’elle a introduite comme sa « meilleure amie ». Et comment ne pas faire confiance à sa meilleure amie ?

Le ton du récit est donné dans ces quelques pages, et on verra désormais Brigitte – à demi entraînée, à demi consentante pour le dire avec le jeune Goethe[4]dans une ballade composée en 1778, Le Pêcheur – suivre l’exemple de sa copine, parfois poussée par une bonne dose de curiosité, parfois quelque peu bousculée par la belle brune, soutenue à l’occasion par la copine lesbienne de celle-ci qui ne demande pas mieux que de briser les réticences de la blonde bien en chair et de l’initier aux plaisirs saphiques. Mais n’imaginez quand même pas, chers lecteurs, chères lectrices, que les beaux mâles des premières pages soient ensuite dédaignés, ce serait mal connaître l’appétit des deux demoiselles qui, les corps en chaleur et les sens enflammés, comptent se servir de tout ce que la nature leur met sous les bouches et entre les cuisses.
Je ne pense pas qu’il faille vous faire un dessin – Chris s’en est déjà chargé – pour vous faire entrevoir le festival des sens qui vous attend dans ces quelques 150 pages consacrées à la joie – parfois un peu trouble, il est vrai – qu’éprouvent ces jeunes femmes face au désir et à la tentation, un défi qu’elles finissent toutes par relever pour le plus grand plaisir du lecteur qui se laisse volontiers embarquer, bercé par des souvenirs ou des visions dont on n’arrête jamais d’espérer qu’elles puissent, du bout des fantasmes, nous tendre une main pour un voyage vers cette « terre des nuits chaudes et langoureuses » sortie des flots pour accueillir les jeux des « filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses, [qui] caressent les fruits mûrs de leur nubilité… »[5]Vers tirés d’un poème de Charles Baudelaire, Lesbos.
La sensualité du récit est bien servie par les traits sobres de Chris qui pare ses protagonistes d’une beauté presque statuaire, conférant à ses dessins une tension née par l’opposition entre les chairs palpitantes de ses jeunes filles en fleur et la beauté éternelle et polie du marbre qui attend son Pygmalion. Et il rend à merveille les doutes et les remises en question de la belle Brigitte qui, forte de sa curiosité et de ses désirs, refuse de se laisser réduire au rôle de la beauté effarouchée en se lançant à pleine allure entre les bras et les cuisses grands ouverts de ses compagnes. Tout en prenant appui sur les queues dressées autour d’elle pour prendre son élan.
J’ai du mal à imaginer un meilleur point de départ pour la saison estivale que ces Vices au camping, invitation au voyage que je me permets de vous proposer à quelques semaines du grand départ pour une mise en bouche des plus délicieuses. À vos fantasmes, donc !
Chris
Vices au camping
Média 1000
ISBN : 9782362343940
Références
↑1 | Merci à Nicolas Cartelet des Éditions la Musardine pour ces précisions. |
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↑2 | Cf. Henri Filippini, L’Encyclopédie de la BD érotique, p. 87 |
↑3 | Vices au camping, p. 10 |
↑4 | dans une ballade composée en 1778, Le Pêcheur |
↑5 | Vers tirés d’un poème de Charles Baudelaire, Lesbos. |