Bran­doch-Daha – un artiste canadien

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Comme vous le savez peut-être, beau­coup d’ar­tistes s’ins­pirent de pho­tos de célé­bri­tés pour exer­cer leurs talents et peau­fi­ner leur tech­nique. Un beau jour, j’ai eu l’i­dée de voir s’il n’y avait pas d’i­mages (tableaux, des­sins, aqua­relles et j’en passe) ins­pi­rées par Rachel Bloom, pro­ta­go­niste (et pro­duc­trice) de Cra­zy Ex-Girl­friend, une femme qui allie une beau­té tout en ron­deurs à une intel­li­gence pétillante comme les meilleurs crus de cham­pagne, une fémi­niste qui sait allier mili­tan­tisme et auto-ridi­cu­li­sa­tion. Éton­né, j’ai dû consta­ter qu’il n’y en avait pra­ti­que­ment pas, mal­gré le grand nombre de pho­to­gra­phies dis­po­nibles sur la toile. J’ai donc déci­dé de prendre l’i­ni­tia­tive en met­tant mes amis artistes sur la piste et en les invi­tant à se lan­cer. Pen­dant des semaines, que dalle, à croire que le sujet ne pas­sion­nait per­sonne ou que j’é­tais deve­nu invi­sible. Mais voi­ci que, pas plus tard qu’­hier, Jef­frey M. Bain aka Bran­doch-Daha met en ligne un com­men­taire où figure l’i­mage qu’il venait de ter­mi­ner. Le moyen de résis­ter au style de Bran­doch-Daha – un style que j’ap­pré­cie énor­mé­ment pour la clar­té bru­meuse, si vous me per­met­tez cet oxy­more, qu’il sait don­ner à ses tableaux – mis au ser­vice d’une déesse comme Rachel Bloom ? Impos­sible. C’est ain­si que je me retrouve l’heu­reux pro­prié­taire de cette petite mer­veille qui désor­mais trou­ve­ra sa place au milieu des en-têtes de la Bauge lit­té­raire – et sur le mur de mon salon dès que j’au­rai trou­vé un impri­meur qui m’ins­pire confiance. Et voi­ci, en guise d’ou­ver­ture, le petit tableau créé à la demande de votre ser­vi­teur. Un tableau tel­le­ment beau à tra­vers sa modes­tie, sa rete­nue et son élé­gance tout en sépia que j’en suis aus­si­tôt tom­bé amoureux.

Brandoch-Daha, Rachel Bloom
Bran­doch-Daha, Rachel Bloom (after Matt Doyle)

Je vous vois venir, mes chers lec­teurs, vous fini­rez par croire que le modèle n’y est pas pour rien dans cette effer­ves­cence sen­ti­men­tale, et je serai obli­gé de l’ad­mettre. Mais com­ment ne pas dres­ser des autels à l’hon­neur d’une telle déesse ? Si vous aviez le mal­heur de ne pas connaître Rachel Bloom, comé­dienne, autrice, pro­duc­trice et j’en passe, je vous conseille de la décou­vrir à tra­vers un article que je lui ai consa­cré il y a quelques mois, article ins­pi­ré par un clip que Rachel a de son côté dédié à Ray Brad­bu­ry à l’oc­ca­sion de ses quatre-vingts ans.

Quoi qu’il en soit de la beau­té de Rachel Bloom, aujourd’­hui, c’est le des­sin réa­li­sé pour la Bauge lit­té­raire qui me four­nit fina­le­ment l’oc­ca­sion de consa­crer un article rien qu’à Bran­doch-Daha, un artiste dont le talent est loin de se bor­ner à l’é­ro­tisme, même si c’est ce domaine par­ti­cu­lier qui, vous l’i­ma­gi­nez, m’a fait sor­tir de ma sombre demeure. Bran­doch-Daha n’est d’ailleurs pas un incon­nu pour les fidèles de la Bauge lit­té­raire : Il y a quelques semaines, je vous ai par­lé de mes expé­di­tions artis­tiques dans les riches contrées de Deviant Art, et c’est pré­ci­sé­ment cet artiste cana­dien qui m’a per­mis de pui­ser dans les réserves de sa gale­rie en ligne pour illus­trer l’ar­ticle en ques­tion. Mais si j’y ai ren­du hon­neur à un « style effa­cé aus­si bien qu’efficace » et au « scin­tille­ment des contours [qui] pro­duit un effet des plus invrai­sem­blables », ce por­trait est loin d’être com­plet, et je tiens aujourd’­hui à rem­plir quelques lacunes en pré­sen­tant des côtés peut-être encore plus sédui­sants de cet artiste polyvalent.

