
Quelques échanges ont suffi pour lui faire concevoir l’idée de consacrer un article à cette jeune femme aux yeux d’un noir insondable où barbotent les reflets lumineux de l’univers qui s’y mire, cet univers dont la jeune artiste sait rendre l’essence lumineuse grâce à une rare maîtrise de la palette. Une artiste capable de capter les couleurs tout en sauvegardant la force brute qui sommeille au fond des choses, prête à répondre au moindre rayon de soleil pour éclater à la gueule des spectateurs et sauter aux yeux du passant trop peu soucieux. Une artiste qui rend à la chair humaine une consistance lumineuse qui donne envie de la palper et de l’adorer en même temps. Bref, une artiste qui a tout pour séduire le Sanglier qui n’a pas tardé à sortir de son repaire pour sentir souffler sur son groin l’air du grand large venu tout droit de la baie de San Diego, ville à quelques pas seulement du Mexique dans l’extrême sud de la Californie où Amber Jahn a choisi de s’établir, poussée par la pulsion migratoire qui semble inscrite dans l’ADN des Américains et en même temps par l’appel qui, un siècle et demi plus tôt, a fait débarquer les impressionnistes au Midi pour y puiser des couleurs que seul un soleil austral peut faire briller.
Amber Jahn – une œuvre figurative riche et variée

Amber Jahn fait partie de la scène artistique bouillonnante qui s’est établie à San Diego, et elle y participe régulièrement à des performances collectives et des Art Battles organisées par des promoteurs et des collectifs d’artistes comme BassTribe, The Belly up, On Point Promotions, SlicEntertainment, UX31, SpinNightclub, 69 Revive, Atomic NightClub, Infusion Project ou RAW Artists, et à des projets destinés à collecter des fonds pour la recherche contre le cancer comme Stand-up for the cure ou le festival artistique Summer Meltdown Autism Awareness. Ses peintures sont régulièrement exposées, soit de façon classique dans des galeries d’art comme la Kettner Arts Gallery, soit de façon beaucoup moins orthodoxe dans des coffee shops comme Filter and Te Mundo, dans un Centre pour la santé et la sexualité de Palm Springs, voire dans un sex-shop comme Pleasures & Treasures. Elle participe également à des expositions et des sessions de peinture en direct dans des bars et des salles de concert, des performances animées par un groupe de musique ou un DJ.
Celui qui s’embarque à la découverte de l’œuvre richissime d’Amber Mae Jahn comprend très vite qu’il a affaire à une artiste infatigable aux facettes multiples tant du côté technique que de celui du choix des motifs. Adepte de l’improvisation et des performances, elle a l’habitude de sortir de l’atelier et de travailler à des endroits aussi divers que les boîtes de nuit ou les plages du Pacifique, tout en profitant, quand l’occasion se présente, des avantages du studio pour les tableaux qui nécessitent une application plus assidue et un environnement plus abrité. Sachant manier le pinceau, le spatule, le stylo et l’appareil photo, elle dispose d’une grande variété de moyens qu’elle met au service de son art lumineux, un art qui, avec ses lignes claires, ses réductions et ses grandes étendues de couleurs, ne peut pas renier un certain lien de parenté avec la bande dessinée.

Quant aux motifs, si le nu occupe une très grande partie de sa production artistique, on y trouve aussi des portraits, des natures-mortes et des compositions qu’il est parfois difficile de qualifier et dont certaines ressemblent à des études de couleurs ou encore à de véritables orages colorés. Quoi qu’il en soit des différents genres, la peinture d’Amber Jahn est résolument figurative sans pour autant tomber dans le rétro ou le régressif. Ses personnages féminins dégagent le plus souvent la confiance sereine de celle qui a trouvé sa place dans l’univers et qui, au choix, le contemple (comme la femme enceinte qui arbore ses charmes avec une confiance totale) ou le met au défi, munie toujours du même bouclier de tranquillité que rien ne semble pouvoir entamer.
Pour ce qui est du support, Amber a une préférence très prononcée pour les matériaux recyclés, préférence qu’elle explique par le vécu de ces objets qui conférerait à ceux-ci une inspiration supplémentaire précédant (et en même temps déterminant ?) celle de l’artiste :
« La plupart de mes matériaux et de mes supports sont des morceaux sauvés, recyclés, trouvés, offerts. […] J’ai une nette préférence pour le caractère et la surface désertée d’une vieille étagère, d’une planche en bois, d’une antique fenêtre, pour l’inspiration préexistante qu’un tel morceau présente. » [1]« Most of my painting supplies and canvas are rescued, recycled, found or gifted items. […] I genuinely prefer to use the character and abandoned surfaces of old shelving, wood planks, and vintage … Continue reading
Au centre de son art – le Nu

Le Nu – et surtout le Nu féminin – est omniprésent dans l’œuvre artistique d’Amber Jahn, et la (future) Mère y côtoie la Dominatrice avec une évidence spectaculaire. Les femmes s’y présentent dans toute leur splendeur, la chair épanouie et ferme, avec pourtant une particularité qui peut déranger et qui se répète de façon systématique sur un grand nombre de ses tableaux (inutile de dire que les portraits y échappent) : l’absence de visage et, parfois, de tétons, comme si ces attributs-là avaient le pouvoir de créer un individu capable de se révolter contre sa captivité à l’intérieur d’un cadre sans doute trop étroit. À moins que l’artiste ne veuille apporter un caractère universel à ses personnages, une validité qui dépasse l’individu pour englober l’espèce toute entière.
Parmi ces femmes, il y a une grande variété de types dont certains reviennent régulièrement, comme la femme couchée sur le dos, enceinte ou pas, contemplant le monde avec un visage rendu insaisissable par l’absence, ou encore la femme fièrement dressée dont on aimerait croire qu’elle jette son défi à la création entière – si seulement elle avait des yeux. À côté de ces deux types-ci, on trouve aussi la femme impudique, la femme en couple, voire la femme ramenée à l’essence de ses parties génitales. Toutes partageant, par-delà les différences, une beauté ravissante, distante parfois, lumineuse toujours, une beauté qui attire les regards que ces créatures du pinceau sont pourtant, dans la plupart des cas, incapables de renvoyer.

Clin d’œil à l’art abstrait

Personne ne saurait s’étonner de ce que ce sont principalement les femmes peintes dans toute leur richesse par Amber Jahn qui font les délices du Sanglier. Mais je ne vais pas pour autant vous cacher le fait que ses autres sujets, témoignant de la même maîtrise dans l’exécution, sauront à leur tour séduire les amateurs. Il y a, après tout, d’autres obsessions que la mienne et d’autres beautés que celle de la femme.
Amber Jahn est aussi photographe, et elle sait se servir de son appareil. Et ce sont parfois les photographies qui, contrairement aux peintures et de façon aussi inattendue qu’étonnante, font un clin d’œil à l’art abstrait, comme celle d’un artichaut ci-contre le démontre de façon si éloquente.
Et puis, il y a des tableaux, placés quelque part entre une approche figurative et une volonté abstraite, des toiles qui chantent la couleur, comme celui d’un colibri, célébration de la peinture elle-même, capable de noyer le monde dans un déluge bariolé :

Inspiration californienne

Il est évidemment impossible de prendre le pinceau sans subir l’influence d’une histoire pluriséculaire. Amber Jahn n’y échappe pas, et certaines de ses peintures citent l’art religieux européen comme le Triptyque californien dont les couleurs ne sont pas sans rappeler celles du coucher de soleil, au format emprunté à la peinture médiévale et renaissante et dont l’iconographie renvoie à l’arbre de la vie et au fruit défendu, un motif qu’on retrouve aussi dans une peinture réalisée en collaboration avec Al Scholl. Ce tableau, Fille à la pomme, fournit d’ailleurs un bel exemple de ce que peut produire une performance en direct dont Amber, on a déjà pu le faire remarquer, est une adepte fervente. On notera, dans les deux tableaux reproduits, l’intensité de la couleur, effet produit en grande partie par la juxtaposition de couleurs chaudes et froides qui, de par ce voisinage, se renforcent mutuellement.


Je vois tout doucement approcher la fin de mon parcours à travers l’univers passionnant d’Amber Jahn, mais je ne vais pas quitter mes fidèles lecteurs sans leur indiquer une autre de ses sources d’inspirations : La vie quotidienne de la côte ouest. Comment, par exemple, regarder sans sourire sa Fille à la planche à roulettes (Skater chic), l’essence même et haute en couleurs de ces filles et de ces femmes qui longent l’océan Pacifique en petite tenue et qu’on a l’habitude de croiser dans les films américains dès qu’il s’agit de démontrer qu’on se trouve bel et bien quelque part entre Los Angeles et San Francisco, dans le paradis de la légèreté et de la joie de vivre ?
Un flambeau qui attend la relève
J’ai pris un énorme plaisir à rédiger cet article aux allures modestes, à puiser dans le fonds si riche qu’Amber a eu la gentillesse de mettre à ma disposition, à laisser emporter mon imagination par un courant presque maritime de couleurs, tout en découvrant, au fur et à mesure, une artiste qui met sa vie au service de son œuvre, et à partager (à l’essayer au moins) l’enthousiasme que j’ai ressenti en parcourant un monde pictural vibrant de chaleur. Le temps et l’érudition nécessaires me manquent pour rédiger la monographie qu’Amber Jahn a sans aucun doute mérité, mais je reconnais mes propres limitations et sagement m’en remets à d’autres auxquels je cède volontiers ce plaisir-là.
Petite galerie
J’ai l’impression d’avoir quelque peu gavé mon article de peintures, mais comment résister à la tentation d’en présenter un maximum si chacune de ces merveilles a le pouvoir de me faire tomber sous le charme ? Mais comme tout auteur qui se respecte doit veiller à ce que son texte reste lisible, j’ai dû me borner à un choix restreint d’illustrations pour rendre en images le propos des paragraphes qu’elles accompagnent. Alors, pour donner un aperçu de l’inépuisable richesse de l’imaginaire d’Amber Jahn, voici que je vous ai concocté une petite galerie. Mais comme je suis loin de couvrir la totalité de son oeuvre, à vous de partir à la découverte à votre tour en vous rendant sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, où l’artiste est présente avec un grand nombre de tableaux. Voici donc mon choix très personnel pour vous mettre l’eau à la bouche :-)
Références
↑1 | « Most of my painting supplies and canvas are rescued, recycled, found or gifted items. […] I genuinely prefer to use the character and abandoned surfaces of old shelving, wood planks, and vintage windows for the existing inspiration such a piece presents. » Citation tirée de la partie Bio du profile Google+ de l’artiste. |
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