Un éro­tisme riche et varié

L’é­ro­tisme et le nu sont omni­pré­sents dans l’œuvre de Bran­doch-Daha, il suf­fit de par­cou­rir sa gale­rie pour s’en convaincre. On y trouve des poses plu­tôt tra­di­tion­nelles – des femmes allon­gées ou des femmes pré­sen­tant leur buste – des poses plus osées – des femmes vue de der­rière avec par­fois en pleine vue les lèvres de leurs vagins – et par­fois même de l’in­dé­cence, comme cette Josie prise en fla­grant délit d’ex­hi­bi­tion de chatte, posi­tion dont l’in­dé­cence est ren­due presque inquié­tante encore par l’ex­pres­sion d’un bon­heur calme qui se lit sur son visage :

À lire :
B - comme Bradbury, B - comme Bloom et B - comme Baise
Brandoch-Daha, Josie sur des draps au motif floral
Bran­doch-Daha, Josie sur des draps au motif floral

On peut se deman­der quel serait l’a­vis des cen­seurs de Man­ches­ter face à un tableau aus­si joyeu­se­ment indé­cent et por­no­gra­phique. Après tout, une femme qui s’offre aux regards du pre­mier venu, on a l’im­pres­sion que c’est deve­nu un sujet tabou au nom d’un cer­tain com­bat. Mais que diraient celles et ceux qui ont essayé de faire enle­ver un tableau de Bal­thus des cimaises de la Met si on leur en mon­trait un comme la Jeune fille aux bas bleus avec plante et orange ? Le sujet, ran­ge­rait-il l’ar­tiste dans le bataillon des « infré­quen­tables », aux côtés des Bou­cher, Bal­thus, Kirch­ner & Cie. qui ont osé peindre des ado­les­centes dans des poses équi­voques ? Ce qui, vous en convien­drez, consti­tue pré­ci­sé­ment une grande par­tie du charme de leurs tableaux.

Brandoch-Daha, Jeune fille aux bas bleus avec plante et orange
Bran­doch-Daha, Jeune fille aux bas bleus avec plante et orange

Quant à la Jeune fille aux bas bleus, Il n’y a rien dans ce tableau qui per­mette de pré­ci­ser l’âge de cette ravis­sante ado­les­cente, mais on peut au moins se deman­der si elle a déjà fran­chi le cap de « l’âge du non-consen­te­ment » qui se dis­cute si âpre­ment en France au moment où j’é­cris mon article. Certes, les seins ne sont pas ceux d’une enfant, mais est-ce que qui­conque réus­si­rait à la pla­cer avec pré­ci­sion sur une gamme allant de treize à dix-neuf ans ?

Egon Schiele, Nu aux bas verts
Egon Schiele, Nu aux bas verts

Et puis, pro­vo­ca­tion sup­plé­men­taire, l’at­ti­rail réduit à l’ex­trême (rien que des bas) de la jeune femme rap­pelle celui des pros­ti­tuées [1]Cf. aus­si le compte-ren­du de l’ex­po­si­tion qui s’est tenue, du 22 sep­tembre 2015 au 17 jan­vier 2016, au Musée d’Or­say, Splen­deurs et misères. Images de la pros­ti­tu­tion, 1850–1910. qu’on croise si sou­vent sur les tableaux de Degas, de Tou­louse-Lau­trec ou encore de Picas­so, et le motif est sans aucun doute à rap­pro­cher de celui immor­ta­li­sé par Egon Schiele dans son Nu aux bas verts. Faut-il d’ailleurs rap­pe­ler que l’ar­tiste autri­chien a dû pas­ser quatre semaines en pri­son suite à des reproches de por­no­gra­phie ? Quoi qu’on puisse pen­ser des inten­tions de Bran­doch-Daha, son modèle, indé­pen­dam­ment de toutes les inter­pré­ta­tions pos­sibles, peut se ran­ger sans rou­gir par­mi les Loui­son, les Frän­zi, les Thé­rèse et toutes les autres Loli­ta ren­dues célèbres par de grands artistes.

Digres­sion : Pornographie ?

Il sem­ble­rait qu’on consi­dère la por­no­gra­phie comme le vice ultime, celui qui abaisse celles et ceux qu’on peut assi­mi­ler à une telle approche ou de telles pra­tiques. Même par­mi les autrices et auteurs éro­tiques, on trouve cer­tains qui refusent une telle qua­li­fi­ca­tion avec véhé­mence, la por­no­gra­phie étant syno­nyme de com­mer­cia­li­sa­tion de la chair, abais­se­ment et réi­fi­ca­tion de la femme, la réduc­tion des corps à de la mar­chan­dise. D’autres, par contre, comme Espar­bec ou peut-être aus­si Chris­tophe Sie­bert, s’en reven­diquent ouver­te­ment dans une démarche mili­tante consis­tant à s’op­po­ser au poli­ti­que­ment cor­rect au nom de la liber­té de jouir et de celle – sur­tout – de ne pas se lais­ser impo­ser des contraintes autres que celles qu’ils ont eux-mêmes choisis.

Quant à l’art de Bran­doch-Daha, avec lequel j’ai eu l’oc­ca­sion de dis­cu­ter, s’il ne refuse pas d’emblée le terme por­no­gra­phique, il sou­ligne le rôle du spec­ta­teur qui, dans un cer­tain sens, com­plète l’i­mage que l’ar­tiste lui pro­pose, et qui doit par consé­quent en assu­mer une part de res­pon­sa­bi­li­té. Et si l’é­ro­tisme – et à plus forte rai­son la por­no­gra­phie – a besoin du côté phy­sique, des corps et du désir qu’ils font naître, Bran­doch-Daha insiste, dans une approche aus­si bien abs­traite qu’im­pres­sion­niste, sur le rôle des formes et de la lumière :

« But I enjoy the curves and the shapes and the forms, and the light. » [2]Bran­doch-Daha dans un entre­tien pri­vé.

Je ne vais sûre­ment pas essayer de don­ner ici une défi­ni­tion de ce qu’est la por­no­gra­phie, un terme qui – un des rares ! – a le mérite de divi­ser et d’ap­pe­ler les oppo­si­tions. Mais si la por­no­gra­phie n’é­tait que cette pul­sion, tra­duite en paroles et en images, d’as­su­mer – d’embrasser – la part d’ombre de notre existence ?

À lire :
Hugo von Habermann - le "Panoptikum" revisité

Des pay­sages scintillants

Je ne vou­drais certes pas nour­rir ici des idées toutes faites, mais qui dit « Cana­da », dit aus­si « Grand Nord » et « grand froid », un sujet d’ac­tua­li­té depuis quelques semaines, la France et une grande par­tie de l’Eu­rope étant livrées aux sévices d’un hiver qu’on croyait pour­tant près d’être chas­sé par le prin­temps. Quoi qu’il en soit de ces ques­tions de cli­mat, Bran­doch-Daha, qu’il faille l’im­pu­ter à ses ori­gines géo­gra­phiques ou non, excelle dans la repré­sen­ta­tion de pay­sages ennei­gés. Il se contente de quelques paroles frustes pour expli­quer cette attrac­tion pour la neige :

« These types of images remind me of my youth, and the places I used to live. » [3]Com­men­taire de Bran­doch-Daha à pro­pos de son tableau Birch poplar.

Au plus grand plai­sir de votre ser­vi­teur, cer­tains de ses pay­sages sont peu­plés de femmes plus ou moins dénu­dées, ce qui confère, par le contraste entre froid cris­tal­lin et cha­leur char­nelle, entre le blanc brillant de la neige et la car­na­tion des modèles, un charme très par­ti­cu­lier à ces tableaux :

Brandoch-Daha, Cheveux noirs
Bran­doch-Daha, Che­veux noirs

Si je ne sais pas expli­quer l’at­trac­tion pour les scènes hiver­nales, on peut pour­tant ima­gi­ner que le scin­tille­ment de la lumière pas­sant à tra­vers les prismes des cris­taux n’y est pas étran­ger, un détail tech­nique qui peut prendre de l’am­pleur jus­qu’à domi­ner l’i­mage comme par exemple dans Tifa, image ins­pi­rée par une cos­playeuse où le modèle se dresse devant un pay­sage indus­triel et où le scin­tille­ment, le flou des contours, est pous­sé à l’extrême.

L’u­ni­vers de Bran­doch-Daha est sans doute un des plus beaux que j’aie pu décou­vrir, et je suis fier de pou­voir le pré­sen­ter (et l’ac­cueillir) dans les colonnes de la Bauge lit­té­raire. Il allie la maî­trise du côté tech­nique à une ins­pi­ra­tion tout artis­tique et à une audace dont l’Art a de plus en plus besoin au moment où l’on assiste au retour des cen­seurs obnu­bi­lés par leur com­bat – aus­si jus­ti­fié fût-il – au point d’ou­blier les pré­mices de la liberté.

Pour rendre visite à Bran­doch-Daha, un seul endroit, sa gale­rie sur le site de la com­mu­nau­té artis­tique DeviantArt.

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cf. aus­si le compte-ren­du de l’ex­po­si­tion qui s’est tenue, du 22 sep­tembre 2015 au 17 jan­vier 2016, au Musée d’Or­say, Splen­deurs et misères. Images de la pros­ti­tu­tion, 1850–1910.
2 Bran­doch-Daha dans un entre­tien privé.
3 Com­men­taire de Bran­doch-Daha à pro­pos de son tableau Birch poplar.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Bran­doch-Daha – un artiste canadien”

  1. Je ne connais­sais pas cet artiste.
    Inté­res­sant et à décou­vrir.. J’y cours !

  2. Bon­soir Thomas.

    Un article très long, et une réflexion inté­res­sante (comme tou­jours, mais il n’est plus utile de le pré­ci­ser), en par­ti­cu­lier la digres­sion. Pas grand-chose à y ajou­ter donc, juste un petit mot pour expri­mer un res­sen­ti per­son­nel devant « Josie sur des draps au motif flo­ral » : sim­pli­ci­té, assu­rance, fémi­ni­té. L’es­sence de la femme en somme.

    Superbe !